Conte: Petit-Terrible fils de Grand-Seigneur
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Petit-Terrible fils de Grand-Seigneur
Il était autrefois un grand homme,
Qui ne restait point coi, mais qui point ne cancanait.
Ce n’est pas moi qui mens, ce sont les grands d’autrefois.
La tabatière de bambou cache bien son jeu.
L’homme malhonnête, c’est toujours lui qu’on accuse.
C’est l’histoire d’un enfant de Grand-Seigneur. Ce Grand-Seigneur avait déjà beaucoup d’enfants. Et au bout d’un certain temps, sa femme a été à nouveau enceinte.
Elle était enceinte, mais l’enfant ne naissait pas. On a consulté des devins. Les devins ont fini par déclarer :
- Cet enfant, si on ne recourt pas à Grand-Monstre, il ne naîtra pas.
Alors, on l’a amené chez Grand-Monstre. Une fois-là elle lui dit :
- Je viens ici pour une seule raison : c’est pour te demander de faire naître mon enfant.
Alors Grand-Monstre a répondu qu’il pouvait le faire, mais qu’il exigeait comme honoraires que, quand l’enfant serait grand, il le mangerait.
Et un moment après, il a pris un petit canif, et il l’a glissé dans une banane. L’ayant glissé dans une banane, il l’a fait avaler par la femme. Alors, l’enfant a ouvert le ventre de sa mère, et il est sorti. On l‘a appelé Petit-Terrible.
A sa naissance, il savait déjà parler, il savait déjà marcher. Voyant qu’il marchait déjà, le monstre se disait :
- Dans un an, je le mangerai
. Quelque temps après, au bout d’un mois (il veut déjà le manger) :
- Alors ? Il est déjà assez grand ?
- Non. Attends encore un peu.
Ensuite, quand deux mois se sont passés :
- Alors ? Il est déjà assez grand ?
- Attends encore quelques jours.
Quand quatre mois se sont passés, le monstre revient et demande encore :
- Il n’est pas encore assez grand ?
- Viens le mois prochain, viens ici, tu trouveras les enfants en train de jouer au bord de l’eau. Ce sera celui qui sera habillé en noir. Ce sera celui-là.
- Bien.
Au bout d’un moment, il revient :
- Je viens prendre l’enfant.
- Eh bien, va voir au bord de l’eau.
Or, l’enfant savait qu’il allait venir à ce moment-là. Alors, il avait déchiré un bout du vêtement d’un de ses camarades, et il se l’était vite mis sur le corps. Et le sien, il l’avait caché.
Le monstre revient pour dire :
- Mais, ils sont tous habillés en bleu !
- Reviens dans un mois. Tu les trouveras ici, et celui qui aura une culotte bleue, cette fois ce sera lui. Les autres auront des culottes noires.
- Oui.
Il repart pour un bon moment. Au bout d’un mois, le monstre réapparaît :
- Et maintenant ?
- Bon ! Ils sont en train de jouer au bord de l’eau. Celui qui a une culotte bleue, c’est lui.
- Oui, dit le monstre.
Mais comme l’enfant savait à peu près le moment où le monstre viendrait, il avait déchiré l’habit d’un autre, il l’avait mis, et le sien, il l’avait caché.
- Ouh ! il est là, crient les enfants.
- Mais ils ont tous des culottes noires !
- Reviens dans un mois. Celui qui sera couché au coin de la maison, ce sera lui.
- Oui, dit le monstre.
Quelque temps après, son père était absent, seule sa mère était là. Pour dormir, on a placé Petit-Terrible dans le coin de la maison. Au bout d’un moment, quand sa mère s’est endormie, il l’a soulevée, et il l’a placée dans un coin de la maison, et lui, il s’est mis à sa place.
Et le monstre vient. Il fait juste un petit tour, et il repart. Le lendemain, le père revient et il demande :
- Où est ta maman ?
- Oh ? Le monstre l’a emportée !
- Oh ça alors ! C’est toi Petit-Terrible, qui t’es arrangé pour que le monstre l’emporte ? Hein ! Va-t-en, je te chasse.
Il est parti. Il a marché, marché, marché…, et un peu plus loin, il voit une petite vieille qui était en train de travailler, de sarcler son riz.
- Oh, grand-mère, tu sais, ce que je sais le mieux faire, c’est le sarclage…, c’est ce que je sais le mieux !
