Conte: NGANO

Publié le par Alain GYRE

 

NGANO

Fabliau Anyankarana

Recueilli à Malianara (province de Vohemar).

 

Autrefois il y avait un homme et une femme appelés Faralahy et Faravavy. Quelque temps après leur mariage ils eurent un enfant auquel ils donnèrent le nom de Ngano.

Lorsque cet enfant fut grand, ses parents allèrent un jour se promener et lui dirent de garder la maison pendant leur absence.

Pendant que Ngano était seul, vinrent à passer deux envoyés du roi Andriambé, et la conversation s'engagea entre eux :

 « Comment vous portez-vous ? moi, je me porte bien; je garde la maison de mes parents.

- Nous nous portons bien ; nous sommes les envoyés du roi Andriambé, et nous cherchons son canard qui est perdu. Dis-nous si tu pas vu ?

- Je ne l'ai pas vu.

- Que fais-tu là?

- Je fais un représentant et non pas un réel.

- Où est ton père ?

- Il est dans les liens vivants pour en rapporter les nœuds à manger.

- Où est ta mère ?

- Elle a perdu la sagesse et est devenue insensée.

- Où est ta tante ?

- Elle a quitté le commun pour suivre son particulier.

- Et ton frère, où est-il ?

- Il traverse le vivant pour chercher le mort. »

Les deux envoyés partirent furieux, sans rien comprendre à ces paroles. En arrivant ils dirent au roi :

 « Nous n'avons pas vu ton canard, mais nous avons rencontré un garçon nommé Ngano, à qui nous avons demandé de ses nouvelles, mais ce gaillard-là, au lieu de nous dire où était ton canard, s'est moqué de nous. »

Le roi, en colère, ordonna de faire venir immédiatement Ngano. Quand il l’eut en sa présence, il lui dit:

« Ngano, pourquoi t’es-tu moqué de mes envoyés ?

-  O roi, ne te mets pas en colère ; je te demande la permission de répéter ce que j’ai dit à tes gens ; tu verras si je me suis moqué d’eux, oui ou non.

- Parle, répondit le roi.

- Tes envoyés m’ont demandé ce que je faisais : je leur ai répondu que je faisais un réel ; j’étais occupé en effet à modeler un taureau en terre: ce taureau avait un corps et des cornes, mais il ne marchait ni ne mugissait. On me demanda encore où était mon père, ma mère, ma tante. Je dis que mon père était dans les liens vivants pour en rapporter les nœuds à manger : en effet il cherchait des oviala (i). Je dis que ma mère avait perdu la sagesse et était devenue insensée; elle avait en effet quitté son lamba propre et en avait revêtu un sale pour aller pêcher dans la rivière. Je dis que ma tante avait quitté le commun pour suivre son particulier: car elle avait abandonné sa famille poursuivre son mari en voyage. Je dis que mon frère traversait le vivant pour chercher le mort : en effet il était allé fouiller dans la forêt verdoyante pour trouver du bois mort. »

Le roi, charmé de la sagesse de Ngano, le garda chez lui.

 

Un jour il voulut éprouver sa perspicacité. Il monta au premier étage et ordonna à Ngano de lui apporter son rasoir, son miroir et un flacon plein d'eau :

Ngano prit tout à la fois, mais dans l’escalier il trébucha et brisa le flacon et le miroir. Le roi lui dit de les réparer.

 « Bien, répondit Ngano. Seulement il me faut pour cela une ficelle faite en fumée et un bol de larmes.»

Alors le roi fit piler du Sakay et l’introduisit dans les yeux de sa femme pour la faire pleurer ; mais elle s'essuya les yeux et il ne put recueillir une seule larme.

Ensuite il s’approcha d'un feu de bois vert et essaya de tordre la fumée qui montait, mais il ne put réussir à faire le moindre brin de corde de fumée. Alors il s’écria :

« Ngano, pourquoi me trompes-tu, et me demandes-tu des choses impossibles ?

