Conte: Rataolandohamivolana

Publié le par Alain GYRE

 

Rataolandohamivolana

Conte Betsimisaraka

Recueilli à Maroantsetra (province de Mciroantsetra).

 

Deux époux avaient, dit-on, trois fils. Le premier et le second étaient normaux et bien faits, tandis que le dernier était difforme et monstrueux : il n’avait qu’une tête, sans corps ni membres; cependant il pouvait manger et parler. Son nom était Rataolandohamivolana.

Un jour les deux aînés demandèrent la permission à leurs parents d’aller chercher fortune, ce qui leur fut accordé. Mais voici que le dernier demanda à partir avec ses frères.

 « Nous ne voulons pas de toi pour compagnon, dirent ceux-ci. Comment pourrais-tu marcher, toi qui n'as pas de membres? Tu serais trop gênant pour nous, »

« Ne me refusez pas ma demande, dit Faralahy (i), je ne suis pas un fardeau à vous accabler de fatigue. »

Les deux frères finrent par consentir : ils mirent Faralahy dans un lamba et le portèrent, attaché à un bambou.

Arrivé sur un grand chemin, le dernier-né leur dit : « Laissez-moi ici, mais, quand vous reviendrez, ne manquez pas de demander aux gens des environs le lieu où je me trouverai. »

Les deux frères le laissèrent donc et continuèrent leur route vers le Sud.

Au bout de quelque temps, un marchand passa par le chemin avec un grand troupeau de bœufs et Rataolandohamivolana s’écria ;

« Une catastrophe vient du Nord, une catastrophe vient du Sud, une catastrophe vient de l’Est, une catastrophe vient de l'Ouest. »

Le marchand fut épouvanté en voyant ce crâne qui parlait et il dit ;

« Je te donnerai la moitié de mon troupeau de bœufs, si tu me dis comment je peux arriver sain et sauf dans ma maison et revoir ma femme et mes enfants. »

 Rataolandohamivolana répondit : n En continuant ton chemin, tu verras une rivière, sur le bord de laquelle il y a un arbre. Lorsque tu passeras à côté, tu tueras un bœuf; tu en suspendras la tète à cet arbre et tu laisseras couler le sang dians la rivière pour les êtres qui habitent dans l’eau, car cette eau fait noyer quelques bœufs si on n’accomplit pas ce sacrifice; c’est après seulement que tu pourras franchir l’eau. »

De là vient, dit-on, que les Betsimisaraka, lorsqu’ils tuent un bœuf, en suspendent la tète.

Ensuite passa sur le chemin un homme riche accompagné d’une grosse troupe d’esclaves. Le dernier-né s’écria de nouveau :

« Une catastrophe vient du Nord, une catastrophe vient du Sud, une catastrophe vient de l’Est, une catastrophe vient de l'Ouest.»

L’homme, troublé à la vue de ce monstre tel qu'il n’en avait jamais vu de sa vie, s'écria;

 «Je te donnerai la moitié de mes esclaves, si tu m’indiques le moyen d'éviter cette catastrophe. » Rataolandohami- volana accepta et lui dit ;

« Après avoir marché un peu, tu trouveras au bord du chemin une pierre levée. Dès que tu l’atteindras, déchire un morceau de lamba et couvres-en cette pierre ».

L'homme riche partit après avoir partagé ses esclaves et exécuta tout ce qu’on lui avait dit.

De là vient l’habitude qu’ont les Betsimisaraka de placer des morceaux d'étoffe sur les pierres dressées.

Un autre homme riche passa encore, portant Sur lui une forte somme d’argent pour acheter des bœufs.

Rataolandoharnivolana recommença à dire : «Une catastrophe vient du Nord, etc..»

L’homme riche épouvanté s’approcha en disant :

« Laisse-moi arriver sain et sauf chez moi et je te donnerai la moitié de la somme d’argent que

je porte. »

L’autre lui répondit : «A quelque distance d'ici, tu trouveras plusieurs tombeaux le long du chemin; quand tu passeras à côté, prends de la graisse et frottes-en les pierres qui sont dressées à la tête de ces tombeaux, car ce sont des tombeaux de Zanahary. »

L'homme riche partagea son argent et se conforma aux prescriptions de Rataolandohamivolana.

De là vient que les Betsimisaraka, depuis longtemps et jusqu'à présent, oignent de graisse les pierres debout à la tête des tombeaux.

Le dernier-né alors dit à ses esclaves : « Allez construire une maison pour nous, et faites à

côté une étable pour mettre nos bœufs. »

Les esclaves partirent, et en route virent une ville magnifique : ils y bâtirent la maison et l'étable.

