Conte: Zanakaminanina

Publié le par Alain GYRE

 

Zanakaminanina

Conte Betsimisaraka

Recueilli à Mananara [province de Maroantsetra).

(Variante du conte : La Vache-Sans-Cornes).

 

Un homme avait quatre filles.

Lorsqu’elles furent grandes, la dernière dit à son père :

« 11 n’y a donc pas de jeunes gens dans ce pays pour nous épouser? Je ne veux pas demeurer ici et rester fille. J’irai n’importe où pour trouver un mari. »

Le père lui répondit :

« Je ne peux pas t’en donner un, puisqu’il n’y a pas d’hommes dans le pays. »

Et il la supplia vainement de ne pas partir; il lui offrit même une grosse somme d’argent pour ne pas quitter la maison paternelle, mais elle refusa. Le père lui dit alors :

« Puisque je ne peux pas te faire rester, mon enfant, pars donc; mais emporte au moins avec toi ce pot en terre, du riz et un couteau. »

La jeune fille partit, et, après un long voyage, elle arriva dans une grande forêt, où il n’y avait personne.

Elle se construisit une hutte en branchages, où elle vécut.

Or, après avoir mangé seulement du miel et des légumes qu’elle prenait dans la forêt, elle devint enceinte.

 Elle mit au monde une belle petite fille, qu’elle appela Zanakaminanina. [Celle-ci grandit et devint une jolie jeune fille].

 Or, un jour que sa mère était sortie, un homme dont le métier était de récolter du caoutchouc, passa par là et vit Zanakaminanina.

« Que fais-tu ici, lui demanda-t-elle ? »

 « J'ai perdu ma route, répondit l’homme; j’ai faim et je voudrais bien manger. »

Elle lui donna à manger, puis elle dit :

« Il faut t’en aller, car maman va revenir bientôt, et, si elle te trouve ici, elle te tuera pour te manger. »

- Je suis venu ici pour demander ta main à ta mère. Si tu consens à devenir ma femme, viens avec moi ».  

« Non, ma mère ne veut pas que je me marie. »

« Si ce n’est que la peur de ta mère qui t’empêche de partir avec moi, je vais rester ici. »

Il resta en effet, et Zanakaminanina lui dit de se cacher dans un fossé.

La nuit, la mère rentra et dit à sa fille :

« Dis-donc, Zanakaminanina, je crois bien qu’il y a quelqu'un ici; je sens l’odeur humaine, est-ce qu’il n’y a pas un homme quelque part? —

« Mais non, il n’y a que moi ici. Comment pourrait-il y avoir quelqu’un d'autre?»

La mère fouilla partout, mais ne trouva personne.

Le matin, au petit jour, elle se rendit, comme d’habitude, dans la forêt.

Dès qu’elle fut loin, Zanakaminanina prépara à manger pour l’homme, qui, avant de partir, lui dit:

« Je vais m’en aller, mais, la semaine prochaine, je reviendrai ici et nous partirons ensemble.

- Oui », dit la jeune fille.

Puis Zanakaminanina fit à tous les meubles et à toutes les choses qui étaient dans la case la recommandation suivante :

« Quand je serai partie, la semaine prochaine, ne le dites pas à ma mère, mais répondez à ses questions : Nous ne savons pas où elle est. »

Malheureusement elle oublia une petite aiguille.

Au bout d’une semaine, le voyageur revint.

Zanakaminanina prépara un repas, et, lorsqu’ils eurent mangé, tous deux partirent.

Le soir la mère rentra, et, ne trouvant personne, elle demanda à toutes les choses qui étaient dans la case:

« Où est ma fille?»

Mais aucune ne répondit, sauf la petite aiguille, qui dit :

« Un homme est entré ici et il a emmené avec lui ta fille. Si tu cours très vite, tu pourras encore les rattraper. »

La mère se précipita au dehors et courut après les deux amants qu’elle atteignit au moment où ils passaient une rivière. Elle appela de toutes ses forces :

« Zanakaminaniua, ma fille! Veux-tu te retourner! »

Zanakaminanina ne répondit rien, mais son amant lui dit :

« 11 faut que tu t’en ailles vers ta mère, car elle t'appelle. »

Zanakaminanina tourna la tête, mais, dès qu’elle vit sa mère, elle devint aveugle tout à coup : la mère lui avait pris ses yeux.

Zanakaminanina dit alors à son amant :

« Je ne veux plus m’en aller avec toi, car ta femme se moquera de moi, j’aime mieux rentrer chez nous.»

« Cela ne fait rien, répondit-il ; viens tout de même. »  

« J'irai donc, mais je ne monterai pas dans le village que tu habites avec ta femme; tu me bâtiras une hutte dans quelque vallée, et j’habiterai là. »

« C’est entendu. »

Arrivé dans une vallée non loin du village, le jeune homme construisit donc une hutte. Zanakaminanina y demeura, tandis que lui regagna sa case.

Or la mère de Zanakaminanina conservait toujours les yeux de sa fille dans un petit coffret, et ces yeux ne pourrissaient pas.

