Conte: Une femme qui a ressuscité - Raymond DECARY

Publié le par Alain GYRE

Une femme qui a ressuscité

Conte Bara, recueilli à Ranohira

 

Un homme appelé Tsimanela avait une femme stérile nommée Botsiaka.

Les parents de Tsimanela ne supportaient pas cela; alors ils le prièrent de prendre une autre femme plus jeune, propre à produire des enfants (1).

Le fils accepta.

On trouvait une jeune fille appelée Narira qui habitait non loin du village de Tsimanela. La demande fut faite et la fille accepta ; on avait célébré le mariage en tuant des bœufs.

Depuis, Tsimanela possédait donc deux femmes (2).

Botsiaka, l'ancienne épouse, était jalouse de la nouvelle épouse et voulait toujours lui faire du mal, car elle était favorite de leurs beaux-parents.

Un an après le mariage, Narira était enceinte, et la jalousie de Botsiaka était si grande qu'elle cherchait toujours le moyen de l'ensorceler.

Narira avait un ombiasa qu'elle consultait souvent pour entretenir sa bonne santé et pour la protéger contre ses sorciers ; celui-ci lui défendit alors de manger des sauterelles (3) car cela pourrait lui donner la mort.

Botsiaka connaissait bien cela.

Un soir, Narira allait puiser de l'eau à la fontaine située assez loin du village ; Botsiaka qui la guettait toujours profita de son absence et fit cuire des sauterelles dans sa marmite et l'avait remise à sa place sans l'avoir du tout lavée (4).

Le soir au crépuscule, Narira retourna de la fontaine, et sans aucun souci fit cuire son repas dans sa marmite. L'aliment cuit, elle le mangea. Tout de suite, une forte colique la frappa et lui donna subitement la mort.

Quel malheur pour son cher mari ! Toute la famille était désolée. Tous les gens du village étaient désagréablement surpris de cette mort subite qu'on ne voyait jamais dans le pays.

Au premier chant du coq, on a apporté le cadavre dans le tombeau familial. Sur la tombe de Narira, son mari avait déposé soigneusement tous ses vêtements et tous ses ustensiles de cuisine (5).

Un mois après l'enterrement de Narira, la mère de Tsimanela vint à quelque distance du tombeau chercher du bois à brûler.

Sous un arbre près de ce tombeau, elle entendit une femme qui chantait en berçant son enfant. Elle se cacha soigneusement et prêta ses oreilles. Elle distingua bien les paroles suivantes du chant :

« Mon mari, mon cher mari croit que je suis vraiment morte ; cependant je suis encore en vie. Regardez que je possède un enfant. Qu'il est joli et qu'il se porte bien, mon petit bébé ! ».

Cette femme reconnaissait bien la voix ; cependant elle n'osait rien dire, mais elle lia tout de suite sa bûche (6) et partit vite pour son village. Arrivée à la maison, elle n'annonçait rien, mais elle pria seulement le mari de garder des bœufs à côté du tombeau familial et de bien écouter quelque chose tout autour.

Le lendemain, l'homme partit de bonne heure et fit ce que sa mère recommanda. Il entendit alors un beau chant de femme avec toutes ses paroles bien distinctes : c'était le même chant que sa mère apprenait la veille.

Il retourna vite au village et convoqua tous les membres du fokonolona (7).

Il annonçait alors sa bonne nouvelle à tous et pria tout le monde d'aller au tombeau pour l'aider à prendre sa femme.

On l'avait surprise à l'endroit où elle chantait.

On l'avait ramenée (Narira) avec une grande joie au village avec son charmant enfant qu'elle accoucha au tombeau.

On avait célébré une fête familiale car on retourna (8) la chère épouse de Tsimanela favorite de ses beaux-parents.

C'était la première femme qui a ressuscité.

On avait donné à l'enfant le nom de Joharinarivo.

Narira raconta alors ce qui lui survenait. Le Zanahary me redonna encore la vie, disait-elle, et me faisait sortir du tombeau. J'étais accouchée d'un joli garçon que je berçais nuit et jour sous l'arbre à côté du tombeau. Par le rêve (9), on m'a dit qu'on avait fait cuire des sauterelles dans ma marmite où j'ai mangé mon riz et je succombai. C'était Botsiaka, l'ancienne femme de Tsimanela, qui avait fait cela pour m'ensorceler.

Tout le monde était étonné et le fokonolona décida alors qu'on devait tuer Botsiaka en revanche de sa mauvaise action.

