Conte: Téméraire Né-du-Nombril
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Téméraire Né-du-Nombril
En ce temps-là vivait un homme respectable, qui n’était pas très fortuné, mais qui n’était pas non plus vraiment misérable. Il vivait dans un village. Au bout de quelques temps, il a eu un enfant, avec sa femme. Et cet homme n’avait pas de travail, il ne faisait que pêcher. Tous les jours, il partait à la pêche. La nuit il était en mer, et le jour, il allait encore à la mer pour pêcher… Et comme ça tous les jours. S’il rapportait du poisson de sa pêche, ils mangeaient ; s’il n’avait rien pris, ils ne mangeaient pas. Ils ne mangeaient que ça. Ils n’avaient aucune autre nourriture, seulement du poisson.
Un jour qu’il était allé à la pêche, il avait eu beaucoup, beaucoup de poissons, tellement que la pirogue était à un doigt de couler sous le poids des poissons qu’il rapportait. Il arrive sur la berge, et voilà un monstre énorme qui sort de la forêt. Le monstre paraît et lui dit :
- Ami, en rapportes-tu ?
- Oui, quelques-uns.
- Alors, écaille-les. Tu prends la fiente, je prendrai la chair !
L’homme dit :
- Mais, l’ami, après tout le mal que je me suis donné pour les avoir, c’est comme ça que toi, tu vois les choses ?
- Tais-toi, et écaille-les. Amène ta barque sur la plage.
Notre homme a tiré la barque sur la plage. Et il s’est mis à écailler, à étriper, mettant de côté la fiente qui lui revenait. Et quand il avait vidé un poisson, il le lançait dans la gueule grande ouverte du monstre qui l’engloutissait. Après cela, l’homme en vidait un autre, le lançait, et ainsi de suite jusqu’au dernier. Finalement le monstre a tout mangé, et lui n’a pu rapporter chez lui que les tripes bien attachées.
De loin sa femme lui demande :
- En rapportes-tu ?
- Non. J’en avais pris, ma mie. Mais là-bas il y avait un monstre, un monstre énorme, qui m’attendait au retour de la pêche. Il était venu me dire que la fiente était pour moi, et la chair pour lui ! Et voilà pourquoi je rapporte seulement les tripes des poissons. Il a mangé toute la chair.
- Ah, dit sa femme, ce monstre est
donc bien méchant.
Et à ce moment-là, la femme se trouvait enceinte, elle était enceinte de deux mois lui continuait à aller à la pêche tous les jours, tous les jours. Et chaque fois qu’il y allait, le monstre tait bien content.
De plus loin qu’il le voyait arriver, il sortait de la forêt, les mains dans les poches, sifflant de très loin :Fiou… fiou.. fiou… fiou… Et il lui demandait :
- En rapportes-tu l’ami ?
- Oui, répondait chaque fois notre homme.
- Ah oui ! tu en rapportes quelques-uns aujourd’hui, lui disait le monstre en s’approchant. Ecaille-les, la chair est pour moi, tu auras la fiente.
L’homme remontait la barque sur la berge, et il se mettait à écailler, laissant de côté la fiente qui lui revenait, et lançant la chair au monstre. Le monstre n’avait rien à faire : seulement à ouvrir grand la bouche, et l’homme lui lançait les poisson dedans. Et il rentrait chez lui. Et c’était pareil tous les jours.
Sa femme était maintenant enceinte de sept mois, et notre homme continuait d’aller à la pêche. Ce jour-là, en partant, il avait dit :
- Je m’en vais à la pêche.
Il avait à peine quitté le village que l’enfant s’est mis à parler dans le ventre de sa mère :
- Mère, prends une banane. Introduis-y un petit couteau. Place-le bien au centre de la banane, ce petit couteau. Ensuite avale la banane toute entière.
La mère a avalé la banane. Elle l’avalée.
Et l’enfant a pris le couteau. Il a pris le couteau, et il s’en est servi pour ouvrir le ventre de la femme au niveau du nombril, et il est sorti. Il est sorti par le nombril de sa mère… Ensuite il a frappé plusieurs fois de la main le nombril par où il était sorti, et jamais on n’aurait dit qu’un enfant avait pu sortit par-là ! Le nombril était guéri
- Où est papa, demande l’enfant ?
