Conte: Pourquoi le père peut prétendre à plus d’influence sur l’enfant que la mère - Raymond DECARY

Publié le par Alain GYRE

 

Pourquoi le père peut prétendre à plus d’influence sur l’enfant que la mère

Conte Mahafaly, recueilli à Betioky

Un jour, dit-on, un homme avait frappé son fils, qui était un peu désobéissant. Cet enfant avait cinq ans. La mère fut bien affligée en voyant son fils pleurer et dit :

« A l'avenir, je n'admettrai plus que mon enfant soit frappé cruellement comme aujourd'hui»

L’homme qui fut le plus bon du monde, ne ré- pondit mot.

Un jour, l'enfant tomba malade. Tout de suite, on appela l'ombiasa (l) pour le voir et lui donner le remède convenable. Malgré cela, la maladie de l'enfant s'aggravait. On alla même trouver l'ombiasa du roi, mais lui non plus ne peut guérir l'enfant. L'inquiétude des parents fut grande car l'enfant devenait plus malade, et pour comble de malheur, commença à agoniser.

« Qu'allons-nous faire de ce fils unique, dit le père, car le voici commençant à agoniser ».

L'enfant en effet devint tout pâle et on put reconnaître sur son visage languissant l'empreinte de la mort future. Ce fut alors que le père put songer à aller trouver le Zanahary, créateur du bonheur et du malheur, car c'est lui, dit-on, qui peut guérir les plus graves maladies et peut même ressusciter les morts.

La femme n'y crut pas, elle ne fit que verser des larmes qui mouillèrent les joues livides du petit patient. Enfin la femme dit :

« Oserez-vous vous hasarder auprès de ce Zanahary cruel car lui, dit-on, ne manque pas de lancer de la foudre (2) pour brûler quiconque s'approcherait de sa de- meure ? »

L'homme n'y répondit rien.

Tout de suite, il prit l'enfant et courut comme un fou vers la demeure du Zanahary. De loin il aperçut un colossal animal courant vers lui et qui voulait le manger vif. Il n'y songea point, il courut droit vers Zanahary tout en jetant constamment un regard inquiet sur son fils chéri. Enfin il ne vit plus l'animal.

En route, il rencontra maints obstacles : il traverse une rivière peuplée de caïmans, il parcourt une plaine toute couverte de cactus (3) qu'il fallait traverser, etc.

Enfin il aperçut la grande maison du Zanahary. En arrivant tout près de la demeure du Zanahary, l'homme tourna la tête et aperçut que sa femme le suivait derrière. Il l'attendit. L'enfant devint tout froid mais avait un peu de vie. Tous deux ils s'approchèrent de la maison de Zanahary. Ils virent que Zanahary se promenait dans la cour. Ils voulurent entrer, mais aussitôt qu'ils eurent mis le pied au seuil de l'entrée la foudre éclata et ils tombèrent évanouis.

Zanahary arriva auprès d'eux et les réveilla. Etant réveillés, ils trouvèrent que leur enfant fut complètement mort. L’homme se désola, s'arracha les cheveux tout en criant, et se jeta aux pieds de Zanahary en le suppliant de faire revivre son enfant, « car j'ai appris que tu sais ressusciter les morts » lui dit il.

Le Zanahary ému lui dit :

« Va courir tout nu dans cette forêt qui est au nord du village, et coupe la branche que tu rencontreras la première, et apporte la moi ici. »

La femme répondit :

« C'est à moi le tour maintenant, car mon mari est tellement fatigué que le voilà tout essoufflé.

- Vas-y », dit Zanahary.

Mais arrivée au village qu'il fallait traverser, les gens lui criaient :

« Ho ! ho ! venez voir une folle qui va toute nue ! »

La femme eut honte et revenait sans avoir rapporté la branche.

En voyant cela, l'homme courut, nu, comme un fou encore, et allait droit vers le village pour aller dans la forêt.

Tout le monde criait haro sur lui, mais il n'y fit point attention car il songe toujours à son enfant. Comme un éclair, il arriva dans la forêt et coupa la première branche qu'il rencontre et revint beaucoup plus vite encore vers la maison du Zanahary.

