Conte: Origine du tatouage - Raymond DECARY

Publié le par Alain GYRE

Origine du tatouage (1)

Conte Masikoro (2), recueilli à Ambahikily

 

Deux époux, après leur mariage, allèrent s'établir dans un village appelé Tongo.

Ils y restèrent pendant deux ans et eurent un enfant.

Cet enfant, lorsqu'il fut assez grand, avait la mauvaise habitude de mettre toujours les deux doigts du milieu dans sa bouche pour être sucés. Le père voulut couper les deux doigts de l'enfant ; la mère voulut les brûler. Enfin la mère se décida de les piquer avec des aiguilles (3). Les deux époux prirent du charbon de bois et marquèrent sur les doigts de l'enfant la partie à piquer. Ils piquèrent ensuite la partie marquée avec des aiguilles.

Après trois jours, l'épiderme se détacha, on voyait les piqûres faites à l'aiguille et que les deux époux trouvèrent jolies.

Depuis cela, l'enfant ne suçait plus ses doigts.

Quelque temps après, le père se décide à aller en voyage. Il demanda à sa femme ce qu'ils devront faire pour ne pas s'oublier et se laisser un souvenir. La femme répondit :

« Tu marqueras mon nom sur ton bras, et je marquerai le tien sur mon bras (4).

- Comment faire ?, dit le mari.

- Nous allons faire comme le précédent. Marquons d'abord avec du charbon de bois et piquons ensuite la partie marquée avec des aiguilles. Les noms resteront ineffacés sur nos bras. Ce sera joli. C'est un souvenir ineffaçable. C'est le tatouage. »

Depuis ce temps, tous les Masikoro font le tatouage parce qu'ils ont vu faire les deux époux qui trouvèrent que c'est joli.

 

Notes :

(1) Les tatouages ou tombokalana sont actuellement en voie d'évolution ou plutôt de disparition rapide. De nos jours, seules les tribus côtières de l'Ouest, du Sud et du Sud-Est, à l'exclusion de celles des Hauts Plateaux et du Nord, sont encore porteuses de ces dessins. Chez les Betsimisaraka de la côte orientale, leur pratique est tombée en désuétude depuis une cinquantaine d'années. Leur but initial fut d'ordre magique ou curatif ; leur but actuel est encore parfois semblable, mais le plus souvent, il est seulement ornemental

(2) Les Masikoro ne constituent pas une ethnie véritable, et c'est à tort que les anciens auteurs les considéraient comme une peuplade distincte. Masikoro signifie en réalité « gens de l'intérieur», pasteurs ou agriculteurs, par opposition aux Vezo qui sont des pêcheurs, habitant les régions côtières. D'après A. Grandidier, le mot Masikoro serait une déformation de misikarefo, signifiant « ceux qui s'habillent avec des nattes de harefo, ou de jonc », ainsi que c'était jadis l'usage pour les gens de l'intérieur. Le conte sur l'origine du tatouage a été donné, comme le précédent sur l'origine du soro, avec l'indication de « Masikoro », que j'ai cru devoir conserver, en joignant cette note explicative.

(3) Pour punir l'enfant.

(4) Ce conte est relativement moderne. La connaissance de l'écriture et des caractères latins date d'une époque assez récente, surtout chez les populations côtières. En fait, chez celles-ci, qui furent longtemps défavorisées par rapport à la région centrale, l'existence des écoles dans la brousse n'est pas antérieure à l'occupation française. Avant cette époque, les tatouages ne devaient consister qu'en quelques dessins, sans aucun nom. Le fait qu'il est ici question d'aiguilles métalliques et non pas d'épines de cactus milite aussi en faveur de l'âge plutôt moderne du récit.

 

Contes et légendes du Sud-Ouest de Madagascar

Raymond DECARY

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article