Conte: RATAKIBOKY ET TRIMOBÉ - Raymond DECARY

Publié le par Alain GYRE

RATAKIBOKY ET TRIMOBÉ

Conte Bara, recueilli à Berenty, district d'Ankazoabo

 

Un jour, Trimobé (1) aperçut Ratakiboky et lui demanda :

« Où vas tu ?

- J'irai à mon champ de canne à sucre ».

Trimobé courut se cacher au champ de cannes, car il avait l'intention de le manger.

Cependant Ratakiboky, devinant l'intention de Trimobé, n'alla point au champ de cannes, mais il était à sa rizière.

Trimobé, après avoir attendu vainement, était furieux et se dirigea veis la case de Ratakiboky (2) et lui demanda :

« Tu m'as menti ; tu n'étais pas au champ de cannes.

- Si, j'étais au champ de cannes ,répondit malicieusement Ratakiboky, je vous ai vu, je vous ai appelé.

- Quels mauvais yeux que j'ai ! Ils ne voient pas Ratikiboky ! Quelles sales oreilles que j'ai ! Elles n'entendent pas Ratakiboky ! »

Et Trimobé se donnait des coups de poing, il passait sa langue sur sa babouille (3), et faisait claquer ses dents tellement il voulait croquer Ratikiboky. Mais celui-ci se riait de Trimobé car il était en sûreté dans sa case très solide.

Trimobé le questionna ensuite :

« Où iras tu demain matin ?

- A mon champ de manioc ».

Trimobé s'y était embusqué pour l'attraper, mais vainement, car Ratiakiboky était à son champ de bananiers.

La chose se passait longtemps ainsi, Trimobé rentrait bredouille chez lui, et fut à la risée de sa femme et de ses enfants.

Un jour cependant, Trimobé réussit à déjouer la ruse de Ratakiboky, l'attrapa dans l'un de ses champs et lui dit :

« Tu m'as trompé souvent. Je te prends et tu seras mis à la sauce.

- Oui, je suis pris », répondit Ratakiboky sans perdre la tête.

Trimobé le mit dans un sac qu'il porta sur son épaule et prit tout joyeux le chemin de sa maison. En route, Trimobé était en sueur, déposa son fardeau par terre et alla prendre un bain dans un ruisseau à une certaine distance.

Dès que Trimobé fut parti, Ratakiboky coupa avec ses dents ses liens et sortit du sac, alla chercher un gros bloc de pierre qu'il mit à sa place, ensuite il ficela le sac et partit.

A son retour, Trimobé prit le sac et le porta ; arrivé près de sa maison, il tonna de sa voix d'ogre :

« Ratakiboty est pris ! Mettez la marmite sur le feu, cherchez de l'eau, aiguisez un couteau bel;omboka ».

Ogresse et ogretons étaient dans la joie. On mit cette marmite énorme, qui pourrait contenir un gros bœuf tout entier, sur le feu ; on la remplit d'eau.

Trimobé était aux nues ; il mangeait des yeux ce sac. Il le déposa à terre, prit son couteau, en asséna un grand coup qui fit trembler la terre à douze lieues à la ronde, mais la lame du couteau volait en éclats, et Trimobé de jubiler :

« Comme il a les os durs, ce Ratakiboky » !

Ensuite Trimobé délia le sac et le tint au-dessus de la marmite. Le bloc de pierre y tomba tout de son poids et la mit en pièces.

Quelle ne fut pas la colère de Trimobé ! Il jura que Ratakiboky ne l'y prendrait plus.

Il sortit et attendit dans les champs de Ratakiboky.

Trimobé parvint à capturer Ratakiboky une seconde fois, il se garda de quitter son sac pendant le voyage. Il arriva avec Ratakiboky dans le sac et cria de loin :

« J'ai pris Ratakiboky ! Cherchez de l'eau, aiguisez un couteau ».

Ogresse et ogretons étaient sceptiques, ils croyaient que Trimobé avait été dupe tant Ratakiboky était malin. Cependant ils faisaient ce que demandait Trimobé.

Arrivé dans la maison il déposa à terre le sac, exposa Ratakiboky pour convaincre les siens, et la famille de Trimobé était contente.

