Conte: Teniky - Raymond DECARY
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Teniky (1)
Conte Bara, recueilli à Ankilimarovahatsy près de Benenitra
Autrefois il y avait une femme qui se mariait avec un monstre.
Ils avaient une fille âgée de douze ans, appelée Teniky.
Teniky était têtue. Elle ne voulait pas écouter les conseils donnés par sa mère.
Ces deux époux avaient beaucoup de meubles ; une grosse cruche était réservée pour le monstre.
Le monstre allait dans la forêt pour chercher du miel, des hérissons et d'autres proies ; il ne revenait à la maison qu'à midi et le soir.
De loin on entendait la marche du monstre.
Arrivé dans la maison, sa femme faisait cuire le repas.
Quand le repas était cuit, elle le sert.
Un jour, au moment où le monstre était dans la forêt, Teniky était appelée par les filles du village pour prendre de l'eau à la rivière.
Teniky courut vers sa mère ; elle demanda la cruche de son père. La mère n'a pas donné. La fille pleura et prit la cruche en courant.
La mère dit : « Fais bien attention de ne pas casser cette cruche, si tu ne veux pas mourir ».
Teniky et ses camarades partirent. Arrivées à la rivière, elles remplirent de l'eau leur cruche. Elles rentrèrent au village.
En route, une fille dit : « Courons vite car voilà un taureau qui nous suit ».
Elles coururent et la cruche de Teniky était cassée.
Elle pleura devant sa mère en disant qu'elle a cassé la cruche de son père.
La mère trembla et cacha son enfant dans une caverne profonde.
Chaque jour, la mère ne manquait pas de porter de la nourriture pour sa fille.
Quand la mère vint (2) près de la caverne elle chantait : « Teniky ! Teniky ! Komkom-bato trano tsy mi- rindy. »
Ce chant signifie : Teniky ! Teniky ! Ouvre ta porte.
L'enfant ouvrait immédiatement la porte de la caverne. Elle mangea le repas porté par sa mère et ferma la porte.
La femme rentra chez elle.
Teniky savait bien distinguer la voix de sa mère et celle de son père.
A midi, le monstre était revenu à la maison. Il demanda de l'eau pour boire. La femme la donna.
« Elle est chaude, cette eau », disait il.
« Donnez-moi encore de l'eau dans ma cruche ».
La femme lui dit : « Teniky a cassé votre cruche.
- Ah oui ! Et où est-elle, dit le monstre, car je me souviens trop d'elle ».
La femme lui répondit qu'elle s'amusait dans la cour.
Le soir, le monstre dit à sa femme qu'il ira encore dans la forêt pour travailler ; cependant il cherchait Teniky partout pour la tuer.
En revenant à la maison, le monstre n'avait rien porté.
Le lendemain matin, il allait dans la forêt. Il monta sur une haute montagne pour voir Teniky. Il regardait à droite et à gauche, devant et derrière.
La mère donna de la nourriture à Teniky. Elle chanta le même chant et Teniky ouvrit la porte de la caverne. Trois minutes après, elle entra dans la caverne.
Le monstre la trouva (3).
Dès que la mère de Teniky était partie, le monstre descendit de la montagne et alla vers la caverne où se trouvait Teniky.
Là, il chanta. Teniky n'ouvre pas la porte.
Le monstre demanda l'ombiasa pour faire changer sa voix (4).
L'ombiasa lui dit : « Mangez un caméléon et un serpent et votre voix se ressemblera à celle de votre femme ».
Le monstre mangea ces animaux mais sa voix n'était pas changée.
Il revenait chez l'ombiasa et raconta l'effet.
L'ombiasa lui dit encore : « Mangez des déjections des chiens et allez vers la caverne ».
Arrivé dans cet endroit, le monstre chanta: «Teniky ! Teniky ! Komkombato trano tsy mirindy ». Teniky ouvrit la porte.
Le monstre la mangea et porta le bras et la cuisse de l'enfant à la maison.
En trouvant le bras et la cuisse, la femme pleura et ne voulut pas manger cette viande. Elle conserva les os dans une soubique nommée tonotono sous leur lit.
La nuit, le monstre et sa femme dormaient.
Les os devinrent deux filles, Teniky et Koniky.
Ces deux filles crièrent dans le tonotono.
Le monstre demanda le cri à sa femme.
La femme lui répondit que ce sont des souris.
Le matin, la femme prit la soubique et l'ouvrit.
Le monstre était étonné en voyant Teniky qui était revenue à la vie.
Il lui faisait chercher ses poux.
Teniky chauffa un fer et l'introduisit dans l'oreille du monstre.
Le monstre était mort.
La femme et ses enfants étaient très contentes.
Elles vécurent paisiblement.
Notes :
(1) Il sera donné plusieurs versions de ce conte qui est un des plus populaires de toute la région sud-occidentale ; celle-ci est plus « élémentaire » que celles qui suivent. L'action se situe au cœur du massif gréseux de l'Isalo, aux abords très escarpés, creusé de profondes et étroites vallée qui serpentent, comme de véritables canions, entre des sommets aux étranges découpures. Ces montagnes forment un cadre parfaitement adapté pour servir de retraite à un ogre de légende. La grotte dite d'Itenika existe réellement et j'ai eu l'occasion de la visiter autrefois. Elle se trouve non loin du village Bara de Sahanafo, lui-même difficile d'accès au cœur du massif. Elle mesure une douzaine de mètres de diamètre et est vaguement circulaire. La muraille extérieure qui la ferme est en blocs de grès taillés quadrangulaires. Deux portes s'ouvraient autrefois dans le mur ; l'unique porte subsistant est protégée par une seconde muraille. Non loin, une colonnade séparant des sortes de loges a été sculptée dans la paroi de la falaise. Cette grotte fut amé- nagée et habitée, sans doute par des Européens, vraisemblablement des Portugais naufragés de la flotte de Manuel de la Cerva, sur la côte occidentale, et qui voulurent aller rejoindre leurs compatriotes installés à la tranovato près de Fort- Dauphin. Les noms concernant cette légende varient un peu ; suivant le narrateur, on trouve Teniky, Tenika, Itenika ; ceci montre la difficulté de fixer par la graphies certaines prononciations malgaches. Dans le cas présent, l'orthographe courante est plutôt Itenika.
(2) Venait.
(3) La vit et l'entendit.
(4) Et lui donna une voix semblable à celle de sa femme.
Contes et légendes du Sud-Ouest de Madagascar
Raymond DECARY