- A la pèche, lui répond sa mère.
Mais le père mettait longtemps, longtemps à revenir. A la fin il est revenu, avec beaucoup, beaucoup de poissons. On le voit approcher, gr loin. et voilà le monstre qui arrive une nouvelle fois, en sifflant : Foui… foui… foui… foui…
- En rapportes-tu ?
- Oui, j’en rapporte.
Il s’esclaffe de rire :
- Ah oui ! Tu en rapportes beaucoup aujourd’hui ! Eh bien, écaille-les, la chair sera pour moi ; la fiente, tu l’emporteras chez toi.
Notre homme s’est mis à l’ouvrage : le monstre a dévoré tous les poissons, ou plutôt la chair des poissons. Il les à tous dévorés, et l’homme n’a emporté chez lui que la fiente ;
Quand il arrive sa femme lui demande :
- Où est donc le poisson ?
- Eh bien, il n’en reste que la fiente, le monstre était là.
Un instant après, l’enfant demande :
- C’est bien mon père ?
- Oui, dit la mère.
(Ensuite elle s’adresse à son mari :)
.- Eh bien, cet enfant est sorti de mon ventre par là, par mon nombril.
- Ah bon, dit l’homme.
Et le lendemain, il est encore reparti à la pêche, comme si on ne pouvait rien manger d’autre que du poisson… D’ailleurs, s’il ne rapportait rien de la pêche, ils n’avaient rien à manger, car le poisson faisait toute leur subsistance. Le lendemain, l’enfant est sorti : il avait grandi entre temps il est allé à la pêche, et il y est resté jusqu’au soir. A son retour, au premier chant du coq, Eclos-du-Nombril a frappé à la porte
Il avait pris un poisson, un seul. Et ce poisson parlait. Il disait :
-Ne me tue pas encore !
- Comment ?
- En arrivant, tu prendras un coupe-coupe et tu iras abattre les arbres de la forêt. Ensuite, tu y mettras le feu. Tu brûleras cette terre. Mets-y le feu. Une fois la terre brûlée, tu prendras une graine ronde que l’on appelle « riz ». Sème ce riz, et ensuite arrache les herbes qui l’envahiront. Il donnera des grains, qu’il faudra récolter. C’est ça qui peut te nourrir, et non simplement la mer.
Alors, le garçon lui dit :
- Parle toujours, avant que je te mange.
Il a emporté le poisson, il l’a tué e il l’a emporté. Et puis, arrivé au village, il l’a mangé.
Ensuite il a pris un coupe-coupe, et il s’est mis en quête de ce que l’animal avait indiqué- et l’enfant était maintenant assez grand. Et comme ça mon gars… Il a défriché, défriché, défriché… Il avait nettoyé une belle étendue de terrain. Et il y a semé le riz. Et ce riz a réussi, il a réussi très bien ! Ils l’ont sarclé, et une fois bien sarclé, le riz a formé ses grains, il a mûri. Et ils ont fait la récolte.
Et ils ont eu quatre pleins greniers de ce riz. Ce qu’on appelle « greniers », ce sont les maisons (où on garde le riz), cela faisait quatre maisons. Ils en ont eu quatre pleines maisons, de ce riz. Ils l’ont pilé, ce riz, et maintenant ils vont pouvoir manger du riz. Ils ont fait cuire le riz, qui a bouilli. Une fois cuit, ils l’ont mangé.
Alors ils se sont tous mis à suer : le père suait , la mère suait, et l’enfant suait.
- Ah ! Malheur, dit le père ! Dans quelle calamité mon fils s’est-il mis ? Ce qu’a dit ce maudit poisson, c’est une chose qui va faire mourir mon fils, au lieu de me faire vivre, cette affaire-là ! Hélas mon fils, s’en va en eau !
Et ce n’était que la sueur, ce n’était rien d’autre que la sueur : l’enfant suait après avoir mangé de cette chose..
