Notes du passé: Coloniser à travers des intérêts privés

Publié le par Alain GYRE

Coloniser à travers des intérêts privés

17.05.2016 Notes du passé

Notes du passé: Coloniser à travers des intérêts privés

«L’établissement français à Madagascar ne résulte pas d’un évènement fortuit ni de circonstances heureusement exploitées. L’installation des Français dans la Grande île fut l’une des étapes d’un plan très vaste étudié depuis bien des années. » C’est ce qu’affirme Edmond François le 17 décembre 1943, à l’occasion du Tricentenaire de l’établissement de l’autorité française à Madagascar, à travers les premières installations au Fort Dauphin, dans une communication à l’Académie malgache. Ce plan remonte à Henri IV avec un premier projet de constitution d’un empire colonial. C’est le Hollandais Peter Lingtgens qui le soumet au roi au début du XVIIe siècle, visant la constitution d’une compagnie française qui devra « tirer des deux bouts du monde tout ce que la nature a produit ». Les actions devaient être émises à 3 000 livres chacune et parmi les associés figureraient la reine Marie de Médicis et Antoine Godefroy; du côté hollandais, il y aurait, entre autres, Girard de Roig. Mais l’entreprise avorte.

Elle est reprise sous Louis XIII par Girard de Roig et Geoffroy de Limoges et le roi leur accorde des lettres patentées. « Mais les associés n’ayant rien réalisé après quatre années, le Conseil du Roy fut saisi de la revendication formulée par deux marchands, Escheziel de Caen et Muisson de Rouen. » De Roig s’y oppose et pour départager les parties, le Conseil décide de fonder une nouvelle société qui « rassemblerait les anciens et les nouveaux actionnaires ». La Compagnie arme au moins trois navires qui voyagent sous la direction du capitaine de Beaulieu. « En 1633, le privilège prit fin et il ne semble pas que les actionnaires eussent été enrichis par les profits de cette première Compagnie française des Indes. » Rien d’étonnant car elle ne se donne aucun but défini dans cette région et ne forme aucun projet particulier quant à l’occupation de la Grande ile. Pourtant Richelieu est, à plusieurs reprises, saisi de propositions pour l’ouverture de comptoirs à Madagascar et, de ce fait, veut y établir solidement les couleurs royales.

Cependant, déjà au XVIe et au XVIIe siècles, « l’existence d’un empire était conditionnée par la liberté sinon la maîtrise de la navigation sur les routes maritimes ». La France s’intéresse alors à deux de ces voies: celle qui devrait mener aux mines d’argent du Mexique et au fabuleux El Dorado, et celle qui joindrait la mer des Indes, les perles et les épices. Or sur ces routes, il faut non seulement défendre les navires contre les corsaires, mais aussi s’efforcer de saisir ceux de la Hollande et de l’Angleterre. Ainsi pour conduire « la guerre de course », des bases sont indispensables où les navires peuvent « se rafraîchir ». On choisit les Antilles sur la route de l’Occident et les Mascareignes sur la route des Indes. Des « points que tous les voiliers devaient reconnaître après le passage de Bonne-Espérance ».

Mais au temps de Richelieu, on ne peut concevoir « la colonisation officielle », les relations internationales n’étant pas encore « codifiées » et la lutte permanente sur toutes les mers génèrent fatalement des conflits entre gouvernements. Ainsi pour les éviter, chaque État préfère développer « ses projets et ses politiques » derrière des intérêts privés. L’Angleterre fonde en 1600, une Compagnie des Indes orientales « au capital fabuleux pour l’époque », 7 200 £. Compagnie qui donne à l’Angleterre une assise solide en Asie tout en enrichissant ses commanditaires.

Pour donner à la France un point d’appui dans le Sud-est de Madagascar, Richelieu fait constituer une société coloniale. On accorde alors à un certain Rigault, capitaine au long cours, le privilège du commerce et de la navigation dans la Grande ile « pour le dédommager des grandes dépenses qu’il a engagées et utiliser ses connaissances pour créer un établissement à Madagascar ». Ces grandes dépenses « ne pouvaient être que les sommes engagées pour l’armement du voilier Saint-Louis, dont on pressa le départ afin qu’il fût hors de France avant la rédaction de l’acte de société. Quant à ses connaissances de Madagascar, il semble bien qu’elles devaient être superficielles ».

Le « privilège » de Rigault est donc la concession mise à la disposition de la Compagnie française des Indes orientales, dont le capital est partagé en 24 parts réparties entre des fonctionnaires et des marchands. Parmi les premiers, le célèbre surintendant des Finances, Nicolas Fouquet qui se pare du « modeste » titre de conseiller du roi, et Pierre de Beausse, « premier commis des parties casuelles de Sa Majesté » et dont, peut-être, « la participation est par personne interposée, celle de Louis XIII ». « C’était bien là une affaire privée mais dont le contrôle administratif était fermement assuré.» D’autant que les associés se réunissent périodiquement rue de la Verrerie, à l’Hôtel de Nicolas Fouquet, et choisissent quatre directeurs, Rigault, Fouquet, de Beausse et Desmartins, ce dernier représentant les marchands.

Pela Ravalitera

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Publié dans Histoire, Notes du passé

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