Conte: Trésor Amedlon

Publié le par Alain GYRE

Trésor Amedlon

 

En ce temps-là demeurait, à ce qu’on dit, un grand homme d’autrefois…et comme il demeurait ainsi, cet homme, à ce qu’on dit, euh… Il n’était pas bien riche, il était même plutôt pauvre. Et il est resté là assez longtemps avec sa femme. Or, ils avaient beaucoup d’esclaves, beaucoup de serviteurs. Et, un jour…

Mais ils n’avaient pas encore d’enfants. Ils avaient vécu ensemble depuis longtemps, et ils n’avaient pas encore eu d’enfants. Alors, un jour, ils sont allés consulter un devin. Ce devin dit à sa femme :

- Envoie ton mari à la pêche, il prendra un petit poisson. Et ce petit poisson, tu le feras cuire dès que tu l’auras entre les mains. Tu en feras trois morceaux. Le premier, tu le mangeras toi-même. Le second, tu le donneras à votre jument. Et le troisième à votre chienne. - Oui, répond la femme.

            Le lendemain, ils rentrent chez eux. Et, en arrivant, la femme dit à son mari :

- Va à la pêche. Tu y prendras un petit poisson. J’en mangerai un morceau, et c’est ainsi que nous aurons un enfant.

            Et cette nuit même, l’homme avertit tous ces esclaves, en pleine nuit. Ils prirent du feu, emportant tous des lampes, et des torches de bambous enflammés. La nuit en était toute éclairée. Ils partirent à la pêche, tous ensemble, y compris les esclaves.

            Dès qu’ils furent en mer, l’homme lança sa ligne, et dès le premier coup, il prit un poisson.

- Pour un premier poisson, c’est vraiment un petit poisson de rien du tout ! Ce n’est sans doute pas le bon. Est-ce que je vais le garder ?

            Il a retiré cette chose-là de l’hameçon et, après l’avoir assommée, il l’a jetée à l’eau. D’ailleurs la pêche avait été très riche. Ils prennent le chemin du retour.

            Aussitôt qu’ils sont arrivés à la maison, la femme demande :

- Eh bien,  ce poisson ? Est-il là, ce poisson ?

            Elle tourne et retourne tous les poissons, sans trouver celui qu’elle cherchait.

- Eh bien non, dit l’homme, je ne l’ai pas encore eu, ce poisson.

            Mais comme elle était couchée, la nuit, leur petit chat est venu lui dire :

- Renvoie-le là-bas demain. Il l’avait bien pris, mais il l’a jeté.

            Le lendemain donc, elle les a renvoyés à la pêche de nuit. Ils ont pêché à nouveau avec les torches. Ils ont ramassé des bernard-l’ermite, et ils les ont emportés comme appas pour la pêche. Les esclaves étaient contents, tous les esclaves, parce que..., ils avaient pris tant de poissons qu’ils ne savaient plus quoi en faire. Et c’était la tâche des esclaves de les faire cuire.

            Dès qu’ils sont en mer, l’homme lance sa ligne, et aussitôt le petit poisson se fait prendre une nouvelle fois.

- Pour un premier poisson, c’est vraiment un petit poisson de rien du tout que j’ai eu là !

            Il lui porte un coup violent, et le rejette à l’eau. Le poisson disparaît. Et ils continuent à pêcher.

            La pêche a encore été très riche. Ils rentrent au village.

- Il est là, ce poison ?

- Va y jeter un coup d’œil. Il est peut-être là.

            La femme tourne et retourne le tas de poissons, elle fouille depuis sept heures jusqu’à dix heures. Mais le petit poisson n’y est pas.

- Non, dit-elle, décidément il n’est pas là, ce poisson.

            Tous les esclaves riaient de plaisir, rassasiés de tous ces poissons qu’ils avaient fait cuire.

            La nuit, ils dorment, et le petit chat revient, et dit à la femme :

- Renvoie-le là-bas demain ; ton mari l’avait bien pris, mais il l’a jeté.

