Conte: Origine de l’humanité(1) : Histoire de la première femme - R. DECARY

Publié le par Alain GYRE

 

Origine de l’humanité(1) : Histoire de la première femme

Conte Mahafaly, recueilli à Ampanihy (2)

 

A l'origine, Dieu avait créé trois êtres, deux hommes, Imanao et Imanafy, et une femme, Imananjary. Tous trois habitaient la terre, mais comme ils vivaient chacun d'un côté et très loin les uns des autres, ils ne s'étaient jamais vus et ignoraient mutuellement leur existence. Un jour, Imanao qui s'ennuyait d'être toujours seul, eut l'idée, pour se distraire, de sculpter dans le bois une femme de grandeur naturelle, aloalo (3). Il y mit tout son talent et la statue fut rapidement exécutée. Fier de son œuvre, il ne cessait de contempler sa femme de bois sous toutes les faces, et de jour en jour la trouvait plus ravissante. Il conversait avec elle du matin au soir et la nuit ne pouvait s'en séparer, tant il s'y était attaché. Cette forme féminine charmait tous ses instants et sa présence l'aidait à supporter la solitude. Il l'avait placée sur le bord de la route, bien exposée à la lumière, pour mieux la voir pendant qu'il vaquait à ses occupations journalières. Imanafy, en se promenant dans la campagne, aperçut un jour l'élégante silhouette ; il fut frappé de sa beauté, mais sa nudité le choqua, aussi voulut il la parer et l'habiller comme une idole. Immédiatement, elle fut revêtue de riches étoffes de soie aux brillantes couleurs et couverte de beaux bijoux d'or travaillé (4).

Peu après vint à passer également Imananjary, désolée de vivre seule dans sa cabane, sans mari et sans enfants, et qui  errait par monts et par vaux pour tromper son ennui. Lorsqu'elle vit sur son chemin la gracieuse image qui lui souriait, elle crut à une apparition céleste et remercia le Créateur d'avoir exaucé son vœu (5). Elle tomba à genoux et toute en larmes, implora ardemment Ndrianananhary (6), le conjurant de donner la vie à cette forme inerte. Elle lui promit, s'il animait la statue, de l'aimer et de la soigner comme son propre enfant. Touché de ses prières, Dieu consentit et dit à Imananjary de coucher avec la femme de bois, si elle voulait réaliser son désir. La nuit venue, Imananjary prit l'idole entre ses bras, la caressa longtemps comme un nourrisson chéri, et s'endormit en la pressant sur son sein. Mais quelle ne fut pas sa surprise de sentir la matière s'animer et de voir au matin le bois sculpté se transformer en une jeune et belle fille. Elle était folle de joie et rendait grâces au Créateur de l'avoir exaucée, lorsque survinrent Imanao et Imanafy. Ceux- ci  en présence du prodige, n'en crurent pas leurs yeux, mais ayant repris leur sang-froid, ils réclamèrent leur jeune fille à Imananjary, comme étant leur œuvre commune. Celle-ci refusa et en appela à Ndriananahary pour le règlement de l'affaire. Dieu, pour les mettre d'accord, en décida ainsi : « Imanao sera le père de la fille, puisque c'est lui qui l'a faite en sculptant son image dans le bois ; Imananjary en sera la mère, car c'est elle qui lui a donné la vie en la réchauffant dans ses bras ; quant à Imanafy, qui l'a habillée et ornée avec tant de goût et d'amour, il mérite bien d'être le mari. J'ai dit. » Les parties acceptèrent cet arrangement, et pour le compléter, Imanao épousa Imananjary, bien que Ndriananahary ne l'eût point dit. De ces deux couples descendirent tous les hommes qui vivent aujourd'hui sur la terre.

C'est pourquoi, depuis cette époque, en exécution des ordres de Ndriananahary, la coutume veut que l'homme donne des vêtements à sa femme. Mais celle-ci conserve le droit de reprendre sa liberté, si son conjoint se dérobe à cette obligation qui est un devoir sacré, imposé par le Créateur. Aussi, c'est pour cette raison que les Mahafaly et les Antandroy tiennent encore le talent de leur ancêtre pour la sculpture des aloalo.

 

Notes :

 

(1) Dans leur religion traditionnelle, les Malgaches croient en un Dieu tout puissant, créateur du monde et qui suivant les régions, porte le plus souvent les noms d'Andriamanitra ou Zanahary. On ne connait pas exactement sa nature, qui doit cependant être immatérielle. S'il est toujours invoqué dans les prières, on s'adresse aussi fréquemment à des divinités secondaires, et surtout aux ancêtres, devenus eux-mêmes des dieux, car, comme on le disait jadis, « quand un individu meurt, il part pour être Dieu ».

(2) Il est à remarquer que la tribu Mahafaly est, de tous les groupes ethniques malgaches, celui qui a été le moins étudié dans son ensemble. Il n'existe pas de monographie à son sujet.

 (3) Les aloalo actuels sont, chez les peuplades du Sud-Ouest et du Sud, des garnitures de tombeaux consistant en hauts poteaux plats entièrement sculptés. Ils sont surtout nombreux dans la tribu des Mahafaly où ils présentent le maximum d'ornementation. Ils sont constitués en général par une statuette de femme dont la tête se surmonte d'une longue et étroite planche sculptée à jour, et terminée par un plateau horizontal qui supporte de petits personnages ou animaux représentant des scènes variées. Les parties en relief sont noircies au feu. Dans le présent conte, l'aloalo consiste simplement en une statue de femme, sans doute de grandeur naturelle ; on voit encore ça et là des aloalo de cette nature sur les tombeaux ou les cénotaphes et mémoriaux. Des photographies des aloalo, qui témoignent d'un art véritable, ont été données à maintes reprises.

(4) Cette parure de bijoux d'or semblait permettre de considérer la statue de bois comme étant d'essence supérieure. L'or fut longtemps regardé comme un métal sacré, un peu comme une émanation divine. On éprouvait pour lui, surtout dans le Sud, une sorte d'adoration et le serment sur l'or, dit du rano volamena, se pratique sans doute encore de temps à autre dans la brousse, conservant alors la valeur de notre serment sur la Bible ou la croix du Christ.

(5) C'est-à-dire : de lui avoir fait connaître une autre femme qui pourrait rompre sa solitude.

(6) C'est-à-dire Dieu. Suivant les régions, les Malgaches donnent, comme il a été dit dans la note 1, des noms divers à Dieu : Andriananahary (le Seigneur qui a eu le pouvoir de créer), ou, par une sorte d'abréviation dialectale, Ndriana- nahary. Zanahary (qui est divin). Andriamanitra (le Seigneur odorant). D'une façon générale, les populations côtières emploient plutôt le terme Zanahary, et celles des Plateaux le mot Andriamanitra.

 

Contes et légendes du Sud-Ouest de Madagascar

Raymond DECARY

 

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