Conte: Un vœu oublié, ou l’enfant jeté à l’eau - Fulgence FANONY

Publié le par Alain GYRE

 

Un vœu oublié, ou l’enfant jeté à l’eau

Hadino vava natao, na ilay nanary zanaka anaty rano

 

 

Il y avait donc un homme, dit-on qui n’avait  jamais de succès avec les femmes. Il cherchait dans la région…, disons, par exemple où ça ? Par exemple, de chez nous, d’Ambodivoapaka, il allait chercher à Ampasilbe, il allait chercher à Antakobola, rien, il n’avait jamais de succès…

Il passa sur l’autre rive, et il arriva, disons, à Fénérive, et il se renseigna chez quelqu’un qu’on lui avait indiqué. On lui dit :

- Oui, mon ami, là il y a une femme célibataire.

- Eh bien, s’il y a une femme célibataire, conduis-moi à elle, dit-il.

            On l’y conduisit. Il lui dit ce qu’il voulait…

- Eh bien, dit la femme, demain tu entendras ma décision.

            Alors, il a passé la nuit-là. Le lendemain, dès le lever du jour, il est allé demander la décision de la femme.

- C’est oui, dit la femme, j’accepte.

- Si tu acceptes, dit le bonhomme, puisque c’est ici vraiment que j’ai obtenu le bonheur, pour lequel j’avais quitté notre canton, puisque j’ai déjà obtenu le bonheur, je voudrais maintenant, t’emmener dès aujourd’hui.

- Mais oui, dit la femme, je suis prête à partir, avec toi si c’est ce que tu souhaites.

            Alors on a fait les cérémonies d’usage, et ils sont partis. Au retour, en venant de Fénérive, on passe le Maningôry. Notre homme déclare :

- Si je peux encore avoir des enfants, dit-il, je fais vœu de jeter à l’eau mon premier né, ici, dans ce fleuve.

            Et lui, il n’espérait plus avoir d’enfant, car il était déjà d’un certain âge. Alors ils sont partis. Et ils sont arrivés au village du mari. Ils y ont vécu, longtemps ! Et quand on vit au village, on se laisse absorber par la vie quotidienne. Et ils avaient eu un enfant, et puis deux, mais le vœu leur était sorti de l’esprit, absorbés qu’ils étaient par la vie du village. Ils avaient trois enfants. Vous savez, quand on demeure dans son village… Le temps a passé. Finalement ils ont eu sept enfants.

- Nous devrions, dit la femme, aller rendre visite à mon père. Voilà bien longtemps que nous l’avons quitté. Allons lui rendre visite.

            Ils ont fixé le jour du départ. Au jour dit, ils partent. Arrivés, disons, au fleuve Maningory, ils demandent à quelqu’un de les faire passer. On monte en pirogue, on manie la pagaie. Mais voilà qu’au milieu de l’eau, la pirogue n’avance plus, elle reste sur place ?

            On avait beau ramer, l’eau écumait, tourbillonnait, et la pirogue refusait de bouger. Le passeur dit :

- N’avez-vous pas fait un vœu ? Avouez-le vite, sinon nous sommes perdus.

- Moi, répondit la femme, je n’ai fait aucun vœu.         

            Et ils avaient presque oublié. Depuis sept ans ! Comme ils avaient eu le temps d’avoir sept enfants, cela faisait même plus, dix ans sans doute.

- Moi, disait la femme, je n’ai fait aucun vœu.

- Oh, avouez vite, disait le passeur, nous risquons notre vie.

- Eh bien, moi, dit l’homme, il y a bien un vœu que j’avais fait. J’avais dit que si j’avais des enfants, mon premier-né, je le jetterais dans cette eau.

- Oh, cria le passeur, jette-le à l’eau, sinon cela va nous coûter à tous la vie…, pour une seule personne. Jette-le à l’eau !

- Non, dit la femme, je ne suis pas d’accord.

- Si, dit le passeur, jette-le. C’est cela qui nous met en danger de mort !

            Oup ! Tandis que la femme s’agitait, toute déconcertée, soudain le passeur saisit l’enfant, et le jette à l’eau. L’eau s’ouvre juste un instant, et déjà on ne voit plus le premier-né. Aussitôt, la pirogue répond à nouveau à la rame, et ils arrivent à bon port.

            Mais tout le reste du trajet, ce n’était plus que disputes ! Ils se disputaient. (Et ce fleuve fait beaucoup de courbes. L’embouchure est à Fénérive, où l’on parvient après bien des courbes.) A l’arrivée les disputes ont continué. Ils ont raconté les détails de l’affaire. La femme ne voulait plus rentrer avec son mari. Ils ont raconté tous les détails…

            Et pendant ce temps-là, les petits enfants étaient partis jouer. Et voilà qu’ils ont vu réapparaître le garçon, leur grand frère. Le garçon ne devait pas mourir, mais il fallait simplement que le père accomplisse son vœu. Et tout d’un coup voilà ! Le garçon, le premier-né qui traverse…, il est dans un embranchement de la rivière... (L’un des petits crie :)

- Bravo ! Mon grand frère est là !

            Il court pour l’annoncer là-bas :

- Mon grand frère est revenu !

- Hé ! vous, vous êtes fous, les petits ? Dire ça de quelqu’un qui est mort !

- Mais c’est lui !

            Et il apportait avec lui une plaine caisse d’argent. Dès qu’il a été là, à ce qu’on dit, on a ouvert la caisse. Et une fois la caisse ouverte :

- Elle est à moi, dit le mari.

            Parce que, dès qu’on l’avait ouverte, on avait vu qu’elle était pleine d’argent…

- Eh bien, dit le mari à sa femme, je ne t’en donnerai pas !

- Ah si, réplique la femme. Je ne suis pas d’accord ! L’enfant est à nous deux.

- Non, dit l’homme.

- Si, dit la femme ! Je ne suis pas d’accord !

            Tandis qu’ils examinaient le différend, nous, nous ne faisions que passer dans leur village. Nous sommes partis, et quelques jours après nous sommes revenus. Et nous avons posé la question : Qui selon vous devait profiter de cette aubaine ? Qui est-ce qui avait tort dans cette dispute à propos de l’enfant qui avait été jeté à l’eau ?

- Eh bien…

(Ce sont les gens du village, que nous avons interrogés, et qui nous ont répondu. Parce que, vous savez, il avait fallu que ce soit l’assemblée du village qui tranche dans une affaire comme celle-là.)

- Eh bien, la femme doit avoir  sa part de l’aubaine.

 

            C’était là ma petite histoire, toute brève. Moi je suis grand, mais mon histoire est courte !

 

 

Fulgence FANONY

L’Oiseau Grand-Tison

Et autres contes Betsimisaraka du Nord

Littérature orale Malgache

tome 1

L’Harmattan 

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