            Alors, l’homme et ses compagnons repartent à la pêche de nuit, avec les torches. Ils ramassent encore des bernard-l’ermite. Le lendemain, les voilà partis à la pêche.

            L’homme lance sa ligne, et dès le premier coup, voilà encore le petit poisson.

- Pour un premier poisson, c’est vraiment un petit poisson de rien du tout i m’arrive !

            Il lui donne des petits coups pour le faire tomber. Mais cette fois le petit poisson réussit à s’insinuer dans la pirogue sans tomber dans l’eau. Ils continuent à pêcher, et une fois de plus, leur pêche est très riche. Ils rentrent au village.

Une fois rentré, notre homme dit à sa femme :

- S’il est là, cette fois, ce poisson, si tu le trouves aujourd’hui, c’est bien. Mais s’il n’y est pas, tu peux retourner chez tes parents aujourd’hui ! Tu n’auras fait que m’ennuyer avec tes histoires.

            Il met en tas toutes les affaires de sa femme. Et elle, elle va chercher le poisson ; elle tourne et retourne le tas de poissons, et …, voilà ! Elle l’a trouvé !

- Ça y est. Il est là 

- Ah oui ? Celui-là, tous les jours il me cherchait, mais moi, je le jetais.

            Et le même jour, à la nuit, comme elle a eu le poisson, elle l’a découpé en trois morceaux. Le premier, elle l’a mangé, le deuxième elle l’a donné à leur  jument, et le troisième elle l’a donné à leur chienne.

            Et les arêtes, elle les a jetées dans la cour, comme ici par exemple. Et il en est sorti une plante, sur laquelle ont poussé des fleurs.

            Une semaine après avoir mangé le poisson, la femme s’est trouvée enceinte. Et la jument aussi était grosse, et aussi la chienne.

            Et ils sont restés, ils sont tés… tant et tant que la femme a mis au monde un enfant. Et la jument a mis bas, et la chienne aussi a mis bas. Chacune un petit. La femme a mis au monde un garçon. Et la jument a mis bas un poulain, un mâle aussi, et la chienne un chiot.

            Et au chiot on a donné le nom de Trésor. Quant au petit garçon, on l’a appelé Amedlon.

            Ils ont vécu là longtemps, et l’enfant grandissait. Il est devenu tout à fait grand. Une fois devenu grand, un jour, il dit :

-  Ô mère, ô père, j’ai décidé de partir, pour gagner ma vie par moi-même.

- Comment, s’étonnent son père et sa mère ? Toute cette richesse, tu veux l’abandonner ? Qui va en profiter quand nous serons morts !

- Mais non, je veux gagner moi-même ma propre richesse !

- Eh bien, puisque tu veux partir, va !

            Ils lui ont donné le cheval dont nous avons parlé, et le chien, et un fusil.

            Il est parti. Il a marché, marché… il a cheminé, depuis qu’il avait quitté la maison, pendant un mois entier, avant d’arriver. Il tirait toutes les sortes d’oiseaux qu’il trouvait dans la forêt, pour en faire le bouillon qu’il mangeait avec son riz.

Mais, avant de partir, il avait dit :

- Si cette fleur verdoyante se fane, c’est que je serai mort.

            Ce qu’il appelait une fleur, c’était les arêtes du poisson qui avaient poussé.

            Donc, il est parti, et il marche toujours dans la forêt, tirant toujours des oiseaux pour s’en nourrir. Il marche…

            Et plus loin vers le nord, il y avait un autre Grand-Seigneur. Et là il y avait aussi un grand lac, et dans ce lac, il y avait un Monstre. Et chaque année, ce Monstre prenait un être humain.

            Ayant entendu cela, Amedlon voulut y aller voir.

- Oh non, lui disent les gens du village. C’est au sixième mois (et cela devait tomber le mois suivant) qu’on va livrer au Monstre la fille de Grand-Seigneur.