Il a tout brûlé. Il a pris des allumettes, et il a brûlé tout le riz des quatre greniers. Il a brûlé tout le riz. Une fois le riz brûlé, le voilà la ligne à la main. Il est reparti à la pêche. Et qu’est-ce qu’il n’a pas ramassé comme poisson cette fois ? Arrive le monstre, avec grands éclats de rire et mugissements. Il lui demande :
- En rapportes-tu, l’ami ?
- Oui, j’en ai eu.
- Eh bien, écaille-les, la chair sera pour moi ; la fiente, tu l’emporteras chez toi.
- Hélas, qu’y faire ? C’est l’habitude, se dit-il, alors, cela ne me surprend plus, puisque c’est ce que je dois faire chaque jour…
Il les écaille, il les écaille, il les vide, et la fiente, il la met de côté pour lui, et les poissons, il les jette dans la gueule du monstre. Et puis il rentre chez lui. Il attache les tripes des poissons, et il rentre chez lui.
Et une fois arrivé, il dit à son père :
- Ah, demain j’irai pêcher avec toi, papa.
- Mais là-bas, il y a un monstre qui me guette quand je reviens de la pêche. Si tu viens là-bas avec moi, tu vas à la mort.
- Ça ne fait rien, j’irai, dit l’enfant.
Et, le matin, le père du petit garçon part pour la pêche, le père de Téméraire Né-du-Nombril. Et son fils Téméraire Né-du-Nombril le suit,.
- retourne (à la maison), dit le père.
- Non, je veux venir avec toi, dit Téméraire Né-du-Nombril.
Ils sont partis, ils sont partis tous les deux à la pêche. Ils ont péché, longtemps, longtemps… et ils ont pris beaucoup de poissons. La barque était à un doigt de s’enfoncer, tant elle était pleine de poissons.
Arrive le monstre. Vous l’auriez vu, surgissant de la forêt, foui… foui… foui… foui… l sifflait sans arrêt : foui… foui… foui… foui.. Quand ils sont arrivés :
- vous en avez eu, les gars ?
- Oui, quelques uns.
- Eh bien, écaille-les. Et la chair sera pour moi ; la fiente tu l’emporteras chez toi.
Si tu veux en manger, tu iras toi-même en mer, te chercher du poisson. Tu mangeras ce que tu auras pris, non pas ce que nous nous rapportons.
- Qu’est-ce que tu préfères, dit le monstre, s’adressant à Téméraire Né-du-Nombril, la boxe, ou la lutte ?
- Ce que tu veux, dit-il, je peux tout faire.
Le monstre lui envoie un fameux coup de poing. Il l’esquive facilement. Emporté par son élan, le grand monstre s’affaisse. Et puis , le monstre lui lance un coup de pied, il l’esquive, et le pied s’enfonce dans le sol, et pourtant c’était un sol caillouteux bien dur. Le monstre se retrouve les deux pieds enfoncés dans la terre.
Alors, le monstre saisit le petit garçon, il l’enfourne par la bouche : l’enfant lui ressort par le cul. Alors Téméraire Né-du-Nombril saisit le monstre par l’échine. Et le montre de taper, de grogner, d’essayer d’échapper : rien à faire, le garçon ne lâche pas. Il y avait là un arbre énorme, comme ça. Le monstre fonce droit dessus : il veut un grand choc, pour faire tomber Téméraire Né-du-Nombril, toujours accroché é à son bras.
Au retour, il avait la langue qui pendait… Alors, quoi ? Il se reconnaît battu :
- Tu m’as vaincu !
- Tire la pirogue sur le bord ! (C’est Téméraire Né-du-Nombril qui commande au monstre. Puisqu’il l’a vaincu…)
- Ha, dit le monstre en remontant la pirogue.
Et puis Téméraire Né-du-Nombril et son père montent sur le dos du monstre.
Sur le chemin du retour, il rame, vouh, vouh , vouh, vouh,vous auriez vu ça ! Jamais encore on n’avait vu une chose pareille chez eux. La femme en était tout étonné :
- Qu’est-ce que ça peut être que cette chose ? Un cyclone ?être que cette chose ? Un cyclone ?