Et il dit à la vieille d’aller faire la cuisine.
La vieille se met à faire cuire poulet, canard-tête-lisse, canard de Barbarie, oie, tout !
Et lui, il avait sa manière bien à lui de sarcler : ce n’étaient pas les mauvaises herbes qu’il arrachait, mais le riz. Au bout d’un moment, comme la vieille ne l’appelait pas pour le repas, il est allé la rejoindre pour manger au village. Il lui dit :
- Tu ne veux pas aller voir d’abord le travail que j’ai fait ?
- Oh, nous pouvons bien manger d’abord.
Ils ont mangé, mangé, mangé. Une fois le ventre plein :
- Je vais aller voir le travail, dit la vieille.
- Oui. Et pendant ce temps-là, si je faisais une petite sieste ?
- Bonne idée.
Il a pris toutes les volailles de la vieille, y compris les mères poules qui couvaient ; il a pris aussi les marmites, les assiettes, et il a enveloppé tout ça dans un drap.
Puis il a emporté la casaque de raphia de la vieille, et il est parti. Il a marché, marché, marché, et il est arrivé à un endroit où il y avait une rivière profonde. Il a accroché la casaque de la vieille sur un piquet de bois, qu’il avait taillé en pointe. Et pendant ce temps-là, la vieille était allée voir sa rizière. Elle avait vu les dégâts que Petit-Terrible y avait faits, et elle revenait, en pleurant de rage. En rentrant à la maison, elle voit les choses sous le drap, et elle croit que c’est le garçon qui dort, enveloppé dans le drap.
Pan ! Elle tape dessus. Sih ! Siak, crient les oies.
- Ah ! Tu peux bien imiter le cri des oies, lui crie la vieille. Je vais te tuer aujourd’hui !
Ensuite elle regarde mieux : elle voit toutes ses affaires cassées, les marmites et le reste.
Elle le suit à la trace, elle le suit à la trace, et arrivée un peu plus loin, elle voit sa casaque de raphia qui est là, suspendue.
- Ah ! C’est lui, se dit la vieille.
Elle lui tombe dessus à bras raccourcis. Et lui, il était loin. Il était parti depuis longtemps.
Arrivé un peu plus loin, il avait trouvé des gens qui faisaient une cérémonie coutumière.il s’est mis en posture sous un rocher, un rocher parfaitement immobile (qui surplombait leur village), et il leur a fait croire que c’était lui qui le retenait (pour l’empêcher de s’écrouler).
- Si j’arrête de retenir ce rocher, vous allez tous mourir, allez, fuyez !
Tous les gens ont pris la fuite sans prendre le temps de finir les réjouissances. Et lui, il a emporté le bœuf, et le riz dans les marmites.
Arrivé un peu plus loin, il est tombé sur deux hommes qui venaient d’acheter des allumettes, une seule et unique boîte d’allumettes.
Il leur a dit :
- Je sais que vous avez faim. Voyez ma « brique-qui-cuit-sans-feu ». vous avez vu ça ? Mangez !
(Et il leur a donné le riz qu’il avait volé au village où il y avait la cérémonie.) Ils ont mangé, mangé, mangé. Quand ils ont eu le ventre plein, il leur a dit :
- Elle ne coûte qu’une boîte d’allumettes, vous savez les gars.
Et justement les deux avaient une boîte d’allumettes. Ils lui ont donné leurs allumettes, et ils ont pris la brique. Arrivés un peu plus loin encore, les deux ont eu faim. Ils ont mis leur riz dans l’eau, et posé leur marmite sur la brique-qui-cuit-sans-feu ». le riz se délitait dans l’eau, mais il ne cuisait pas…
Et lui, pendant ce temps, il avait continué son chemin, et il emportait la tête du bœuf (qu’il avait volé là-bas). Il l’avait piquée sur un pieu.
Et il a rencontré deux hommes qui voulaient acheter un bœuf. Et pour acheter ce bœuf, ils avaient emporté trente-cinq mille francs.
- Eh, nous achetons un bœuf, disent-ils.
Le garçon leur a dit :
- J’ai justement un bœuf, là, un gros !
Et il les a conduits le voir. Et il secouait une liane qui était attachée au pieu. Et la tête du bœuf s’agitait, comme s’il allait leur sauter dessus.
Il se tourne vers eux, et il leur dit :
- Il est là, les gars.
Il avait déjà pris l’argent. Il était parti.