            Donc il a entendu cette nouvelle.

            Il est resté ainsi dans la forêt, au fond de la forêt, sans jamais se déplacer, sans jamais sortir pour aller au village. Après quelques temps, Grand-Seigneur a réuni une assemblée de tous les gens du village pour faire cette annonce :

- Je vais livrer ma file au Monstre. Mais celui qui pourra tuer ce Monstre, je lui donnerai la moitié de mes richesses, et en plus je lui donnerai ma fille en récompense.

            Alors, un des serviteurs de Grand-Seigneur est allé en courant raconter à son maître qu’il avait vu un homme, le fils d’un autre Grand-Seigneur, qui venait sur son cheval. Et le serviteur avait prévenu l’étranger :

- La fille de Grand-Seigneur va être tuée : elle va être dévorée par le Monstre du lac. Elle va être tuée. Mais celui qui pourrait tuer le Monstre, il aurait la moitié des richesses de Grand-Seigneur, et en plus il aurait aussi sa fille…

- Ah bon, avait répondu Amedlon.

            Ainsi informé, il s’est mis au travail : il a fabriqué des sabres, plusieurs sabres, et des couteaux, vous savez ces petits couteaux de fer à récolter le riz. Il les a forgés lui-même, dans la forêt ;

            Et il est resté là, à se promener à travers la forêt, et à piéger les animaux de la forêt. Et ainsi longtemps…  Et il y avait là un grand lac, un grand lac aux eaux glauques, avec un grand rocher au-dessus.

            C’était là qu’on devait abandonner la jeune fille, pour que le Monstre vienne la prendre et la dévorer. Ils sont donc venus chercher la fille de Grand-Seigneur dans ce village, pour aller l’abandonner là-bas. Et ils marchaient en chantant, au son des tambours, avec la jeune fille au premier rang.

            Une fois arrivé là-bas, notre homme s’est installé dans la forêt, et il est resté sans bouger, lui et son chien. Et les gens du village avaient dit à la jeune fille :

- Reste là, toi. Ne pars surtout pas.

            Elle est restée là, sans bouger ;

            Une fois que la foule fut partie, Amedlon s’est montré, et il lui a parlé.

            Elle lui dit :

- Va-t-en, sinon tu vas mourir. Parce que, moi, il faut que le Monstre me mange.

            Il répond :

- Non. Je reste ici.

- Va-t-en, sinon tu vas mourir. Parce que, moi, il faut que le Monstre me mange. Il faut que je voie comment il est.

- Non. Je reste ici de toute façon.

            Donc, les gens sont partis, et peu de temps après, voilà le Monstre qui arrive. Il arrive ; et à ce moment-là, l’eau du lac tourne au rouge. Dès qu’il sort, il voit qu’il y a deux humains. Il part d’un immense éclat de rire et dit :

- Ils sont terribles, ces Grand-Seigneur : deux à la fois, deux !

            Et tel qu’il était apparu là, on lui voyait sept langues, à ce monstre…

            Il lance l’une d’elle ur la jeune fille. D’un seul coup, le garçon, Amedlon, la lui tranche, d’un seul coup de son canif. Il la coupe, et elle tombe à l’eau.

- Oui, reconnaît le Monstre, tu m’as bien eu aujourd’hui, mais je t’aurai demain.

            Le Monstre disparaît.

- Va-t-en, dit Amedlon à la jeune fille, rentre chez toi, il ne reviendra plus aujourd’hui. Il ne reviendra que demain.

- Et qu’est-ce que je vais dire une fois arrivée là-bas ?

- Tu diras ceci : Le Seigneur-Monstre dit qu’il ne va pas manger aujourd’hui. C’est seulement demain matin qu’il mangera de l’homme.

- Oui.

            Elle repart. Elle arrive là-bas. Loin avant l’entrée du village, les esclaves l’arrêtent, fusil en mains :

- Où est-ce que tu vas ?

