Conte: Origine du Fatidra - Raymond DECARY
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Origine du Fatidra (1)
Conte Sakalava, recueilli à Mangolovolo, district de Morombé)
Il y avait, dit-on, un Sakalava Goa et un Sakalava Kombo (2).
Ils partirent tous deux ensembles et se trompaient souvent l'un l'autre.
« Allons ensemble pour pêcher des anguilles » (3), dit Goa.
- Porte moi sur ton dos », répondit Kombo.
Ils partaient et revenaient avec une anguille et un serpent (4). Ils en firent un bon rôti. Kombo mangea l'anguille et donna le serpent à Goa. En mangeant le serpent, les yeux de Goa s'ouvrirent, et il trouva qu'il avait été trompé par Kombo.
Une autre fois, ils partirent tous deux et ils allèrent se promener en traversant une rivière en pirogue. Pour se venger, Goa renversait la pirogue en arrivant au milieu de l'eau. Goa parvint à remonter sur la pirogue. Kombo tomba dans l'eau comme une pierre. En touchant le fond de l'eau, il s'appuya fortement sur l'eau, rebondit et regagna sain et sauf la pirogue parce qu'il n'était plus malade. Il avait été aussi trompé par Goa. En étant ainsi trompés, ils trouvèrent tous deux que cela leur faisait du bien.
« Nous allons en faire part aux gens, dirent ils, pour savoir ce qu'ils en pensaient.
- Cela revient au même, leur répondirent les gens (5). Unissez-vous par le fatidra ».
Ils firent le fatidra (6). Telle est, dit-on, l'origine du fatidra chez les Sakalaves.
Explication.
Goa, qui a perdu la vue, aveugle.
Kombo qui n'est pas capable de marcher, de se soutenir par suite d'une maladie.
Notes :
(1) Le fatidra (littéralement : incision sanglante) crée une parenté artificielle que nous dénommons fraternité de sang. Elle se rencontre aussi chez les noirs d 'Afrique et les Indonésiens. Au cours d'une cérémonie dans laquelle les deux contractants, étrangers l'un à l'autre, boivent réciproquement quelques gouttes de de sang provenant d’une incision faite à la poitrine de l'autre homme, ils se trouvent unis par une nouvelle parenté, souvent supérieure en puissance à la parenté naturelle. L’exécution du pacte oblige les intéressés à se prêter en toutes circonstances l'assistance la plus totale. Tous leurs biens deviennent communs et les deux frères de sang ont même le droit d'échanger leurs femmes. Cette coutume demeure vivace ; chez les Merina et les Betsileo pourtant, elle a tendance à devenir moins fréquente.
(2) Goa signifie aveugle. Dans ce conte, le terme est employé tantôt comme qualificatif, tantôt comme nom propre. Kombo a le sens de paralysé ; même observation à son sujet.
(3) Les anguilles sont représentées par trois formes confondues par les Malgaches sous les noms de tona et amalona : Anguilla mauritiana) A. mossambica, A. australis. On ne sait rien de la biologie de ces poissons et du lieu de l'Océan Indien où ils vont se reproduire; ils effectuent leur descente vers la mer au début de la saison chaude. Suivant les groupes ethniques, les anguilles sont l'objet de certains interdits et croyances. Par exemple, chez les Sihanaka, la pêche en est réservée aux individus du sexe masculin. Chez les Tsimihety, le nom même du poisson est frappé d'un tabou linguistique. Chez les Betsimisaraka, l'interdit de l'anguille reste vivace, et, dans la rivière Manandra, il existe des anguilles sacrées considérées comme descendantes d'ancêtres, et auxquelles on porte de la nourriture qu'elles viennent manger dans la main. (4) Il n'existe pas de serpents redoutables. Si certains possèdent cependant des glandes à venin, ils sont dépourvus de l'appareil inoculateur correspondant, de sorte que la morsure, si elle se produit, n'est pas dangereuse. La famille des Colu- bridés, de beaucoup la mieux représentée, ne comprend pas moins d'une cinquantaine d'espèces. C'est chez les Betsileo qu'on trouve les plus gros spécimens. L'Acrantophis madagascariensis, qui est le dô ou ankoma) peut atteindre exceptionnelle- ment près de quatre mètres. Les serpents, que les Malgaches englobent sous le nom de biby lava ou bêtes longues, leur inspirent en général une grande frayeur. D'après les anciens Betsileo, les chefs et les nobles se changeaient après leur mort en un serpent qui prenait naissance dans les liquides putrides provenant du cadavre; c'était le fanany ou fananina. Il y a une soixantaine d'années, deux serpents sacrés existaient à Fianarantsoa ; ils étaient l'objet d'une grande vénération et on leur portait de la nourriture.
(5) Autrement dit : Vos deux ruses réciproques représentent un prêté pour un rendu et vous êtes à égalité.
(6) Chez les Sakalava existe aussi une forme parente du fatidra ; c'est le hatehena, dont j'ai autrefois signalé l'existence chez les clans du nord du pays.
Contes et légendes du Sud-Ouest de Madagascar
Raymond DECARY