Quand ils accostent, elle voit que c’est un monstre qui est arrivé, avec deux personnes sur son dos : le père et le fils.
- Voilà, dit l’enfant. C’est lui, le monstre qui mangeait les poissons de papa chaque fois qu’il allait à la pêche. Le voilà, c’est lui !
Téméraire Né-du-Nombril s’adresse au monstre :
- Ça pourrait bien être aujourd’hui ton dernier jour ! Tu vas travailler à me défricher toute cette forêt. Tu la défriches. Si tout n’est pas défriché, je te tue.
Le monstre s’est mis à défricher, à défricher encore et encore. Le monstre couchait dans la forêt pendant que Téméraire Né-du-Nombril restait à la maison ; il dormait avec la famille.
Et dans son sommeil, Téméraire Né-du-Nombril a entendu une voix qui disait :
- Oui, c’est ainsi que tu me traites, moi. Mais je ne suis pas Taureau-Tout-Puissant.
- Qu’est-ce que ça peut bien être, ce Taureau-Tout-Puissant ?
Téméraire Né-du-Nombril croyait que c’était un rêve. Il avait entendu ces mots.
De grand matin, il s’est levé, et il est allé là-bas (dans la forêt où le monstre travaillait). Il demande au monstre :
- Qu’est-ce que tu as dit cette nuit ?
- Mais rien du tout. Je songeais seulement à mon travail… On dirait que mon défrichement n’avance pas trop vite aujourd’hui. Tout est prêt pour que je construise la. Et puis, d’ici jusque là-bas, c’est ça le défrichement que je ferai demain. Il faut absolument que je finisse ça demain.
- Non, non, ce n’est pas ça que tu disais cette nuit, répond Téméraire-Né-du-Nombril. Je veux que tu m’amènes chez Taureau-Tout-Puissant.
Ils sont partis, et ils ont marché, marché, marché… Enfin les voilà arrivés. Le monstre lui dit :
- Je te laisse ici ; Parce que, si je te porte sur mon dos … Enfin je te laisse ici.
- Oui.
Il est reparti. Et une fois arrivé là : avec Taureau-Tout-Puissant c’est le combat à la sagaie. Téméraire Né-du-Nombril avait justement apporté sa sagaie. Il avait avec lui sa sagaie, une seule sagaie.
Mais quand il est arrivé sur place. Taureau-Tout-Puissant n’y était pas. Il était en train de dormir à l’intérieur de sa maison, en haut, tout en haut, au dernier étage de sa maison. Et Téméraire Né-du-Nombril était ici, en bas. Alors, le monstre qui l’avait amené est reparti, et Téméraire Né-du-Nombril s’est mis à l’appeler. Il appelle :
- Ho…, Taureau-Tout-Puissant, ho…, Taureau-Tout-Puissant ! C’est moi Téméraire Né-du-Nombril. Je viens te trouver dans ton propre village !
Taureau-Tout-Puissant répond :
- Qu’est-ce que c’est ; cette histoire ? Même les mouches n’osent pas s’approcher de mon village, alors, qu’est-ce que c’est, cette histoire ?
Il regarde en bas, mais il ne voit rien…
Né-du-Nombril appelle encore :
- Ho…Taureau-Tout-Puissant, ho… Taureau-Tout-Puissant ! C’est moi Téméraire Né-du-Nombril. Je viens te trouver dans ton propre village !
Il se penche pour regarder Téméraire Né-du-Nombril qui était en bas :
- Ecoute, toi ! Même mes mouches, même les moustiques n’osent pas venir tourner autour de mon village. Alors, qu’est-ce que tu viens faire ici toi ?
- Hé hé, montre donc ce que tu sais faire !
Et ce Taureau-Tout-Puissant, il ne savait pas se battre à bras le corps, il ne savait se battre qu’à la sagaie. Il prend une sagaie, et il la lance sur Téméraire Né-du-Nombril. Mais le garçon esquive habilement. La sagaie ne le touche pas , il la saisit au vol. et en voilà une autre : elle ne le touche pas non plus, il la saisit. Et en voilà une troisième : elle ne le touche pas plus que les autres !