- Eh bien, c’est que le Seigneur-Monstre a dit qu’il ne va pas manger d’homme aujourd’hui. C’est demain seulement qu’il mangera de l’homme.

            Ce soir-là, ils ont fait la fête. On n’a pas fermé l’œil de la nuit, pour fêter la jeune fille. Mais, le lendemain il faudra la ramener là-bas.

De son côté, Amedlon avait ramassé langue de la bête, et il l’avait glissé dans sa poche. Puis il était parti dans la forêt, toujours dans la forêt, car il ne vivait pas dans un village, il restait toujours dans la forêt, avec son petit cheval et son petit chien.

-puis, le lendemain, il est revenu au même endroit. A huit heures du matin, il est parti accompagner la jeune fille. Ils arrivent sur le rocher :

- Reste là !

- Oui.

- Surtout ne bouge pas !

- Non. Je ne bouge pas.

            Les gens repartent au village.

            Une fois les gens partis, Amedlon sort de sa cachette, muni de son petit couteau, et suivi de son petit chien. Le monstre sort, et il dit :

- Hier, vous m’avez bien eu, mais aujourd’hui, c’est moi qui vous aurai.

            Il projette une autre de ses langues, et aussitôt Amedlon la lui coupe avec son petit couteau. Le chien aussi se rue sur lui, et il lui mord ses vastes fesses, si larges qu’on aurait dit une formidable paire de vans !

            Le monstre plonge dans le lac. Il disparaît.

- Aujourd’hui, je ne vous ai pas eus. Attendez un peu ! Vous verrez, dans un mois, si je ne vous tue pas tous les deux.

            Amedlon ramasse aussi cette deuxième langue coupée, et il la glisse dans sa poche. Et le jeune fille lui demande :

- Qu’est-ce que je vais dire en arrivant là-bas ?

- Eh bien, quand tu arriveras, raconte-leur que le Seigneur-Monstre t’a  dit  qu’il ne veut pas manger d’homme. Il veut te laisser engraisser un peu, et comme ça il te mangera le mois prochain.

            Ils rentrent au village. Loin avant l’entrée du village, voilà encore les esclaves qui l’arrêtent :

- Où est-ce que tu vas ?

- Eh bien, c’est que le Seigneur-Monstre  a dit qu’il ne veut pas encore manger d’homme. Il attend le mois prochain pour manger de l’homme.

- Bon, disent-ils.

            Elle est partie, et elle se promenait là-bas. Et c’était la fête continuelle ; en attendant le jour où on devait l’emmener. Chaque jour, on tuait un bœuf pour elle. Ainsi, elle serait assez grosse pour être mangée par le Monstre.

            Et pendant ce temps-là, Amedlon, restait toujours dans la forêt, avec son chien. Il ne sortait jamais pour aller au village. Il avait déjà deux des langues du Monstre. Il reste là, longtemps… Le mois indiqué par le Monstre se passe. Il faut y aller !

            C’est demain qu’il faut y aller.

- Demain, nous partons !

- Oui.

            Ils partent. On se réunit au son de la conque marine. Ils partent.

            Toujours avec les tambours… Toujours avec les tambours… Les gens conduisent la jeune fille au son du tambour, eux derrière, et elle devant, comme ça. Arrivés là-bas, ils la laissent sur le gros rocher.

- Ne bouge pas d’ici, reste bien là !

-Oui.

            Ils repartent au village.

            Comme ils repartaient au village, Amedlon est sorti avec son petit chien. L monstre surgit au même moment. Il dit :

- Aujourd’hui, c’est votre dernier jour. Chaque fois que je suis venu, vous m’avez bien eu. Mais aujourd’hui, je vais vous tuer, c’est sûr.

            Et aussitôt, il déroule sa langue. Amedlon la lui tranche d’un seul coup, et il ramasse le bout.