Bientôt l'homme devint célèbre par ses richesses, la fille d'Andriamanitra entendit parler de lui, elle vint le trouver et lui demanda d’être sa femme. Elle ajouta :

« Fais bien attention à ce que je vais te dire : nous ne boirons jamais de toaka; si tu en bois, notre mariage sera rompu. »

Dès lors il ne but plus de toaka. Tous les deux vécurent longtemps ensemble dans la prospérité.

Mais sur ces entrefaites les deux frères étaient revenus de leur voyage; dans le village où ils avaient laissé Faralahy, ils s'informèrent de lui. On leur indiqua la ville qu'il habitait.

Ils y allèrent et se présentèrent à leur frère.

Celui-ci leur fit préparer un grand festin, mais ils étaient si honteux qu’ils purent à peine manger un peu de riz.

Le matin venu, ils dirent au Dernier-né :

« Frère, nous retournons chez nos parents. As-tu quelque chose à leur dire ? veux-tu nous charger de quelque commission pour eux? »

Il répondit : u Dites à mon père et à ma mère que je suis dans la prospérité. Dites-leur de ne pas se mettre en peine de moi, mais de venir me voir, car moi je ne peux pas aller chez eux, puisque je n'ai pas de membres pour marcher. »

La femme de Faralahy leur dit aussi :

« Portez ces deux piastres à nos parents, et revenez bientôt en amenant notre père et notre mère ».

Les deux frères partirent, et, arrives à leur village natal, ils dirent à leurs parents :

 « Voici l’argent que nous avons gagné. Quant à votre petit Faralahy, il est mort en route et nous l'avons enterré au bord du chemin. »

Les parents furent tout attristés de cette nouvelle, ils pleurèrent leur fils et portèrent des lambas de deuil. Longtemps

Rataolandohamivolana attendit leur venue; à la fin il envoya un homme pour demander de leurs nouvelles et les prier devenir chez lui.

L’homme fit la commission dont il était chargé, mais les parents n’ajoutèrent pas foi à ce qu’il disait, car ils se figuraient que leur fils était mort et avait été enferré par ses deux frères.

Longtemps après, ne voyant toujours pas ses parents, le dernier-né leur envoya un de ses esclaves.

Celui-ci vint les trouver et leur dit : « Votre fils m’envoie’ vers vous, pour s’assurer que vous êtes encore vivants; il vous a demandé deux fois déjà de venir chez lui. Cependant vous ne lui avez même pas répondu. Il est bien en peine de vous et en même temps très en colère. Voici ce qu'il vous dit : Si vous êtes encore vivants, je vous conjure de venir me voir. »

Mais les parents refusèrent de croire que leur fils vivait encore.

Alors Rataolandohamivolana dit à sa femme : « Je ne sais pas ce que mes frères ont pu dire à mes parents; car voilà plusieurs fois que je leur demande de venir chez nous, et ils ne viennent point. Comment faire? Nous ne pouvons pas y aller ensemble. Qui soignerait pendant ce temps nos poussins et nos bestiaux? Qui surveillerait nos esclaves ? Aussi nous irons chez eux l'un après l’autre. Je partirai le premier. Toi tu resteras pour garder la maison. Du reste mes parents ne te connaissent pas encore. »

La femme accepta et dit : « Ne reste pas trop longtemps, et, si c’est possible, ramène chez nous tes parents et tes frères. »

Faralahy partit; quand il arriva dans son village natal, ses parents pleurèrent de joie en revoyant le fils qu’ils croyaient mort. La famille toute entière prit part à leur bonheur et on prépara un grand festin.

On servit beaucoup de toaka vazaha (rhum européen). Tout le monde était joyeux et buvait.

Quand le père prit la corne pour distribuer le toaka, son fils lui dit qu’il n’en buvait jamais. Mais les assistants le forcèrent à faire comme eux; il but et peu à peu s'enivra.

Le lendemain matin il aurait voulu retourner chez lui, mais il tomba gravement malade; en vain ses parents cherchèrent des fanafody pour le guérir; son état empira et au bout de quelques jours il mourut.

 Quant à sa femme, la fille d’Andriamanitra, elle était retournée chez son père.

Voilà pourquoi les Betsimisaraka aiment tant le toaka, parce que la fille d’Andriamanitra n’est plus là pour les empêcher d’en boire.

 

(0 le deniier-n é ; c'est une façon de desigiiei' Kataolandoiiamivolana.

 

Contes de Madagascar

Charles RENEL

 

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