Conte: Un remède contre la mort - Raymond DECARY
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Un remède contre la mort
Conte Bara, recueilli à Ankiliabo, district de Manja
Un jour, dit-on, tous les animaux terrestres et aériens se rassemblèrent dans un lieu sûr, pour se demander comment on pourra éviter le mort continuelle, se décourageant que toute partie de leur descendance diminuait par suite des terribles maladies inconnues.
Pour ce durable malheur, tous les rois de ces animaux adressèrent amèrement une prière à l'Eternel (1) pour qu’il leur accorde un remède efficace contre la mort.
Ayant consenti à favoriser cette prière, l'Eternel avait ordonné à leurs rois de grouper tous leurs sujets près de la façade d'un édifice, et avait désigné le bœuf (2) pour la garder jusqu'à son arrivée, attendu que ce remède avait été apporté d'avance par un de ses favoris à l'intérieur de ce bâtiment.
Ne pouvant pas attendre l'arrivée de l'Eternel, tous les animaux de cette réunion s'évadaient par force de l'assemblée.
Le bœuf s'opposait vivement au départ illégal de tous ces animaux, mais ne put les empêcher. L'Eternel arrivé dût repartir pour revenir le lendemain matin, pour que tous les êtres soient de nouveau réunis.
Cette dernière réunion devait consister à distribuer le remède.
Hélas ! Le gardien infidèle (3), accablé de faim et de soif, était parvenu à boire tout ce remède. L'Eternel posa en colère la question devant l'assemblée, et le serpent qui était resté non loin du gardien pendant l'absence des animaux, accusa le bœuf d'être coupable du vol.
« Il a volé, dit l'Eternel, ce qui lui avait été confié. Pour votre mauvaise foi et votre abus de confiance, vous serez puni.
- Mais, dit le bœuf, quelle punition ? Permettez-moi de vous demander une rémission.
- Non, non, grand monstre à tête légère ! Tais-toi donc ! »
Tout aussitôt, l'Eternel appelait tout être de la terre ; personnes et animaux devront se présenter dimanche au matin à l'endroit où a été faite la dernière réunion.
A sept heures, tous ces êtres venaient au rendez-vous, se groupant en face de cet édifice.
Un procès eut lieu, on écoutait ce que disait l'Eternel, et il finissait par dire que le remède efficace avait été bu par le bœuf (4).
Ceux qui tomberont malades, soit vos futurs descendants, qui ne prendront pas un bœuf pour protéger leur vie, seront morts.
Depuis lors, dit-on, chaque fois qu'on est gravement malade, ou quand on forme des vœux de bonheur et de prospérité, on fait un sacrifice en tuant un bœuf (5), croyant que ce remède bu autrefois par le bœuf reste encore efficace dans sa chair qu'on mange.
Et cela, dit-on, portera bonheur à tous ceux qui l'exécuteront.
Notes :
(1) Il s'agit, en fait, non pas de l'Eternel de la religion chrétienne, mais de Zanahary.
(2) Le bœuf, dans ce conte, a été considéré par Dieu comme un gardien de confiance. Nul autre animal ne pouvait être mieux choisi dans ce but. Le bœuf, en effet, dans les coutumes traditionnelles, non seulement sert à l'existence du Malgache, mais joue aussi un important rôle religieux. C'est un animal quasi sacré qui intervient dans toutes les circonstances du culte, dans les offrandes aux divinités et aux ancêtres ; les peuples pasteurs en font des hécatombes lors des funérailles et de l'édification des tombeaux. Il ne serait guère exagéré de parler du culte du bœuf. Ce caractère presque sacré ressort des considérations suivantes recueillies chez les Bezanozano : « Lh'omme et le bœuf sont les deux seuls êtres de la création qui possèdent un esprit. Le bœuf a la puissance sur lui. Doit-il être immolé, on le tourne vers le Nord-est pour lui faire regarder une dernière fois le soleil afin qu'il puisse l'implorer et lui recommander son esprit avant de mourir »
(3) Le bœuf.
(4) Ce sacrifice porte le nom de sorona ou soro. Son sens a été expliqué précédemment (Origine du soro, note I).
Contes et légendes du Sud-Ouest de Madagascar
Raymond DECARY