            Le Monstre lance une deuxième langue. Amedlon la lui coupe net, comme la précédente. Et le chien se rue sur le monstre, pour lui mordre ses fesses vastes comme des vans, et lui en arracher un morceau, qu’il rapporte à son maître. Alors le monstre se précipite dans l’eau.

- Ah, gémit-il, mes langues ! Il ne m’en reste plus que deux ! Mais avant qu’elles soient toutes tranchées, je vous aurais eus. Je repars, mais quand je serai guéri, je reviendrai.

            Les deux jeunes prennent le chemin du retour.

 

- Dis-moi, toi. Qu’est-ce que je vais raconter là-bas, demande la jeune fille ? A chaque fois, tu me dis de renter. Qu’est-ce que je vais bien pouvoir leur raconter, là-bas.

- Oh, il suffit que tu leur dises que le Seigneur-Monstre ne te trouve pas assez grasse. Il veut qu’on te fasse engraisser davantage avant de te renvoyer chez lui.

- Oui.

Ils rentrèrent alors. Loin avant l’entrée du village, les esclaves l’arrêtèrent encore :

- Où est-ce que tu vas ?

- Eh bien, le Seigneur-Monstre ne me trouve pas assez grasse. Il veut qu’on me fasse engraisser davantage avant qu’il puisse manger de l’homme.

            Ils la laissent passer. Elle arrive au village.

            On a fait encore une fois la fête jour et nuit. La nuit, on ne fermait pas l’œil. Et le jour, on faisait la fête pour la jeune fille. Les six mois ont passé. Il a bien fallu ramener encore la jeune fille là-bas ; tous chantaient. Danses et prières le long du chemin… Et on est arrivé là-bas.

            Une fois arrivés auprès de l’énorme rocher :

- Reste là !

- Oui.

- Ne t’éloigne pas !

- Non.

            On l’abandonne là.

            Aussitôt que les gens sont repartis, le chien Trésor apparaît, avec son maître Amedlon. Et, comme les gens étaient repartis depuis un moment, arrive aussi le monstre. L’eau du lac tourne au rouge au moment où la tête va en sortir. Il est là :

- Non, vous ne vous en sortirez plus ! Depuis trop longtemps, vous vous moquez de moi. Mais cette fois, vous ne pourrez plus rien faire.

            Il projette une autre de ses langues. Amedlon la lui coupe encore, et il la glisse dans sa poche.

            Le chien se rue encore sur lui. Le Monstre projette sur la jeune fille sa dernière langue, et Amedlon la lui coupe aussitôt. Le chien se rue sur lui. Le Monstre est mort.

            Maintenant, le Monstre est mort. Derniers soubresauts… , et il est mort, et l’eau l’entraîne plus bas.

  Alors, Amedlon sort les langues. Il les compte : sept. Il les glisse à nouveau dans ses poches, avec tous les couteaux dont il s’était servi pour les couper. Il prend aussi les griffes du monstre, les coupe et les met dans ses poches. Il n’oublie pas la queue. Puis il repart.

            En rentrant, la jeune fille lui dit :

- Attends. Prends ceci, (…)

            Et elle donne à Amedlon un mouchoir où était inscrit son nom.

            Ils reprennent leur route.

- Et qu’est-ce que je vais leur dire, quand j’arriverai là-bas ?

- Eh bien, dis-leur : Le Seigneur-Monstre ne mangera plus d’homme, parce que jusqu’à aujourd’hui, il a mangé de l’homme tous les jours, et il trouve que c’est assez.

            Et la jeune fille est retournée encore une fois chez elle. Arrivée là-bas, les esclaves lui ont demandé :

- Où est-ce que tu vas ?

- Oh, le Seigneur-Monstre ne mangera plus d’homme à partir d’aujourd’hui, il en a assez.

            On l’a ramenée auprès de Grand-Seigneur, à qui on a répété que le monstre dorénavant ne mangerait plus d’homme. Et ils ont fait une grande fête, dont tout le village résonnait…

            Donc, le Monstre était mort. Il gisait dans l’eau peu profonde, comme ça. Et voilà que des marchands de charbon de bois, qui venaient de la campagne, passent par là.  Ils ont sur les épaules leurs bâtons de portage, avec un sac à chaque bout… et ils voient cette chose.