Arrivé là, il donna la branche à ce dernier qui lui déclara que la branche qu'il porte, c'est celle de la mort, et en conséquence son enfant ne revivra plus.

A ce mot, il tomba comme foudroyé et s'évanouit.

Enfin il reprit connaissance et quelle fut sa joie quand il revit son être chéri debout à côté de lui.

Le Zanahary lui dit :

« Voici ton enfant ; je vois bien maintenant combien tu l'aimes, car tu oses même donner ta vie pour lui. Tu n'as pas songé à ta honte en courant tout nu pour le sauver, tandis qu'avec ta seule femme il aurait été perdu. La mère est là seulement pour le nourrir. Vous pouvez partir maintenant ».

Voilà pourquoi, dit-on, le père peut disposer de son enfant beaucoup plus que la mère, et pourquoi il a le droit principal.

Notes :

(1) Sorcier.

(2) Les Malgaches redoutent les manifestations de la foudre, contre laquelle il existe des ody ou talismans protecteurs. Dans les tribus de l'Est, par exemple, notamment chez les Tanala, le sclérote volumineux de l'olatafa qui est le champignon Lentinus tuber regium, est rapé, et la poudre obtenue est diluée dans l'eau. Quand éclate un orage d'une violence inquiétante, les indigènes absorbent un peu de cette pâte, et, au passage d'un éclair, la crachent vers le ciel en criant : Fotaka tnalemy » (boue molle) et ce procédé doit rendre le tonnerre « mou comme de la boue ».. Il existe d'autre part des sorciers qui ont la spécialité de « repousser » les orages. Les Merina autrefois, pour se protéger de la foudre, enduisaient de boue le pilier central de la case. Ils ne devaient alors pas prononcer le mot « éclair » (helatra ou helabaratra) mais le remplacer par le mot boue (fotaka). On ne devait également introduire dans la maison ni mouton ni chien ; il était enfin dangereux alors de s'appuyer au mur. Les Merina possédaient aussi une sorte de vaccination contre la foudre. Chez les Tsimihety existaient des « charmeurs de foudre ». En cas d'orage violent, le « spécialiste » sortait dans le village, tenant à la main une calebasse pleine d'eau, qui contenait des amulettes spéciales. Il aspergeait le sol avec l'eau en prononçant ces paroles : « 0 ! 0 ! Voici Bibaka, voici Barabaha ! Ce bibaka est cuit au feu, ce barabaha est rôti. Oyez, vous, Tsingilo, roi des cieux ; la montagne là-bas appartient à ma famille ; elle ne doit être ni mouillée par la pluie ni couverte de grêle. Qu'elle devienne grêle, la pluie qui y tombe. Andranovo est la montagne que je vous donne : allez y tomber. Comme je vous possède, ô mes amulettes, je n'ai pas peur de mes ennemis. Oyez, foudre que j'appelle Ralemy (lemy = mou, paralysé), sortez de mon pays, retirez-vous de mon village, car ici je ne vous donne pas un pouce de terre de mon pays ou de mon village ». Chacun, enfin, peut posséder des ody ou charmes contre la foudre ; on les conserve dans une petite corbeille en raphia suspendue au toit ou au pilier central de la case.

(3) En réalité, à l'époque légendaire, les cactus ou raiketa n'existaient pas. Ils furent importés de la Réunion à Madagascar vers 1769 par le Comte de Modave et se répandirent alors en quantité prodigieuse dans tout le sud de l'ile, rendant, en certains endroits la brousse impénétrable. En 1924, une cochenille fut introduite, également de l'ile de la Réunion, d'abord à Tananarive où elle détruisit les cactus qui existaient alors dans les fossés de la ville, puis à Tuléar d'où, en quelques années, elle gagna l'Androy, faisant disparaître rapidement les raquettes, tant elle s'était multipliée avec une fantastique abondance. Cette destruction foudroyante d'une végétation par un insecte représente le phénomène biologique le plus curieux auquel on ait assisté à Madagascar

Contes et légendes du Sud-Ouest de Madagascar

Raymond DECARY

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