- Cette fois, c’est à moi, dit Téméraire Né-du-Nombril.
- Oui, répond le monstre.
Né-du-Nombril lance une sagaie en l’air tout droit, sans viser Taureau-Tout-Puissant. Il la lance en l’air, droit vers le ciel, et la sagaie retombe au sol.
- C’est ça !
Il en lance encore une en l’air… Il l’avait lancé, disons vers sept heures du matin, et à huit heures elle continuait à monter…
- Boh, se dit le monstre, voilà bien une chose stupide ! J’ai failli y croire : je pensais qu’il allait me tirer dessus, et puis ce n’est rien du tout !
Et il ne comprenait pas que la sagaie était encore en train de monter…
Et la sagaie est redescendue de là-haut, tout droit comme ça ! En levant la tête, il l’a vue qui arrivait. Le voilà qui s’affole, il essaye d’échapper, mais partout où il va la sagaie le poursuit, il s’affole… et au moment où il allait s’engager sous les pilotis de la maison pour se cacher, la sagaie se plante net sur ses reins.
- En voilà encore une, dit Téméraire Né-du-Nombril en revenant.
Il en lance encore une en l’air. La sagaie reste un bon moment là-haut, et au bout d’un bon moment, en levant la tête, l’autre voit la sagaie qui redescend. Il s’affole, il veut s’ pour se cacher, la lance se plante droit à la racine de sa queue.
- En voilà une troisième, crie Téméraire !
Il avait à peine lancé la sagaie, que déjà le monstre avait pris la fuite. Tout en fuyant, il lève la tête un court instant, et il voit une sagaie qui retombe, qui le suit partout où il va. Partout où il va la sagaie le suit. Au moment où il allait se cacher, la sagaie se fiche en plein dans sa croupe : il s’évanouit sous le coup.
Mais presque aussitôt il se relève, et il commence à frapper du poing. Et les voilà qui se lancent des coups de poings. Maintenant le monstre et Téméraire Né-du-Nombril se battent à coups de poings.
A un moment, le monstre s’est penché un peu. Aussitôt Téméraire Né-du-Nombril, l’a pris dans ses bras, et il l’a serré, serré, serré,, jusqu’à ce que , à la fin, la langue lui sorte de la gueule.
- Oh, je suis battu, dit-il.
- Tu es battu ? demande Téméraire Né-du-Nombril.
- Oui.
- Alors emporte ta maison avec toi, nous partons.
Il a emporté sa maison, il l’a arraché de ses fondations, Téméraire s’est installé dedans, et les voilà partis. Ils ont couru, couru, couru…, et enfin ils sont arrivés là-bas, avec l’énorme maison sur le dos du monstre. Une fois arrivés là, le garçon dit à son père :
- Voilà, père, c’est la maison que j’ai gagnée sur le monstre.
Tous deux restent là pour la nuit. Téméraire Né-du-Nombril dit au deuxième monstre, à Taureau-Tout-Puisant :
- Ton travail, ce sera de construire une maison. Tu n’auras pas d’autre travail : tu construiras une maison sur notre défrichement.
- Oui, dit le monstre.
Alors, la nuit venue, les monstres se sont couchés. Et pendant la nuit, comme ils étaient couchés, ils causaient. Taureau-Tout-Puissant disait à l’autre monstre, au mangeur de poissons :
- On peut me faire ça à moi, mais pas à Cuisses-Moulin !
Ce Cuisses-Moulin, c’était un monstre énorme, gigantesque, qui pressait des cannes à sucre pour faire du vin de canne. Et c’était sur ses propres cuisses qu’il écrasait les cannes, simplement ! Et le jus de canne coulait, on aurait dit une cascade, le jus de canne qui coulait de là…
Téméraire s’est levé le matin ; il avait entendu ce qu’ils avaient dit. Il leur demande :
- De quoi avez-vous parlé, cette nuit ?