- Hum hum hum ! Il y a par ici quelque chose qui sent bien mauvais…

            Ils regardent, et c’était Seigneur-Monstre qui gisait là-bas, tout là-bas. Ils lancent leur charbon dans l’eau. Ils le jettent. Et ils se mettent à découper la bête en morceaux. C’est qu’ils avaient entendu que Grand-Seigneur voulait donner la moitié de ses biens à celui qui aurait tué le monstre.  

            Ils coupent la tête du monstre, et ils l’apportent à Grand-Seigneur :

- Grand-Seigneur ! Grand-Seigneur !

- Oui !

- Le monstre, nous l’avons tué, le monstre qui voulait dévorer ta fille. Nous l’avons tué. Vois : c’est sa tête !

            Ils la posent là.

- Eh bien, posez-la ici, leur répond Grand-Seigneur. L’année prochaine, nous nous en occuperons.

- Oui.

            On a donc posé là la tête du monstre. Et à partir de là, on a installé le marchand de charbon dans la résidence de Grand-Seigneur. Il n’habitait plus ici, en bas.

            Alors, Amedlon avait tout de suite vu tout ce qui c’était passé,. Il a fait semblant de venir chercher du travail chez Grand-Seigneur.

- Est-ce que tu engages des ouvriers ici ?

- Mais oui, dit Grand-Seigneur. Qu’est-ce que tu veux faire ?

- Oh, je veux garder les cochons.

- Vraiment ?

- Oui.

            Et il avait retiré tous ses vêtements, et son cheval, il l’avait caché dans la forêt. Et puis il avait pris une peau de cochon et des os de cochon. Il avait dépecé un crâne de cochon, et de ce crâne, il s’était fait une coiffure, et fe la peau il s’était fait une veste. Et il était allé garder les cochons dans la forêt. Qui aurait dit que c’était lui qui avait tué le monstre ?

            On a annoncé aux marchands de charbon :

- C’est demain, que nous allons faire votre mariage, puisque le temps convenu est écoulé.

- Mais oui, ont dit les marchands, qui étaient venus du bas pays.

            Or, comme nous le savons, Amedlon ne restait pas dans le village. Et le chien Trésor laissait son maître Amedlon garder ses cochons  dans la forêt et lui, il s’en allait.

            Et comme le mariage était déjà commencé, et que les gâteaux étaient déjà coupés, Amedlon a appelé son chien depuis la forêt où il se trouvait pour lui donner une commission :

- Va et rapporte-moi ma part de gâteau.

            Le chien s’élance, se faisant un chemin à travers la foule. Il grimpe sur la table, prend un gâteau dans sa gueule, et repart vers Amedlon. La foule criait :

- Tuez-le ! Tuez-le ! Mais tuez-le donc, ce chien voleur ! Tuez-le, et son maître avec !

            Ils se sont lancés à la poursuite du chien d’Amedlon, et ils ont fini par le rattraper.

- Hé, c’est donc ton chien qui nous vole nos gâteaux ?

            Voilà Trésor bousculé, ligoté, et traîné avec une corde. On le tirait sur les pattes de derrière, on ne le laissait pas marcher les quatre pattes par terre. On le tirait sur les pattes de derrière, comme ça.

            On arrive là-bas. Tout de suite, Amedlon demande :

- Mais qui est-ce qui a tué le monstre ? Qui est-ce donc qui l’a tué ?

            Les marchands de charbon sont furieux :

- Ne dis pas n’importe quoi. Regarde, l’énorme tête. Elle est ici !

- Mais moi, je ne fais que poser une question, rétorqua Amedlon : qui est-ce qui a tué le monstre ?

- Ne dis pas n’importe quoi. Son énorme tête est ici !

