Conte: Pauvre-Hère et Grand-Seigneur font un combat de taureaux
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Pauvre-Hère et Grand-Seigneur font un combat de taureaux
L’histoire que je vais raconter est une histoire de Pauvre-Hère et de Grand-Seigneur. Leurs demeures se disposaient comme ceci : Grand-Seigneur habitait en haut du village et Pauvre-Hère en bas. Et ils avaient des enfants. Et souvent leurs enfants jouaient ensemble, les enfants de Pauvre-Hère d’en bas avec ceux de Grand-Seigneur d’en haut. Et tout en jouant, ces petits enfants parlaient :
- Comment se fait-il que vos parents soient riches, demandent les enfants de Pauvre-Hère d’en bas, alors que nous sommes si malheureux ? Nous n’avons à manger que des bananes dures. Les petites choses qu’il faut acheter, nous avons bien du mal à les payer. Qu’est-ce qui a bien pu les rendre si riches, demandent les enfants de Pauvre-Hère d’en bas ?
- Eh, je n’en sais trop rien, dit le fils de Grand-Seigneur, et nous, les enfants, nous ne posons pas souvent des questions ; mais ce que nous les entendons souvent se dire, c’est que c’est à cause de leur bonne entente. A moi maintenant de vous retourner la question :Comment vos parents sont-ils devenus si pauvres ?
- Oh ! Je ne le sais pas bien non plus. Mais peut-être est-ce par la volonté du Créateur, sait-on jamais ? Ou bien par le fait de leur propre destin. Toujours est-il que nous sommes bien malheureux.
On revenait souvent sur ce sujet. Et, de temps en temps, les enfants entendaient leurs parents parler à voix basse entre eux, et discuter toutes ces choses-là. Et un beau jour, un jour où on ne s’y attendait pas (comme dit le créancier), voilà que Pauvre-Hère d’en bas eut une idée :
- Je ne sais, dit-il si c’est là mon destin, ou si c’est parce que je ne me prends pas en mains, que je suis si malheureux. En tout cas, je vais demander l’aide du Créateur.
Cette nuit-là, comme par un songe, lui est venue une idée :
- Bon. Quand il y aura une grande assemblée, un jour de fête, je parlerai à Grand-Seigneur, à propos de cette idée-là.
Et puis, un jour, en effet, il y a eu une assemblée, et Pauvre-Hère a entrepris Grand-Seigneur :
- Moi, un de ces jours, je vais te demander de faire battre nos taureaux. Nous ferons un combat de taureaux.
Grand-Seigneur lui a demandé :
- Oh toi ! Comment as-tu eu une idée aussi bizarre ? Et où sont les taureaux que tu pourras opposer aux miens ? Dans mon troupeau je connais plus d’un puissant taureau, alors s’ils doivent affronter les tiens, je ne crains rien.
Ainsi a parlé Grand-Seigneur.
Et les gens qui les entouraient et qui participaient à leur conversation en ce jour de fête se disaient :
- Oh, à quoi pense Pauvre-Hère ? Où va-t-il trouver un taureau à opposer à ceux de Grand-Seigneur ?
- Eh bien, s’il en est ainsi, je relève le défi, dit Grand-Seigneur. Mais si tu en présentes un et que le mien le terrasse, qu’auras-tu à me donne ?
Pauvre-Hère dit :
- Si ton taureau terrasse le mien, je m’engage avec toute ma famille à te servir jusqu’à la mort. Nous te servirons comme esclaves, au même titre que tous tes esclaves. Et si c’était ton taureau qui était vaincu par le mien, ajouta Pauvre-Hère, qu’est-ce que tu ferais ?
- Eh bien, dit Grand-Seigneur, je te céderais la moitié de mes biens !
Alors, les deux hommes ont fixé le jour de l’affrontement :
- Tel jour, nous ferons l’affaire, disent-ils.
Et quand l’assistance a entendu cette étrange nouvelle, oh, quel émoi ! tous attendaient le dénouement de cette affaire. Parce que tout le monde voyait bien que Pauvre-Hère n’avait pas de bêtes, alors que Grand-Seigneur en avait à foison.
- Que va-t-il advenir de Pauvre-Hère s’il se lance dans cette affaire ?
Voilà ce que se demandaient les gens aux alentours. Et le jour que les deux adversaires avaient fixé finit par arriver. Tout le monde se réunit.
Mais Pauvre-Hère avait déjà préparé une ruse. Pour le combat, il attira adversaire dans un endroit montagneux, un endroit qu’il connaissait parfaitement.
Le jour dit, il y avait une grande assemblée. Le peuple s’était réuni à l’endroit indiqué, Grand-Seigneur était venu avec toute sa famille, et il avait amené ses beaux taureaux. Et, comme tout le monde était réuni, Pauvre-Hère s’est présenté avec quelque retard.
- Où sont donc passés Pauvre-Hère et sa famille ?
- Oh, on dirait qu’ils vont être en retard !
On a attendu un bon moment, et puis, enfin Pauvre-Hère parut :
- Es-tu prêt, lui demanda Grand-Seigneur ?
- Oui, je suis prêt.
- Et où sont tes taureaux, mon ami ?
