Conte: Origine du caïman - Raymond DECARY

Publié le par Alain GYRE

 

Origine du caïman (1)

Conte Bara, recueilli à Fanjakana, district de Manja

 

D'après la légende, les Bara croient que les caïmans ne sont que des personnes métamorphosées.

Ainsi il y a, disent-ils, dans la race Bara, des tribus dont tous les membres de la famille se changent en caïmans après leur mort (2).

En voici les principales :

1° ) La tribu Vongovato ;

2° ) La tribu Andrasily ;

3° ) La tribu Voroneaky ;

4° ) La tribu Vohitovo ;

5°) La tribu Tivoakany.

Ces tribus ne s'installent jamais loin des rivières ou des fleuves.

Ils habitent de préférence le long des cours d'eau, et mettent leurs tombeaux à côté afin que les personnes mortes trouvent facilement de l'eau pour s'y réfugier.

Voici comment, dit-on, se métamorphose une personne des tribus précitées.

Immédiatement après l'expiration du malade, un vieux membre de la famille enfonce avec un marteau un gros clou long et pointu dans le front du cadavre pour bien le rattacher dans l'auge où il est enfermé. De cette façon, le cadavre ne peut, dit-il, se mouvoir et se transforme immédiatement en caïman (3).

Après deux jours ou trois, on le remet dans son tombeau familial. Là, avant de le quitter, on enlève le clou enfoncé dans son front, et le plus vieux de la famille dit :

« Toi (il dit le nom du cadavre), tu es maintenant remis respectueusement dans ton tombeau familial, tu peux alors te mouvoir tant que tu veux, et reprendre ensuite ta demeure royale (Mangoky), où nos ancêtres t'attendent pour te recevoir amoureusement ».

Après cela, on quitte le caveau et on le ferme. Là, le cadavre se meut, il commence à se métamorphoser peu à peu. A la longue, une grosse et longue queue pousse par derrière, les deux jambes et les deux bras se changent en pattes courtes, la peau lisse devient très épaisse, rude et rugueuse. A la fin, il rampe et devient caïman (4). Il se dirige alors dans le fleuve où ses membres de la famille viennent tous les ans tuer un bœuf pour s'en rassasier.

Voilà pourquoi la plupart des Bara ne veulent jamais détruire les caïmans bien que le lanjakana (5) leur donne une grosse somme (6).

 

Notes

(1) Ainsi qu'il a été dit précédemment, il s'agit non du caïman, mais du crocodile.

(2) Une légende du même genre se retrouve chez les Antandroy. Dans cette tribu, le clan des Zafindravoay (littéralement : fils du crocodile) a une origine entièrement légendaire. Leur mère fut une jeune femme prise au piège, dans la rivière qu'elle habitait, vivant avec un crocodile comme époux. Après avoir donné le jour à deux fils elle retourna dans sa rivière. Depuis ce moment, les Zafindravoay ne tuent plus les crocodiles. Autrefois, ils leur réservaient même les poumons de chaque bœuf qu'ils abattaient, et rachetaient, pour les délivrer, les petits crocodiles capturés par les autres indigènes. Ils traversent impunément, assurent-ils, les mares et les rivières les plus infestées : les crocodiles s'écartent pour leur laisser la route libre. Une telle légende se rencontre également chez les Antemandraré de la région d'Ampasimpolaka.

(3) Ce rite de l'enfoncement d'un clou dans le crâne du cadavre ne m'a jamais été rapporté dans le sud de Madagascar ; jusqu'à preuve contraire, il doit être considéré comme légendaire.

(4) Cette transformation d'un être humain en crocodile est à rapprocher de celle d'un cadavre royal en fanany, fanano ou serpent, à laquelle les Betsileo accordaient foi au temps passé. D'après les anciens Betsileo, les chefs se changeaient après leur mort en un serpent qui prenait naissance dans les liquides putrides pro venant du cadavre. Dans ce liquide se développait d'abord un ver plus gros que les autres, le fanano, considéré comme l'embryon du serpent qui allait représenter l'incarnation du défunt. Quand un Betsileo rencontrait dans la brousse un de ces serpents, il l'interrogeait et lui demandait de quel chef il était issu, citant une suite de noms. Quand le serpent venait à remuer la tête, on considérait qu'il répondait affirmativement, et il était alors transporté à l'ancien domicile du mort, puis on le laissait aller avec force louanges et remerciements.

(5) Administration.

(6) Il n'en est plus ainsi aujourd'hui. Un arrêté du 3 juillet 1915, en vue de limiter la pullulation des crocodiles, accordait une prime de 15 centimes par œuf récolté ; de 25 centimes pour un crocodile de 25 centimètres, 50 centimes pour un saurien de 1 à 2 mètres, et 5 frs pour un plus grand. Les dépenses devinrent vite trop élevées, surtout en raison des récoltes d'œufs. Un habitant de Marovoay en récolta 7 000 en trois semaines. Et l'arrêté, devenu trop coûteux, fut rapporté

 

Contes et légendes du Sud-Ouest de Madagascar

Raymond DECARY

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