            Mais lui,  il dit :

- Et ça, qu’est-ce que c’est ?

- Oh, disait Grand-Seigneur, il faut ke tuer, ce chien qui vient mettre ses pattes partout ici !

- La vérité, c’est que c’est moi qui ai tué le monstre, dit Amedlon.

            En entendant ces mots, les marchands de charbon se mettent à faire dans leurs pantalons, tous.

- Oui, continuait Amedlon. Si quelqu’un prétend avoir tué le monstre, ordonnez-lui de montrer les langues, et puis la queue, et puis les griffes !

            On leur a demandé :

- Alors, où sont les langues du monstre ? Et sa queue ? Et ses griffes ?

            Ils ne savaient pas quoi dire.

- C’est moi qui l’ai tué, dit Amedlon. Voici ses langues ; il y en a sept.

            On a retourné la tête de la bête : en effet les langues n’y étaient plus.

- Et voici ses griffes. Regardez bien, s’il y a des griffes sur le corps du monstre

            On regarde : pad de griffes.

- Et voici sa queue.

            On regarde si la queue y est. Pas de queue.

            Et puis, il a ajouté :

- Ensuite, voici le mouchoir de la jeune fille. Regardez bien, son adresse est inscrite dessus.

            On fait venir la jeune fille, et c’était bien son adresse, qu’elle lui avait donnée.

- Eh bien, dit Grand-Seigneur aux marchands de charbon, vous êtes des menteurs !

            On les a mis au poteau, et on les a fusillés. Morts.

            Amedlon est resté ici (avec la famille de Grand-Seigneur). Un jour, il dit :

- Cette fois, allons faire une petite visite chez nous. (Voilà ce que dit Amedlon, qui est toujours avec Trésor.)

- Non, moi, dit Grand-Seigneur, je n’irai pas là-bas. Restons plutôt ici.

- Mais moi, je ne veux ps te prendre tes biens. Je veux seulement la femme. Je l’emmène avec moill        Alors on a donné aussi un cheval à la femme, pour qu’elle puisse aller au vikkage des parents d’Amedlon. Et on voulait en donner aussi un au jeune homme.

- Non. je ne prendrai pas de cheval, dit-il, j’irai à pied tout simplement.

            Donc, il est parti à pied, il a marché… et arrivé un peu plus loin, il a dit :

- Attends-moi. Je dois me glisser un instant dans la forêt.

            Il avait gardé son crâne de cochon sur la tête. Il ne l’enlevait jamais. Il s’est glissé un instant dans la forêt. Quand il en est ressorti, il avait enlevé sa veste, sa veste de peau de cochon. Et il avait enlevé son crâne de cochon, qu’il portait en guise de coiffure.

            Quand il est ressorti de la forêt, il avait ses habits, et il était monté sur son cheval. En le voyant la jeune fille s’est évanouie. Alors Amedlon lui a dit :

- Si c’est d’amour, oui d’amour, que tu t’es évanouie, alors reviens à la vie ! Mais si ce n’est pas d’amour, oh alors, meurs pour de bon !

            Et la jeune fille ases esprits.

            Ils ont continué à marcher, à marcher, à marcher… Et ils sont arrivés là-bas. (En arrivant, Amedlon s’adresse à son père :)

- Père, lui dit-il, j’ai voulu partir, pour gagner ma vie. Et vous, vous vouliez m’en empêcher. Et pourtant, maintenant, j’ai fait fortune par moi-même.

            Et ils sont restés là, et ils ont fait un grand festin. Et l’autre Grand-Seigneur, le père d’Amedlon, est venu lui aussi ; il est venu prendre part aux agapes. Et ils sont restés là longtemps…Quant à nous, nous nous sommes éclipsés pour les laisser entre eux.

 

            C’était une histoire des grands hommes d’autrefois.

 

 

Fulgence FANONY

Le tambour de l’ogre

Littérature orale Malgache

tome 2

L’Harmattan 

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