- Ce n’est pas moi qui te trompe, répondit l’autre. As-tu déjà vu ressusciter un mort pour m'ordonner de remettre à neuf des objets cassés ? »

 

Un autre jour le roi rassembla ses sujets et leur dit:

« Nous allons essayer de tromper Ngano qui se prétend si rusé : demain matin vous apporterez chacun un œuf, mais vous le cacherez soigneusement, pour que Ngano ne se doute de rien. » Le lendemain, quand tout le monde fut là, le roi dit:

« Que quiconque est au nombre de mes sujets, ponde un œuf. »

Tous aussitôt posèrent leur œuf, à l’exception de Ngano qui était bien embarrassé ; pourtant il trouva de suite une ruse : il prit une rabane, se mit à imiter le chant du coq et s'écria:

 « C'est moi le mâle qui fais pondre toutes les poules. Car vous savez qu’une poule ne saurait pondre sans un coq. »

 

Une autre fois le roi envoya chercher son troupeau pour la traite. Quand ce fut fait, il ordonna de laisser aller les vaches et de garder les taureaux dans le parc. Le matin venu, il dit à Ngano :

« J’ai envie de boire du lait, va donc traire. »

Ngano partit avec une corde et un vase. Mais dans le parc, quand il voulut prendre une vache et l'attacher, il s’aperçut qu'il n’y avait que des taureaux. Alors il courut chez le roi et lui dit :

 « Je te demande la permission d’aller accoucher mon père qui est en travail d’enfant. On vient de me dire que si je n’y vais pas, l’accouchement ne pourra pas se faire.

- Ton père est un homme, dit le roi ; comment veux-tu qu’il accouche?

-  Mais toi, seigneur, tu m’as bien envoyé traire un taureau. Ne t’étonne donc pas que je ne t'apporte point de lait.

 

- Soit, dit le roi, mais va me chercher quatre insensés. »

Ngano partit : après quelques heures de recherches, il rencontra sur un chemin un homme qui faisait le Sikidy.

« Qu’est-ce que tu fais là ?

- Il y a quatre ans que ma femme est morte : je fais le Sikidy pour savoir la cause de sa mort. »

Ngano emmena l’homme. Puis il rencontra un homme à cheval qui portait un gros fagot sur sa tête :

« Pourquoi ne mets-tu pas le fagot derrière toi sur la croupe du cheval ?

- Je crains que la bête ne soit trop chargée, c’est pourquoi je porte le fagot sur ma tête. »

Ngano l’emmena aussi. Il se présenta ensuite au roi et lui dit : « Seigneur, voici les quatre insensés.

- Je n’en vois que deux : où sont les deux autres, et quels sont les signes de leur folie ? »

Ngano les expliqua au roi, puis il ajouta :

« Le troisième fou, c’est moi ; car tu m’avais envoyé traire un taureau et j’ai essayé de t'obéir; or un taureau n’a pas de lait. Le quatrième fou c'est toi : je t’ai prié de tordre de la fumée en corde, et tu as tenté de le faire. Voilà bien quatre insensés. »

Le roi ne sut que répondre.

 

Le lendemain, il mena Ngano près d’une source très froide et lui dit :

« Si tu peux rester plongé dans cette eau toute une nuit, je te donnerai cinquante piastres et cinq esclaves. »

Ngano consentit. Le roi mit des gardiens et Ngano resta dans la source toute la nuit. I.c matin, il réclama son salaire.

« Je ne te paierai pas, dit le roi ; ta mère a fait du feu près de la source pour te chauffer dans l’eau.

- Le feu peut donc chauffer ce qui est éloigné?

- Oui sans doute. »

Ngano ne dit mot. Mais un jour le roi alla faire un défrichement avec ses hommes. Ngano lui fit valoir qu’il n’avait jamais manié le couteau pour défricher, qu’au contraire il s’entendait fort bien à la cuisine. Il demanda donc à rester pour préparer les aliments. Quand tout le monde fut parti, il prit les pots à riz et les arrangea d’un côté, puis les pots à viande qu’il disposa en face à une certaine distance, enfin il fit du feu entre les deux rangées de pots.

Quand il fut l’heure de manger, il alla trouver le roi et lui dit :

« Le repas doit être cuit ; j’ai suivi en tous points vos conseils. »

Quand il vit comment on s’était moqué de lui, le roi se mit fort en colère, et il envoya chercher Ngano pour le punir, mais le malin s’était sauvé dans la forêt et on ne le rattrapa point. Il se construisit une hutte au fond d'une vallée et vécut tranquille. Les gens rusés, dit-on, sont les descendants

de Ngano.

 

(i) Racine comestible d’une liane.

Contes de Madagascar

Charles RENEL

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article