Un peu plus loin, il trouve sur son chemin un Grand-Seigneur qui était en train de tailler une pirogue. Il lui dit :
- Ah, grand-père, justement, les pirogues, c’est ce que je sais le mieux !
Et il se met à travailler à la pirogue, et il y travaille bien, vraiment très bien. (Alors, Grand-Seigneur le laisse travailler seul.) Et au bout d’un moment, un tout petit garçon vient l’inviter à manger.
Quand il a vu arriver le gamin, il a pratiqué une grande fissure à travers la pirogue, il a écarté le bois, et il a coincé dedans la cuisse du petit qui était venu l’inviter. (Puis il est parti tranquillement manger avec les hommes de Grand-Seigneur.)
- Et où est-ce qu’il est passé, le petit garçon qui est venu t’inviter à manger ?
- Il est resté là-bas, tellement il était frappé de voir comme j’ai bien taillé la pirogue !
Ils sont allés appeler le petit garçon, et ils l’ont trouvé là, retenu par la cuisse, coincé dans la pirogue. Quand ils sont revenus, ils ont trouvé que Petit-Terrible était encore là. Aussitôt, ils se sont saisis de lui, et ils l’ont attaché dans un sac. Et après le repas, ils vont aller le jeter à l’eau.
(Mais ils le laissent un peu à l’écart sur le chemin, pendant qu’ils finissent de manger.) A ce moment, passe sur le chemin un petit Höva qui conduisait un grand troupeau de bœufs. Il lui demande :
- Qu’est-ce que tu es en train de faire ici ?
- Je gagne de l’argent. Je ne fais que compter les mois (et attendre le salaire qui tombe à chaque fin de mois).
Et il ajoute :
- Et toi, tu ferais bien d’y entrer.
Le Höva s’est mis dans le sac. Et alors, l’autre est parti, en poussant les bœufs devant lui.
- Ne les emmène pas trop loin ! (C’est la recommandation du malheureux Höva, enfermé dans le sac).
- Mais non, je vais seulement les garder un peu plus loin.
Quelques temps après, Grand-Seigneur revient pour le jeter à l’eau.
Quand il l’emmène, (le Höva crie) :
- Mais ça n’est pas moi ! Mais ça n’est pas moi !
- Pas la peine de te fatiguer à imiter l’accent des Höva ! De toute façon, tu vas finir au fond de l’eau, aujourd’hui !
On le jette à l’eau. Les bulles montent à la surface.
Quelques jours après, on le voit revenir (avec à la main les trente-cinq mille francs des acheteurs du bœuf).
- Au moment où vous voyiez les bulles sortir de l’eau à l’endroit où vous m’avez jeté, dit-il, c’est que j’étais en train de compter de l’argent (dans la demeure des ancêtres, qui souhaitent que vous leur rendiez visite).
- Dans ce cas, dit Grand-Seigneur, allons-y, les gars.
Ils y sont tous allés, avec les enfants de Grand-Seigneur, avec ses esclaves. Et une fois arrivés là (ils se font mettre dans des sacs et jeter à l’eau les uns après les autres). Il explique :
- Quand vous avez l’impression que les bulles remontent, c’est qu’ils sont en train de compter de l’argent !
Et la première femme de Grand-Seigneur dit alors :
- Je veux y aller, moi aussi.
On l’a mise dans un sac elle aussi, et on l’a jetée à l’eau. Il explique :
- Regardez bien, elle compte de l’argent
Ensuite il a parlé (à la deuxième femme ; parce que la deuxième femme avait compris…) :
- Dis-moi où sont toutes les richesses de Grand-Seigneur. Si tu ne me le dis pas, je te fais tuer.
Elle le lui dit. Et ensuite :
- Si tu ne viens pas avec moi, je te fais tuer.
(Il s’est emparé ainsi non seulement de la fortune de Grand-Seigneur, mais aussi de sa petite épouse, la préférée…)
Alors le garçon est rentré, avec la femme, à l’endroit où se trouvait son père, et il est devenu un grand richard en arrivant là-bas.
Tel est mon conte.
- Que tous ceux qui ne disent pas « conte, conte »
Soient pauvres loqueteux sous le toit de leurs beaux-parents !
- Conte, conte, et zut !
Fulgence FANONY
L’Oiseau Grand-Tison
Et autres contes Betsimisaraka du Nord
Littérature orale Malgache
tome 1
L’Harmattan