- Oh, de rien. Celui-là a dit qu’il avait réfléchi à son travail, à la maison qu’il devait construire, que finalement il n’allait pas construire la maison aujourd’hui, qu’il allait d’abord étendre le défrichement…
- Non, ce n’est pas ça que vous disiez. Vous disiez que vous alliez m’amener chez Cuises-Moulin.
Les voilà partis chez Cuisses-Moulin. Ils ont marché, marché… Arrivés un peu plus loin :
- Je te laisse ici, dit Taureau-Tout-Puissant, car il y a beaucoup de monstres, il y en a vraiment beaucoup, par là.
- Bon.
Il le laisse là, et il s’éloigne.
Et quand il est arrivé, Cuisses-Moulin était bien là. De la presse à canne de ses cuisses, le jus de canne jaillissait, on aurait dit qu’il avait une cascade entre les cuisses. Il écrasait les cannes sur ses cuisses comme cela tout simplement…
Alors Téméraire Né-du-Nombril a pris son doigt, son petit doigt, et il l’a trempé dans le jus de canne qui coulait à flot. Et voilà : le jus de canne s’arrête de couler. C’est bouché ! Ça ne coule plus.
- Qu’est ce que c’est que ça ?
Le monstre regarde, il ne voit rien. Il regarde, il ne voit rien. Le monstre commence à se noyer. Il regarde là, et ce n’était pas une petite affaire…
Alors Téméraire a ôté son doigt. Le jus de canne s’est remis à couler.
- Toi, lui dit le monstre, tu es un drôle de petit malin. Ce que tu as fait m’agace !
Il lui donne un grand coup de pied, qui envoie au diable toutes les barriques. Le garçon esquive : le coup ne l’atteint pas. Le monstre lui envoie un coup de poing, le garçon esquive ; c’est la maison du monstre toute entière qui s’effondre, la maison de Cuisses-Moulin.
Comme Cuisses-Moulin s’était détourné un tout petit peu, voilà Téméraire Né-du-Nombril qui l’empoigne, qui le serre, qui le serre, et la langue lui sort de la gueule.
- Je suis battu, je le reconnais.
- Tu es battu, tu le reconnais ?
- Oui.
- Apporte avec toi ta presse à cannes, nous rentrons à la maison.
Et en plus, il s’est juché sur le monstre, qui a emporté avec lui sa presse et toute sa provision de cannes. Arrivé là-bas, il dit à son père :
- En voilà encore un autre que j’ai eu ! (Et s’adressant au monstre : ) Toi, ton travail, ce sera seulement de t’occuper des cannes, tu feras le vin de cannes, tu presseras les cannes, ce sera ça seulement ton travail, lui dit-il.
Alors Cuisses-Moulin s’est mis à causer avec Taureau -Tout-Puissant, et avec l’autre monstre, le mangeur de poissons :
- Vous êtes là, vous ?
- Oh ! Ça fait bien une semaine que nous sommes ici.
Ils se sont couchés. Et comme ils étaient couchés, la nuit, les monstres en causant troublaient le sommeil de Téméraire. Ils se disaient :
- Oui, à nous, il peut nous faire ça, mais pas à Feu-au-Cul !
Téméraire Né-du-Nombril s’était réveillé la nuit. Il avait entendu ce qu’ils disaient. De grand matin, le voilà qui arrive :
- Eh les gars ! De quoi avez-vous parlé cette nuit ?
- O, de rien… Le nouveau venu, celui qui presse les cannes… il est fameux, son vin de canne. Il est fort en besogne. A quelle vitesse il les presse, ces cannes !
- Non, ce n’est pas de ça que vous avez parlé cette nuit. Vous avez dit que vous alliez m’amener chez Feu-au-Cul.
Et ce Feu-au-Cul, il n’y a pas de monstre plus grand que lui. C’est lui le chef de tous les monstres. Et si on l’appelle Feu-au-Cul, c’est parce qu’il a un feu énorme dans le cul, comme ça. Il lève le cul comme ça, et il vous brûle.
