Conte: Tsiantsiva et son esclave

Tsiantsiva et son esclave
Fabliau Sakalava
Recueilli à Morondava (cercle de Morondava).
Tsiantsiva était, dit-on, une belle jeune fille à la taille souple et à la peau claire. Elle avait une bonne et jolie esclave nommée Ikalona. A cause de leur beauté, de nombreux jeunes gens vinrent demander leur main; certains étaient môme des chefs ou des hommes riches.
Vint un jour, pour obtenir Tsiantsiva, un ampanito [sorcier] célèbre et riche, fils d’un chef appelée Valalamanevotsarivo. 11 arrivait du Sud, accompagné de plusieurs hommes. Il s’arrêta à quelque distance du village de la jeune fille et envoya plusieurs masondrano [garçons] qui allèrent chez Tsiantsiva et lui demandèrent si elle voulait se marier avec Ravalalamanevotsarivo; elle accepta; l'ampanito vint donc chez elle et on célébra le mariage.
Puis il s’apprêta à emmener sa femme. Mais auparavant Tsiantsiva et sa jeune esclave allèrent se baigner, et emportèrent des lalandy (plante) pour se laver la tête, parce qu’en ce temps-là il n’y avait pas encore de savon. Elles se baignèrent.
La servante eut fini la première et s’en revint à la maison. Le jeune marié fut tout troublé en la voyant; il crut que c'était Tsiantsiva sa femme, il la fit monter en filanzane et tous deux s'en allèrent avec leur suite : ils n’étaient pas encore bien loin quand Tsiantsiva arriva dans le village et demanda :
« Où est allé Valalamanevotsarivo ? Car je n’entends plus personne dans le village.
- Ils sont tous partis, dirent les voisins. Valalamanevotsarivo a emmené ta servante et emporté toutes tes affaires. »
Alors Tsiantsiva courut après eux en criant : «
C’est Tsiantsiva qu’il a prise comme femme et c’est Kalona qui est partie. »
Elle les rattrapa, et Kalona fut épouvantée en voyant sa maîtresse : sa figure devint toute blanche. Tsiantsiva reprit ses affaires et retourna chez elle.
L’ampanito la suivait en lui demandant pardon, mais elle ne voulait rien entendre.
«Je te donnerai dix bœufs, s’écria-t-il; car j’ai tort. Mais je croyais que c’était toi, et c’est pour cela que je l'ai emmenée.
- Non, dit Tsiantsiva.
- Je te donnerai dix esclaves.
- Non » dit-elle encore, et elle voulait retourner dans sa maison.
Kalona l’esclave suivait sa maitresse et celle-ci la gourmandait :
« Tu n’as pas honte d'aller avec un homme qui n’est pas de la même race que toi ! »
Et, arrivée au village, elle vendit son esclave, qui regrettait bien fort tous les maux qu’elle avait causés.
Quant à l’ampanito, quel malheur pour lui d’avoir laissé celle qui était dans sa main, et de n’avoir pas gagné celle qu’il désirait ! I1 était honteux de penser qu’une misérable esclave était cause de tout cela. Ses parents et ses sujets avaient appris ce qui lui était arrivé : aussi ne voulut-il pas retourner chez lui ; il s’établit à l’endroit même où Tsiantsiva les avait rattrapés, et c’est là que plus tard il fut enseveli. Il avait donné au nouveau village le nom d’Ankitoka [à-la-fâcherie].
Souvent le regret ne vient pas avant dans l’esprit pour conseiller, mais il vient après pour faire des querelles.
Contes de Madagascar
Charles RENEL