Conte: Pourquoi on enterre les morts

Publié le par Alain GYRE

Conte: Pourquoi on enterre les morts

 

Au temps jadis, dit-on…

Ce n’est pas moi qui mens, mais les grands d’autrefois,

Sire-Rat s’est rincé la bouche,

A force de se laver la figure,

Dame-Courtilière a gagné tête chauve,

Et lui n’a plus que deux dents.

Au commencement, dit-on, il n’y avait personne sur cette terre, il n’y avait aucun être, sauf Dieu et Ratovoana.

Dieu régnait dans le ciel, tandis que Ratovoana commandait sur la terre.

Et ce Ratovoana, donc, habitait tout seul, dit-on, sur cette terre. Il n’avait pas de compagnon. Ainsi donc, puisqu’il n’avait rien à faire, Ratovoana prit de la glaise ; il pétrit cette glaise pour en faire un petit bonhomme. Mais cette chose, que Ratovoana avait faite, restait sans mouvement. Alors, il partit, dit-on, voir Dieu d’en haut. Et Ratovoana expliqua à Dieu d’en haut ce qui le tracassait.

- Mon ami, je m‘ennuie là-bas, tout seul ! J’ai besoin d’un compagnon, la terre est trop vaste.

J’ai pris de la terre glaise. Je l’ai pétrie et je l’ai modelée à notre ressemblance. Cependant, il reste une petite chose par laquelle elle ne nous ressemble pas, c’est qu’elle ne bouge pas, mon ami, et qu’elle ne parle pas.

Dieu d’en haut répondit :

- Si c’est cela seulement qui te fait de la peine, ne crains rien. Je peux faire marcher et faire parler tout ce que tu as fabriqué là. Prends le tout, et apporte-le sur la montagne la plus haute, et je descendrai pour lui donner le souffle de vie.

            Toutefois, moi, je te prête seulement le souffle de vie, car j’en suis le seul maître. C’est ce qui fait que je suis Dieu, et tu vois bien que toi, tu es incapable de créer cela.

Ratovoana, avant de se séparer du Créateur reconnut :

- Oui, c’est vrai que toi seul peux créer ce souffle de vie. Aussi tu en es vraiment le maître ; si je savais le fabriquer, je ne serais pas monté ici chez toi. Mais moi, de mon côté, je suis le maître du corps ! Parce que c’est de terre que j’ai façonné cet être, et non de nuages.

            Si tu lui reprends le souffle, son corps, mon ami, devra me revenir, à moi qui l’ai fait !

            Dieu répondit à Ratovoana :

- J’accepte ta demande (…). Mais maintenant retourne à ton village, rejoins la terre, qui est à toi.

            Mais n’oublie pas, ami, que je suis le maître de son souffle de vie, et ne t’étonne pas si je reprends ce qui m’appartient ! Toutefois, n’aie pas peur, je ne les reprendrai pas tous à la fois, parce que tu te retrouverais tout seul. Cela signifie que je donnerai la vie à certains, et que je l’ôterai à d’autres. N’aie pas peur, chacun aura sa juste part, chacun de ces hommes que tu as fabriqués là.

            Selon les clauses convenues entre Ratovoana et Dieu, dès que Ratovoana eut placé les choses qu’il avait fabriquées sur le sommet du mont Manjöla, Dieu vint, à ce qu’on dit, et quand Dieu eut soufflé le souffle de vie dans les narines de ces figurines, il se fit qu’elles avaient la vie : elles marchaient, et elles savaient parler.

            Cela fait, Dieu dit à Ratovoana :

- je ne pourrai, pas descendre tous les jours ici chez toi. Et je ne sais comment faire. Parce que, comme je te l’ai dit, un jour, je retirerai de ces êtres le souffle de vie que je leur ai donné, et qui seul leur permet de vivre.

- S’il en est ainsi, reprit Ratovoana, tu leur donneras la vie et la leur enlèveras simplement depuis le ciel. Tu prendras ta part, je reprendrai la mienne.

            Voilà, dit-on, pourquoi, quand quelqu’un meurt, il faut l’enterrer, et quand on l’enterre, sa chair redevient terre, revenant à Ratovoana, maître de la terre. Quant au souffle de vie, il est repris par Dieu parce que c’est un prêt. C’est Dieu qui en est le propriétaire incontesté.

 

Fulgence FANONY

L’Oiseau Grand-Tison

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Littérature orale Malgache

tome 1

L’Harmattan 

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