Conte: Rajaribe et Ratovoana

Publié le par Alain GYRE

 

Rajaribe et Ratovoana

 

            Rajaribe, le maître du ciel, de la lune et de toutes les étoiles, habitait au-dessus des nuages, là où aucun regard humain ne pouvait atteindre.

            Ratovoana, quand à elle, est la maîtresse de la terre, des montagnes et de toutes les vallées : elle habitait là-bas dans les entrailles de la terre. Elle est la Déesse d’en bas, celle qu’on a toujours l’habitude d’invoquer avec Rajaribe lorsqu’on fait le Jôro.

            La première Divinité est le mâle ; la seconde, la femelle. Et chacun alors vivait de son côté. (En ce temps-là, il n’y avait pas encore d’hommes, ni aucun de ces êtres vivants que nous voyons actuellement.)

            Ratovoana souffrait de solitude dans sa résidence. Alors, elle sortit des entrailles de la terre pour habiter au sommet de la plus haute montagne. Mais là encore, elle souffrait toujours de lasolitude, exactement comme quand elle était à l’intérieur de la terre. Elle prit de la glaise qu’elle pétrit minutieusement pour en obtenir une forme humaine.

            Parmi ces figurines humaines, il y arrivait de leur parler chaque fois qu’elle se trop seule.

            Rajaribe était également seul, là-haut dans ses nuages. Alors, il s’est mis à descendre un petit peu de chez lui. Il vit ainsi Ratovoana, alors que cette dernière était fort occupée à jouer avec les figurines humaines qu’elle avait pétries. Rajaribe fort étonné, lui fit part de son désir de jouer cette fois-ci avec elle.

            Voici la réponse de Ratovoana :

- J’accepte volontiers ta demande, mais il faut d’abord que tu rendes vivantes toutes ces figures que j’ai fabriquées. En effet elles ne peuvent pas se mouvoir et parler comme nous. Si tu arrives à faire cela, alors je n’ai plus à leur parler puisqu’elles pourront désormais s’entretenir entre elles. Dans ce cas, nous aurons tous les deux le loisir de jouer ensemble. Nous pouvons entendre ce que se disent ces figurines humaines, mais elles ne peuvent pas entendre ce que nous disons.

            Rajaribe accepta la proposition de Ratovoana. Il prit les figurines humaines une à une, puis souffla dans narines : ainsi les hommes furent dotés de souffle vital et devinrent des êtres vivants. Ensuite, il humecta de saleur langue : les hommes se mirent également à parler.

            Ratovoana, transportée de joie en même temps qu’étonnée, finit par accepter Rajaribe. Les hommes furent doués de vie et de parole. Quant à eux, ils réunirent dans un même « jeu ».

            Toutefois, Rajaribe avait posé une seule condition à Ratovoana ; celle de ne plus adresser la parole à personne d’autre qu’à lui-même.

            La déesse d’en bas avait répondu :

- Ne t’en fais pas. Pourquoi adresserais-je désormais la parole à quelqu’un d’autre, puisque te voici maintenant avec moi ?

            Entre Rajaribe et Ratovoana, dit-on, les choses allaient à merveille. Avec cela, les hommes se multipliaient : certain plus avaient mis au monde des garçons, d’autres des filles. Le souffle vital était intarissable. Les arbres se mirent également à pousser et tout fut doué de vie.

            Bien longtemps plus tard, Ratovoana oublia l condition exigée par Rajaribe : elle ne put s’empêcher de parler à quelqu’un d’autre que Rajaribe.

            Le Dieu d’en haut se fâcha et déclara qu’il allait rentrer chez lui. Toutefois, avant de s »en aller réellement, il dit à la déesse d’en bas, c’est-à-dire à Ratovoana :

- Je m’en vais, aussi allons-nous faire le partage des humains ; les hommes seront à toi et les femmes à moi. Ainsi, chacun aura sa part.

Ratovoana répliqua de cette façon :

- Il n’est donc plus possible de te retenir ! Dans ce cas, nous allons effectivement procéder au partage des humains. Cependant, ils sont encore peu nombreux en ce moment, aussi te demanderai-je d’attendre un peu. Nous les partagerons, bien sûr, mais un peu plus tard.