- Oh ! Je les vois déjà. Vous allez les voir bientôt, je les fais sortir, mes fameux taureaux.
Grand-Seigneur monte avec toute sa famille, il monte, il monte jusqu’au sommet de la montagne, et…
- Vous êtes prêts, demande Pauvre-Hère du haut de la montagne ?
- Oui, nous sommes prêts ! Mais où sont donc tes taureaux ?
Ils sont arrivés en haut de la colline.
- Nous y sommes, dit Pauvre-Hère.
Or, tout en haut de cette montagne, il y avait un amas de grosses pierres, de très grosses pierres, même. Alors, Pauvre-Hère s’est mis à conjurer ces pierres. (Et, les choses d’autrefois, nous n’en savons pas trop les raisons, mais de fait il connaissait le moyen de le faire…) Il dit :
- Ô toi, Pierre, tu es Pierre sacrée, la Terre est sacrée, le Ciel est sacré, s’il n’y a pas sur moi une malédiction qui me condamne à être pauvre éternellement, alors, Pierre, soulève-toi immédiatement !
Alors la pierre a commencé à se soulever tout doucement.
- Je fais appel à ta force sacrée, parce que je vais engager un combat de taureaux contre Grand-Seigneur. Et on sait bien que je n’ai pas de taureaux, aussi c’est toi qui sera mon taureau ! Et je vais par mon chant implorer l’aide du Créateur, pour que tu puisses affronter les taureaux de Grand-Seigneur. Et vous, les enfants, dès que je commencerai, vous chanterez avec moi !
- Oui, disent les enfants.
Alors il a prononcé ces mots :
- Roule, roule, pierre, au combat !
Les taureaux, à qui est le plus fort ?
- Eh, c’est le mien, le mien est le plus fort !
- Roule, roule, pierre, au combat !
Les taureaux, à qui est le plus fort ?
- Eh, c’est le mien, le mien est le plus fort !
Alors, la pierre s’est ébranlée, elle s’est mise à descendre en roulant sur elle-même. Les gens qui étaient là tout autour se disaient :
- En voilà un prodige, qui arrive !
- Si c’est ça le taureau de Pauvre-Hère, eh bien, les miens sont morts, se disait Grand-Seigneur !
Déroute générale…
Pauvre-Hère lance à nouveau son chant, et sa famille avec lui :
- Roule, roule, pierre, au combat !
Les taureaux, à qui est le plus fort ?
- Eh, c’est le mien, le mien est le plus fort !
- Roule, roule, pierre, au combat !
Les taureaux, à qui est le plus fort ?
- Eh, c’est le mien, le mien est le plus fort !
Alors la pierre s’est élancée en ronflant, et tous les taureaux de Grand-Seigneur qu’elle atteignait, elle les broyait tous. Tous ont pris la fuite…, tous les gens qui étaient là, ils se sont enfuis.
Alors, ils disaient :
- Oh, les gars, c’est bien le taureau de Pauvre-Hère qui est le vainqueur, n’est-ce pas, c’est vraiment son taureau ?
- Moi, dit quelqu’un, je n’ai jamais vu une chose comme ça. Comment ? Une pierre qui se soulève sur l’ordre d’un homme ? Ah, il va devenir puissant, ce Pauvre-Hère !
- Oui, ils sont bel et bien battus, les taureaux de Grand-Seigneur, pourtant ils avaient de la force !
- Son taureau, on l’a vu les gars, comment est-ce qu’il pourrait être battu ?
Vous croyez que le taureau de Pauvre-Hère pourrait être battu ?
- Jamais !
- Eh bien, Grand-Seigneur est vaincu, c’est Pauvre-Hère qui a gagné.
Voilà ce que tout le monde dit.
Et dans uns affaire de ce genre, il faut que tout le monde soit d’accord :
- Alors, mon ami ? Est-ce que mon taureau a battu les tiens ?
- Oui, il les a battus, convient Grand-Seigneur.
Mais, parmi l’assemblée du village, quelques-uns ont contesté que le vainqueur ait été un taureau :
- La transformation de cette pierre, c’est un prodige qui est arrivé devant tout le monde.
- Jamais personne d’autre que Pauvre-Hère n’a pu se faire obéir d’une pierre. Aussi c’est comme si le destin lui offrait la moitié des richesses de Grand-Seigneur ;
Et Grand-Seigneur adonner la moitié de ses richesses à Pauvre-Hère.
Tel est le conte. Et voici la morale qu’il faut en tirer : le Créateur, comme on le dit, ne soutient pas les paresseux, son aide va seulement à ceux qui font effort. Il n’aidera pas le politicien, ni le mystificateur. Si par toi-même tu secoues le poids de ta misère, arrivera un jour, arrivera un mois où le Créateur viendra à ton secours.
Si c’est mon conte, si c’est mon conte,
Puisses-tu être sec, toi, le temps !
Si ce n’est pas mon conte, si ce n’est pas mon conte,
Puisses-tu donner de la pluie, toi, le temps !
Je débite en petits morceaux la canne à sucre blanche, pour que nous en mangions tous ; et c’est ça mon conte.
Fulgence FANONY
Le tambour de l’ogre
Littérature orale Malgache
tome 2
L’Harmattan