Quand le jeune homme arriva au village, ses parents lui demandèrent :

 « Où donc est la femme que tu viens de chercher si loin ?»

-  Je l’ai laissée dans une hutte, là-bas, au fond de la vallée; elle a honte et ne veut pas monter jusqu'ici, car elle est aveugle. »

 A ces mots, la femme du jeune homme éclata de rire, en se disant que sa rivale était infirme et certainement moins belle qu’elle-même.

Le père dit à son fils :

 « Mon enfant, tu apporteras ces harefo (t) à ta nouvelle femme et tu lui diras de me faire un chapeau. »

Lejeune homme obéit.

Quand il eut quitté Zanakaminanina, celle-ci se dit tristement :

« Comment pourrais-je faire un chapeau, moi qui suis aveugle? »

Et elle se mit à pleurer amèrement.

Aussitôt le petit coffret qui renfermait ses yeux s’emplit de larmes, et la mère connut que sa fille avait de la peine. Elle vint vers Zanakaminanina et lui dit :

« Pourquoi pleures-tu, mon enfant? »

« Je pleure, parce que mon beau-père m’a envoyé des harefo pour lui faire un chapeau ; or comment m’en tirer ? Je suis aveugle. »  

« Ne pleure plus, ma hile; je vais faire le chapeau de ton beau-père. »

En même temps elle remit les yeux de sa fille et lui dit d’aller faire cuire du riz. Quand le riz fut prêt, le chapeau était fini. Après le repas, la mère reprit les yeux de sa fille, les remit dans le coffret et s’en alla.

Le soir, le mari de Zanakaminanina arriva et lui demanda si elle avait fait le chapeau. Elle le lui montra et le mari fut bien étonné en le voyant. Non moins surpris fut le beau-père. 11 dit à son fils :

« Fais venir ici ta femme; je vois qu'elle est capable de faire quelque chose. »

Le fils retourna chez sa femme et lui fit la commission.

« Je monterai au village, dit-elle, mais pars avant moi. »

Quand elle fut seule, elle se mit à pleurer amèrement. Le coffret s’emplit de nouveau de larmes et la mère connut la peine de sa fille. Elle arriva en hâte et lui demanda :

« Pourquoi pleures-tu, Zanakaminanina ?

- Mon beau-père veut que j’aille chez lui au village, mais je n’ai que de vieux vêtements, je n’ai pas même une natte neuve, et je suis aveugle. »

«Ne pleure plus, ma fille chérie, tu auras tout ce qu’il te faut. »

Elle s’en alla, prit des harefo et en fit des nattes, prit du raphia et en fit une couchette.

Puis elle donna de beaux vêtements à sa fille et lui remit ses yeux :

« Voilà tout ce que tu m’as demandé. Maintenant je suis obligée de partir. »

Le soir arrivèrent chez Zanakaminanina des gens envoyés par son beau-père et qui lui dirent :

« Notre maître nous a ordonné de venir ici pour vous chercher et pour porter toutes vos affaires. »

Zanakaminanina leur remit tout ce que sa mère lui avait donné, s’habilla richement et partit avec eux.

Arrivée au village, elle fut reçue comme une reine. On lui fit fête, on but du toaka et on mangea beaucoup de bœufs.

Zanakaminanina s’enivra à force de boire du toaka et elle dit à son mari :

« J’ai envie de vomir.

- Vomis donc à terre, répliqua celui-ci.

-Non, dit la jeune femme, je veux vomir sur le lamba de ma belle-mère. »

On lui apporta le lamba de sa belle-mère et elle se mit à vomir : mais de sa bouche sortaient des pièces d’or et d’argent, qui bientôt remplirent le lamba.

Un instant après, l’autre femme du jeune homme dit :

« Moi aussi, je veux vomir.

- Vomis donc à terre.

- Non, je veux vomir sur le lamba de ma belle-mère. »

On le lui apporta, mais quand elle vomit, il ne sortit de sa bouche que d’ignobles débris.

Un matin, Zanakaminanina dit à son mari :

« Je veux me laver le corps.

- Si tu veux te laver, va donc à la fontaine qui est près du village. Mes sœurs, si tu le désires, iront avec toi.

- Non, je n’ai pas besoin d’eau; ordonne seulement qu’on me fasse un grand feu avec des bûches. »

On alluma un bûcher et de grandes flammes s'élevèrent. Zanakaminanina s’approcha du feu et s’y jeta sans hésiter : aussitôt le feu se transforma en une eau très pure, et la jeune femme s’y baigna.

Jalouse, l’autre femme s’écria :

« Je veux me laver.

- Va donc à la fontaine.

- Non, il faut qu’on me prépare un bûcher. »

 Quand le bûcher fut prêt, elle s’y jeta et fut brûlée vive.

 Après sa mort, Zanakaminanina resta seule femme de son mari.

 

 

(i) Harefo ; sorte de jonc dont on fait des chapeaux.

 

 

Contes de Madagascar

Charles RENEL

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