            Et voici ce que répondit Rajaribe, mettant ainsi fin à la discussion :

- Je ne peux pas patienter jusque-là. Je vais partir tout de suite.

            A peine avait-il dit ces mots, qu’il était déjà parti. Bien longtemps après, il est revenu pour prendre sa part. Mais.  Ratovoana n’était toujours pas d’accord. Elle demandait toujours à ajouter la date du partage des humains.

            Alors Rajaribe s’est fâché de nouveau, car il était rentré les mains vides. A partir de cet instant, il a commencé à prendre un à un les humains mais sans les exterminer tous d’un seul coup. Il en prenait un peu de chaque côté : parmi les femmes, parmi les hommes, parmi les nouveau-nés, parmi ceux qui sont d’une extrême vieillesse, parmi les adolescents, ou parmi ceux qui ont déjà les cheveux grisonnants. Eh oui, c’est lui seul qui sait comment il agit.

            C’est ainsi, dit-on, que les humains doivent mourir. Avant cela, la mort n’existait pas encore, à ce qu’on dit.

            Souffle vital et parole : ce sont les deux seules choses que Rajaribe reprend chez les humains, car ces choses lui appartiennent en propre. Dès que le souffle vital s’en va, le corps se refroidit aussitôt, et on perd par la mêle occasion la parole. Personne ne sait comment faire pour produire du souffle vital, et on ignore d’ailleurs le jour où Rajaribe viendra réellement nous le reprendre.

            Quand au cadavre, on le remet à Ratavoana, car le corps est ce qui lui appartient : par là s’explique le fait que les humains enterrent leurs morts.

            Malgré tout cela, Rajaribe revient de temps en temps des hauteurs, parce que les vivants l’ont invoqué lors d’un Jôro ; cela, pour lui demander des bienfaits et des ressources vitales, pour qu’il permette à tout un chacun de jouir le plus longtemps possible de la vie  dès qu’on termine le Jôro, il retourne aussitôt chez lui. C’est pourquoi on ne doit pas le retenir plus longtemps, aussi le prie-t-on de reprendre aussitôt son échelle d’or.

            Mais il se peut également que Ratovoana monte chez Rajaribe, là-haut dans les nuages invisibles : on dit que c’est avec son échelle d’or qu’elle y monte et qu’elle en redescend une échelle encore plus glissante que la langue. La raison de sa visite, là-haut chez Rajaribe, affirme-t-on, c’est de lui remettre sa part des offrandes venant des humains, chaque fois que ces derniers lui demandent des bienfaits et des ressources vitales. Elle ne s’attarde pas non plus là-haut, car à peine arrivée, elle redescend aussitôt.

            Jusqu’à présent, Rajaribe et Ratovoana n’arrivent pas encore à s’entendre réellement, c’est pourquoi les hommes continuent toujours de mourir. A peine se voient-ils qu’une dispute éclate déjà entre eux, incapables qu’ils sont de nouer un véritable dialogue. Si c’est en haut que cette dispute a lieu, on entend les coups de tonnerre se déchaîner. Toutes ces pluies qui tombent ne sont rien d’autres que les larmes de Ratovoana après chaque dispute avec Rajaribe. C’est rare en effet que quelqu’un vienne à mourir sans qu’il ne pleuve un petit peu : la tristesse de Ratovoana est également, dit-on, la cause de cela.

            S’ils se disputent entre ciel et terre, cela provoque des cyclones ; les arbres sont cassés et le sol est raviné. Nombreux sont en effet les morts à ce moment-là ! Si par ailleurs ils se disputent dans les entrailles de la terre, c’est alors le tremblement de terre ; les blocs de rocher fissurés, les maisons entièrement détruites. Beaucoup mourront également à cause de cela !

            Ce n’est pas moi qui mens, ce sont les grands hommes d’autrefois, et loin de moi l’idée de vouloir tromper.

            Telle est l’origine de la mort et du rituel de l’ensevelissement des morts.

 

Fulgence FANONY

Le tambour de l’ogre

Littérature orale Malgache

tome 2

L’Harmattan 

 

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