Conte: Rambahoaka Fort et Rambahoaka Poltron - Raymond DECARY

Publié le par Alain GYRE

Rambahoaka Fort et Rambahoaka Poltron

Conte Antanosy, recueilli à Bezaha, district de Betioky

 

Il y avait, dit-on, deux rois appelés Rambahoaka.

Le premier était très fort, courageux, tandis que l'autre était très poltron et faible.

Le premier Rambahoaka avait sept enfants qui étaient tous des garçons courageux et forts comme leur père. Celui-ci avait beaucoup maltraité le deuxième Rambahoaka à cause de la faiblesse et de la poltronnerie de ce dernier.

Quand Rambahoaka poltron avait une belle femme, le premier prenait par force cette femme pour lui.

Quand Rambahoaka poltron avait des bœufs, celui-ci dérobait les bœufs de Rambahoaka poltron.

Quand Rambahoaka poltron avait de belles rizières et de beaux champs, Rambahoaka fort prenait cela pour lui.

Quand la mauvaise femme de Rambahoaka poltron avait mis des enfants au monde, Rambahoaka fort tua ces enfants impitoyablement.

En résumé, tout ce qui appartenait à Rambahoaka fut enlevé par Rambahoaka fort à son profit personnel, et le deuxième Rambahoaka restait toujours pauvre et misérable.

Rambahoaka poltron avait mal à la jambe droite qui s'enflait beaucoup pendant neuf mois, mais cette jambe gonflée et lourde ne lui faisait pas beaucoup mal. Rambahoaka fort se moqua de Rambahoaka poltron et disant que celui-ci va mourir de cette maladie.

Un jour, fatigué de porter cette jambe grossie et lourde, il a frappé du pied sur le seuil de la porte d'entrée du village (vavahady) (1) pour la casser ; alors deux petits bébés en tombaient.

Il était très content d'avoir des enfants et fit élever ceux- ci par une personne de confiance, afin que Rambahoaka fort ne puisse pas connaître qu'il a deux petits enfants.

Il appelait son premier fils Tambarakasa, car il était né sur le seuil de la porte d'entrée du village. En langue Tanosy, varakasa signifie porte d'entrée d'un village ; et vovitsy, mollet ; donc le deuxième fut appelé Tamboavitsy, car il venait du mollet.

En grandissant, les deux enfants devenaient très intelligents et courageux. Ils apprenaient à la campagne les batailles à coups de sagaie, donc ils comprenaient bien la façon de parer aux coups. En faisant cela tous les jours et sans cesse, ils étaient très habiles à la bataille à coups de sagaie. Ils se rendirent un jour chez les sept enfants de Rambahoaka fort, qui gardaient des bœufs à la campagne, et y cherchèrent des ergoteries (2). Donc les sept garçons de Rambahoaka fort étaient furieux et leur disaient qu'ils allaient se combattre à coups de sagaie. Les sept garçons de Rambahoaka fort étaient vaincus car ils n'étaient pas habitués à cette bataille.

Les sept garçons décampaient (3) au village de leur père en lui disant qu'il y avait deux fort garçons qui ont pu les vaincre, au village de Rambahoaka poltron.

Rambahoaka fort recommanda à ses sujets de chercher l'un de ces deux garçons et de le mettre dans un trou profond, puis de le combler pour le faire mourir.

Les sujets du roi cherchèrent l'aîné appelé Tambarakasa et l'emmenèrent devant le roi. Avant de partir, Tambarakasa a recommandé à son cadet de cultiver un pied de safran et de gingembre et lui dit de les arroser toujours, car, si cela pousse merveilleusement, il ne mourra pas, quand même on va le tuer en arrivant au village de Rambahoaka fort.

Tambarakasa a aussi emporté en cachette dans son lamba une petite lame d'angady (4) et un fort canif.

En arrivant au village de Rambahoaka fort, on jeta Tambarakasa dans le fossé, et avant qu'on le comble, il dit à tout le monde : « Attendez un peu, je vais m'habiller avec mes vêtements ».

Puis il creusa tout de suite un trou vers le bord du fond de ce fossé, pour qu’il ne soit pas pris par les mottes de terre avec lesquelles on va combler le trou.

Tout le monde lui demanda s'il s'est déjà habillé de ses vêtements et il répondit : « Non, attends un peu », puis il continua à creuser son trou de refuge. Le trou étant fini, il dit à tout le monde : « Adieu à ma famille et à vous tous ; je vais mourir ».

Tout le monde combla le trou et crut que celui-ci était mort.

Mais Tambarakasa, comblé (5) dans le trou, continua à creuser ce trou obliquement pour revenir à la surface de la terre avec sa lame d'angady qu'il a emportée.

Après un mois, il revenait à la surface de la terre et ne voulut pas d'abord demeurer au village de son père Rambahoaka poltron. Il s'installait définitivement dans un village loin de celui de son père.

Le cadet de Tambarakasa arrosait le safran et le gingembre qu'il a plantés et ceux-ci poussaient merveilleusement. Il était bien assuré que son aîné n'était pas mort, car les plantes poussaient.

Tambarakasa se mariait avec une femme de son village et eut deux garçons qu'il appela Resotria et Malosotry, car c'était pendant son existence malheureuse qu'il avait pu avoir ces enfants. Quand ses enfants étaient tous grands, il revenait au village de son père avec toute sa famille et ses cohabitants pour se combattre avec Rambahoaka fort.

Rambahoaka fort et ses sujets furent vaincus et gardés comme esclaves de Rambahoaka poltron.

C'est pourquoi, dit-on, qu'il ne faut pas maltraiter les faibles ou bien se moquer de ce qui est dans le malheur, car le proverbe malgache dit : Ny tody tsy misy la ny atao no miverina. Ou, en français : Point de vengeance, mais c'est l'action qui retourne.

 

Notes :

(1) Vavahady, littéralement: bouche du fossé (vava, bouche; hady, fossé). Beaucoup d'anciens villages, surtout sur les plateaux où la latérite atteint une grande épaisseur, s'entouraient de fossés interrompus par une ouverture garnie d'une porte donnant accès au village. Cette porte, formée d'un cadre de pierre, pouvait en cas de danger être fermée par un lourd disque de pierre qui était roulé devant l'ouverture. Dans l'Ouest, la nature sablonneuse du sol empêchait de creuser des hady qui étaient remplacés par des ceintures d'arbres épineux, de raiketa qui étaient de hauts cactus, ou même des poteaux pointus. La porte d'entrée avait alors un simple cadre de bois et l'ouverture était barricadée le soir à l'aide de planches grossières, ainsi qu'on le faisait, d'autre part, pour les parcs à bœufs qui se trouvaient dans les villages eux-mêmes.

(2) Des disputes.

(3) Et retournaient.

(4) L'angady, qui porte en dialecte côtier du Sud-Ouest le nom de fatigale, est la bêche malgache. Le manche et le fer en sont plus longs que ceux de la bêche européenne. On distingue, outre la forme courante, l'angady belela (à grande langue) qui est une bêche large ; et l'angady rapaka (rapaka, action d'avaler, de prendre tout sans discrimination) qui est une bêche à long fer, pouvant prendre d'un coup beaucoup de terre. Pour utiliser l'outil, l'homme, qui a d'ailleurs les pieds nus, n'appuie pas sur le fer avec le pied, suivant la manière occidentale, mais, tenant l'angady à deux mains, il la projette avec force vers le sol meuble, dans lequel elle s'enfonce.

(5) Ou plus exactement : enfoui.

 

Contes et légendes du Sud-Ouest de Madagascar

Raymond DECARY

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