Conte: Pourquoi le chat et la souris sont ennemis - Raymond DECARY
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Pourquoi le chat et la souris sont ennemis
Conte Masikoro, recueilli à Marolafiky
Il existait autrefois un groupe d'animaux comprenant un porc, un coq, un canard domestique (l), une souris et un chat.
Ces animaux étaient des compagnons de demeure dans un endroit désert près du bord de la mer.
Un jour, du temps de l'antiquité, ne trouvant plus de quoi manger, ils fabriquaient en commun un boutre fait en croûte.
Ayant fini de fabriquer ce moyen de transport, car disaient-ils, nous pourrons visiter de pays en pays le monde entier, ils se mettaient à l'œuvre, mettre les mâts, les cordages et tout ce qui est nécessaire pour ce boutre.
Le chat, grand sorcier de cette assemblée, était désigné pour deviner le jour faste. Le mardi (2) était choisi comme jour de départ en faisant sortir ce boutre par l'embouchure.
Pendant cette circonstance, de grandes vagues se succédaient à frapper le boutre.
Le coq qui était chargé de regarder les vagues, criait : « Tike riaka ! » (3), sous forme de chant, c'est à dire : Voilà des vagues, prenez garde, mes amis ! En entendant ce cri, tous les animaux du boutre s'étaient levés en sursaut.
Le porc, leur patron, disait : « Lof ! Lof ! » Cela veut dire : Retournez vite ce boutre (4), et le coq continuait incessamment son cri plaintif.
Le canard musqué disait à son tour : « Heha ! Heha ! », c'est à dire qu'il est très étonné de ce dérangement.
La souris ne faisait que se moquer de ses condisciples (5) et riait aux éclats : « Ki ! Ki ! Ki ! », manière de railler.
Et le chat de son côté forçait ses condisciples à lui donner immédiatement le cordage de la voile afin de pouvoir tourner le boutre facilement, et lui il disait aussi : « Mao ! Mao ! » (6) ; cela veut dire : Donnez donc les cordages !
Par plusieurs négligences, une malchance leur survenait à ce moment et le boutre coulait.
Tous les animaux se mettaient à la nage et ont pu atteindre le rivage, sauf le chat assez timide et d'une lenteur extrême, qui se débattait dans l'eau. Tous ses camarades riaient des mouvements du chat.
Etant allé sur le rivage, il cherchait querelle à la souris, puisque c'était la plus petite parmi eux. La souris se taisait d'un air inquiet, et trouva de suite un truc pour pouvoir tuer le chat.
« Si vous vous croyez fort, disait la souris, nous allons nous brûler un peu dans cette broussaille (7).
- Moi, disait le chat robuste, je peux faire cela mieux que toi, pauvre bête ».
La souris, plus rusée, se proposait la première pour être brûlée. Elle a pu entrer dans un trou de bête et a pu ainsi sauver sa vie.
Mais à son tour, le chat était brûlé.
Quand le feu fut éteint, la souris emporta sa viande cuite (8) pour être vendue aux enfants et à la famille du chat.
Un petit, plus curieux, put reconnaître tout de suite que cette bête et ces pattes ressemblent bien à celles de son père le chat, qui était tué par la souris.
La famille pleurait amèrement, mais la souris riait de ces animaux.
Pour se venger de ce- que la souris a fait sur leur soutien de famille, on la poursuivait pour être mangée, mais celle-ci entrait aussitôt dans un trou.
Depuis lors, les descendants du chat et de la souris sont ennemis, et à chaque rencontre, le chat mange impitoyablement la souris en souvenir de son ascendant tué par la souris, et on peut voir jusqu'aujourd'hui qu'ils sont encore adversaires (9).
Notes :
(1) Le canard musqué ou canard de Barbarie est appelé par les Malgaches dokotra, du terme anglais malgachisé duck. On rencontre en outre dans l'ile le canard ordinaire et les races Rouen, Pékin, Aylesburg. On obtient, de leur croisement avec le canard de Barbarie, de beaux individus appelés par les Malgaches sarindokotra. Le canard musqué est surtout apprécié des autochtones. Pour l'engraissement, on procède rarement par gavage ; on se contente d'enfermer les bêtes dans un espace limité où on leur donne beaucoup à manger ; ce procédé est plus humain que le gavage pratiqué couramment en Europe.
(2) Dans la plupart des tribus malgaches, le mardi est généralement un jour faste.
(3) Ti ou tiki, ici ; riaka, vague.
(4) Pour lui donner une direction lui permettant de résister à la vague. Il est à remarquer, qu'en français, le lof est le côté d'un navire frappé par le vent. Il y a là un curieux rapprochement entre le terme de marine et le grognement du cochon qui s'en rapproche un peu.
(5) Ce mot « condisciple » montre l'influence scolaire. Je rappelle que les les contes de cet ouvrage ont été recueillis par les élèves des écoles du Sud-ouest de Madagascar.
(6) Omeo, donne. Le miaou des chats français correspond à l'omeo des chats malgaches. C'est pourquoi le chat est considéré comme un grand quémandeur ; sans cesse il répète omeo, omeo, donne, donne.
(7) Qu'elle avait allumée auparavant.
(8) La viande du chat.
(9) On trouve, dans les diverses tribus, plus d'un conte explicatif de l'origine de l'inimitié existant entre le chat et la souris ou le rat. Le conte se rapprochant le plus de celui rapporté ci-dessus se rencontre chez les Betsimisaraka. On y trouve indirectement l'explication du boutre construit « en croûte » dans le conte Masikoro, et qui parait à première vue incompréhensible. Dans Vangano des Betsimisaraka, un chat et un rat, pour traverser un immense fleuve, ont fabriqué une pirogue avec une énorme patate. La traversée étant longue, la faim régna bientôt sur le bateau, le rat rongea en cachette la patate pour se restaurer, fit un trou dans le fond et la pirogue coula. Le rat, bon nageur, gagna rapidement la rive, mais le chat faillit se noyer. Pour se venger, il mangea le rat, d'où l'inimitié de leurs descendants. La croûte, bien qu'elle ne soit pas mangée dans le conte Masikoro, où la voie d'eau est remplacée par une tempête, est sans aucun doute une réminiscence de la patate Betsimisaraka.
Contes et légendes du Sud-Ouest de Madagascar
Raymond DECARY