Ratakiboky parla :

« Allez chercher du bois, car vous n'en avez pas assez pour me cuire ».

Trimobé répondit que cela était vrai, et il sortit avec sa femme pour faire du bois, laissant leurs enfants seuls à la garde de Ratakiboky.

Celui-ci se mit à siffler et à imiter les cris et les chants des oiseaux. Les enfants de Trimobé furent émerveillés.

« Donnez-nous des oiseaux, Ratakiboky !

- Je suis lié et ne peux vous en donner ; coupez mes liens si vous en voulez ».

Les enfants coupèrent les liens.

Libéré, Ratakiboky prit le couteau et tua les enfants de Trimobé, mit leurs corps dans la marmite et s'en retourna.

Quand le couple Trimobé rentra, celui-ci parla :

« Nos enfants ont déjà tué et cuit Ratakiboky ».

L'ogresse répondit :

- Mais où sont nos enfants ?

-  Ils s'amusent quelque part ».

Et Trimobé sans plus tarder se servit ce repas de cannibale.

L'ogresse inquiéte chercha les enfants, découvrit leurs têtes et était dans une grande tristesse.

Trimobé promit de les venger, se dirigea vers l'habitation de Ratakiboky.

 Celui-ci fit griller des insectes (4) pour chatouiller le flair de Trimobé et éveiller son appétit.

Trimobé, sentant l'odeur des insectes, fut complètement remis de sa colère et demanda d'un ton presque amical :

« Que grilles-tu, mon cher Ratakiboky ?

- Quelque chose qui a un goût délicat, mais pour en manger il faut beaucoup de courage.

- Que dis-tu là ? Du courage ?

- Oui.

- Tu veux rire, y a-t-il quelqu'un qui a plus de courage que moi ?

-  Non.

- Donne-moi, alors.

- Oui, mais il faut faire ceci : fermer les yeux pour ne pas voir la couleur, ouvrir largement la bouche, car il faut le manger au sortir de la marmite ».

Trimobé attendit tandis que Ratakiboky faisait rougir au feu une barre de fer.

Après ce préparatif, Ratakiboky dit :

« Faites entrer votre tête, Trimobé ».

Ce qu'il fit.

« Ouvrez la bouche ».

Ratakiboky introduisit le bout de la barre mais Trimobé poussa un cri :

« Celà me brûle !

-  Il faut patienter pour manger une bonne chose, répondit Ratakiboky ; quand vous aurez mangé cet aliment, vous n'aurez plus jamais faim ».

Trimobé, après ce discours perfide, se résigna, ferma les yeux, ouvrit la bouche. Ratakiboky enfonça la barre rouge profondément. Trimobé s'écroula. Ratakiboky fut débarrassé de Trimobé son ennemi.

 

Formule de conclusion.

- Je jette des pierres sur l'arbre za (baobab) qui rend un son, nza, nza, sur l'arbre sakoa qui rend un son koa, koa. Il y a une canne à sucre à sucer, je ne mens pas mais ce sont les anciens (5).

 

Notes :

(1) Ogre.

(2) Dans laquelle celui-ci s'était barricadé par prudence.

(3) Sur ses lèvres.

(4) Les Malgaches, aujourd'hui encore, consomment les criquets, et si ces insectes nuisibles, lors de leurs invasions, dévastent rizières et plantations, au moins leurs propriétaires trouvent ils dans ces insectes une petite compensation aux graves dégats commis. On peut à la rigueur considérer que les criquets représentent une petite réserve alimentaire, à la fois pour les hommes et pour les élevages

de porcs.

Ce ne sont pas, du reste, les seuls criquets qui étaient consommés autrefois, mais bien un certain nombre d'espèces d'arthropodes, arachnides et insectes divers, et qu'on utilisait d'une façon plus ou moins régulière, notamment aux époques de soudure, quand le riz venait à se raréfier momentanément.

(5) Souvent les conteurs, dans leurs villages, terminent leurs récits par une formule qui ne semble pas avoir de rapport avec le sujet. Presque toujours, la phrase finale est : Ce n'est pas moi qui ment, ce sont les Anciens.

 

Contes et légendes du Sud-Ouest de Madagascar

Raymond DECARY

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