Cette dernière fut donc lapidée (10) et rejetée dans la rivière voisine pour être dévorée par les caïmans, et elle disparut pour jamais.

Depuis, ce temps, c'était Narira qui était la seule femme de Tsimanela.

Elle vivait encore longtemps et possédait beaucoup d'enfants.

 

Notes

(1) Le Malgache a l'esprit de famille très développé ; il aime les enfants et les ménages possédant une dizaine d'enfants sont fréquents. La stérilité était considérée autrefois comme une punition divine et était, dans le droit coutumier, un motif de divorce. Le gouverneur de l'Imerina, Rasanjy, a proclamé dans un kabary public : « Quelle calamité plus grande peut frapper nos ménages que celle de ne pas avoir d'enfants, qui sont le bâton sur lequel s'appuie notre vieillesse, et sans lesquels aucune main pieuse n'est là pour nous descendre dans la tombe. Ceux qui sont sans postérité sont aussi mal partagés que s'ils étaient imputés des pieds et des mains ». Une très grave insulte adressée à une femme consiste à lui souhaiter de n'avoir pas d'enfants pour l'ensevelir.

(2) Vady bé et vady kely. Voir, sur la polygamie, la note 3 du conte « Soavololonapanga ».

(3) Fady de nourriture. Voici, entre une multitude d'autres, quelques exem- ples des anciens fâdy pour une femme enceinte. Une femme enceinte qui boit du lait ou mange trop de sel aura un accouchement difficile. Si elle mange avec la cuiller à pot, son enfant aura la bouche trop large. Une femme enceinte ne doit pas arracher d'herbe verte, ce qui la ferait avorter. Si elle saute un fossé ou va chercher de l'eau à midi, elle accouchera avant terme. Pleurer après un avortement empêche une nouvelle conception. Comme j'ai déjà eu l'occasion de le souligner, une très grande partie de ces interdits est oubliée à l'heure actuelle, et l'on ne peut qu'en être heureux pour la population qui vivait jadis au milieu d'un inextricable réseau de défenses qui devaient lui rendre l'existence des plus difficiles.

(4) Les sauterelles fâdy devaient ainsi agir par une sorte de « rémanence ». Les fidèles de la baguette divinatoire dénomment sous ce nom l'influence qu'exerce encore, après son enlèvement ou sa suppression, un objet qui a séjourné en un certain endroit, influence que saurait reconnaître la baguette. Cette théorie de la rémanence permet aux radiesthésistes de justifier certains de leurs échecs.

(5) Dans tout le sud de Madagascar, on dépose sur le tombeau des objets ayant appartenu au mort, marmites, bols, lampes, chaises de fer, malles de fer, etc. Ils doivent l'accompagner dans l'autre monde, comme l'accompagnent aussi les ombres des bœufs sacrifiés lors de son enterrement. Tout ceci doit lui per- mettre de continuer, dans le royaume des ombres, une existence décente.

(6) Son fagot.

(7) Le fokonolona est la communauté villageoise, l'ensemble des habitants d'une localité, femmes et enfants compris. Cette excellente organisation sociale, qui donnait au groupement villageois une véritable personnalité, connut le déclin à partir de l'occupation française, par suite de l'intervention plus directe de l'administration dans les affaires des petites collectivités. De temps à autre, le fokonolona retrouvait un peu de vitalité et des texes officiels intervenaient pour tenter de le revigorer. La nouvelle organisation politique et sociale de Madagascar, avec ses maires et ses municipalités, en fait une organisation aujourd'hui dépassée, sauf dans le fond de la brousse.

(8) On fit revenir.

(9) C'est au cours de leurs rêves que les vivants entrent en communication avec les morts.

(10) Les jeteurs de sorts et sorciers maléfiques étaient autrefois tués à coups de pierres et surtout de pilons à riz, mais jamais à coups de sagaies. Ils n'avaient pas droit aux cérémonies funéraires habituelles et leur corps était abandonné aux chiens. Aujourd'hui, quand meurt un individu accusé d'être mpamosavy, il n'est pas inhumé dans le tombeau ancestral, mais est enterré sans cérémonie dans la brousse, la tête tournée vers le sud, qui est, de toutes les orientations, la plus défavorable, car c'est celle vers laquelle le soleil, dans sa course, ne se dirige jamais (Madagascar étant dans l'hémisphère Sud, le soleil, à midi, se trouve toujours en direction du Nord).

 

Contes et légendes du Sud-Ouest de Madagascar

Raymond DECARY

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