Alors, le garçon est parti là-bas. Arrivé là-bas… Il avait amené avec lui Cuisses-Malin. Mais, une fois en chemin Cuisses-Malin lui dit :
- Je m’en retourne. Celui qui est ici, c’est un monstre plus grand que moi. Si j’y vais, c’est moi aussi qui serait tué, pour t’avoir conduit !
Arrivé sur place, le garçon a aperçu Feu-du-Cul. Et ce Feu-du-Cul, il était couché, le derrière en l’air, comme ça. Il lui a bouché le derrière avec la main comme ça. Le monstre se brûlait, il se brûlait lui-même, il sautait en l’air : c’était le feu de son derrière qui ne trouvait plus d’issue er qui le brûlait.
Le monstre se brûlait, il sautait, il se démenait. Alors, à un moment il s’est retourné, et il a vu le garçon :
- Toi, tu vas mourir aujourd’hui ! Tu crois qu’il y a quelqu’un de plus fort que moi, sur terre, ou dans le ciel ?
Ils se sont jetés l’un sur l’autre. Le montre levait et soulevait sans cesse sa croupe, cherchant à brûler Téméraire Né-du-Nombril.
Alors en levant le derrière, il a réussi à brûler Téméraire Né-du-Nombril, qui est resté trois jours comme mort ; pourtant il n’était pas tout à fait mort, il était dans les racines d’un arbre là-bas. (Et il entendait les trois autres monstres qui discutaient ; )
- Ah ! Moi, disait le mangeur de poissons, ma part ce sera la mère !
- Et la mienne, disait Taureau-Tout-Puissant, ce sera le père.
- Et moi, disait Cuisses-Moulin, vous me donnerez chacun un peu de votre part. vous partagerez tous les deux avec moi.
Et tout en parlant, ils frappaient sur les racines de l’arbre, toc, toc. Et voilà Téméraire Né-du-Nombril qui sort des racines.
- Eh bien, les gars, dit-il. De quoi est-ce que vous parliez à l’instant ?
- Mais de rien ! Il nous semble que nos travaux n’avancent pas. On se demande pourquoi. Celui-ci, on dirait qu’il n’est pas très en forme pour presser les cannes. Et celui-là, on dirait que son défrichement n’avance guère. Mais ma maison, elle, elle progresse tous les jours !
- La vérité c’est que vous, cette nuit, vous vouliez dévorer mon père, vous vouliez dévorer ma mère. Il y en avait un qui disait : la mère est pour moi, l’autre disait : le père est pour moi, et le troisième disait : et moi je n’ai rien ? Il faut qu’on se partage le père et la mère.
Il les a cinglés à grands coups de bâtons, et il les a laissés là, évanouis sur place, inanimés, ces monstre. Après quoi il dit à Cuisses-Moulin :
- Demain, tu vas me ramener chez ce fameux Feu-au-Cul.
A un moment, le monstre s’est penché un peu. Aussitôt Téméraire Né-du-Nombril, le prend dans ses bras et le serre à la gorge. Il lui serre la gorge, il la lui serre, bien ! Au bout d’un moment, la langue lui sortait de la gueule, à ce Feu-au-Cul. Alors il dit :
- Bon. Je suis battu, je le reconnais. Je suis épuisé. Tu peux m’emmener.
Et ils sont rentrés là-bas, à la maison.
Et une fois arrivés là-bas :
- Ton travail, lui dit le garçon, ce sera seulement de brûler, tu brûleras ce que les autres auront défriché. Et puis, vous tous, je ne veux plus vous entendre parler. Si je vous entends, je vous tue tous.
Voilà, c’est l’histoire de Feu-du-Cul. Et ils sont devenus des rois.
Attention : je veux dire que c’est Téméraire Né-du-Nombril qui est devenu Grand-Seigneur, pas Feu-du-Cul ! Eux qui vivaient là-bas, dans la brousse, leur maison de paille s’était transformée par miracle en une immense maison de pierre. A présent ils sont devenus des Grands-Seigneurs.
Fulgence FANONY
Le tambour de l’ogre
Littérature orale Malgache
tome 2
L’Harmattan