Conte: La pintade et le courlis huppé

Publié le par Alain GYRE

La pintade et le courlis huppé

Aux jours d’autrefois, dit-on, toutes les créatures avaient – et c’est resté vrai jusqu’à présent – chacune leur ami.

            Ils étaient donc deux amis, qui avaient fait amitié par échange de sang : Pintade et Courlis-Huppé. (Le courlis huppé est un oiseau avec le bec assez long, et le plumage brun et blanc ; tandis que la pintade a le plumage noir et blanc.)

            Ces deux-là étaient amis, mais Pintade ne fréquentait pas les bords des ruisseaux comme le faisait Courlis-Huppé. Inversement, celui-ci n’aimait pas marcher dans les collines, il préférait les bords des ruisseaux. Mais comme ils étaient amis, oh, il ne pouvait guère suivre les bords des ruisseaux : aller avec son ami, c’est tellement meilleur…

            Ainsi, ils vivaient en amis, allant par les collines jour après jour, à la recherche de leur subsistance, toujours ensemble. Chaque jour, chaque jour, ils partaient ensemble chercher leur subsistance là-bas sur les hauteurs, puisque Courlis-Huppé avait abandonné les vallons. Ils cheminaient sur les collines comme deux amis qu’ils étaient. Ils se trouvaient toujours ensemble, et plus tard ils dormaient et se réveillaient ensemble.

            Or, une nuit, Courlis-Huppé a fait un rêve. (Et le courlis huppé, c’est un oiseau assez gros, à peu près de la taille de la pintade.)

            Il avait donc fait un rêve, cette nuit, disait-il :

- Ce matin, l’ami, il nous arrivera un accident à tous les deux. Il vaudrait mieux ne pas courir les collines aujourd’hui, dit-il à son ami, car il nous arrivera un malheur.

- Pé pé pé pé, dit Pintade ! Je ne veux pas écouter ton rêve… Qu’est-ce que c’est qu’un rêve ? En tout cas, moi, je n’irai pas au bord des ruisseaux, c’est une chose que je n’ai jamais faite. Suivre les bords des ruisseaux, … non, mon habitude, c’est de parcourir les collines…

- Alors, s’écria Courlis-Huppé, tu ne veux pas tenir compte de mes paroles ?

- Eh bien, non, mon ami, je n’y crois pas.

- Pour te faire entendre raison, dit Courlis-Huppé, il faudrait qu’on te brise le crâne et la cervelle, et qu’en jaillisse le sang, du côté de cette crête que tu as là ! Comme ça peut-être nous échapperions au malheur !

- Non. C’est là une chose que je ne ferai pas ! Je continuerai comme j’ai l’habitude de faire…

- Ah bon, dit Courlis-Huppé…

            Mais finalement, à cause de l’amitié, Courlis-Huppé n’a pas voulu pas refuser et quitter Pintade, alors, ils ont continué leurs sorties habituelles, toujours ensemble, tous les deux.

            Et ils ont marché, marché, marché, toujours parcourant les collines.

- Passe devant, toi, dit Courlis-Huppé. Tu sais que mes rêves ne me trompent presque jamais. Moi, je ne passerai pas devant.

- Eh bien, d’accord, dit Pintade.

            Ils ont marché, marché, marché. Et hop, voilà Pintade pris dans un piège posé là par un homme. Les deux pattes en l’air, la tête en bas ! Le voilà suspendu !

- Eh bien, qu’est-ce que je disais, dit Courlis-Huppé ? Tu es pris maintenant ! Voilà, c’est arrivé. Si c’est comme ça, moi je m’en retourne, je descends dans la vallée.

            Mais comme Courlis-Huppé commençait à descendre, il tomba lui aussi dans un piège, et le voilà aussi suspendu les deux pattes en l’air.

- Hélas, dit-il, nous sommes morts tous les deux ! Impossible de s’en tirer.

            Et c’était vrai : qu’est-ce qu’ils pouvaient faire ? C’était arrivé. Impossible de s’en tirer.

            Alors, ils étaient là tous les deux, suspendus la tête en bas, l’un en contrebas, l’autre au sommet de la colline.

- Alors, l’ami ! As-tu une idée, demanda Courlis-Huppé ? Parce que c’est bien ce que j’avais annoncé qui nous arrive.

- Tais-toi donc, dit Pintade. Un grand garçon comme toi, est-ce qu’il peut t’arriver quelque chose de grave ?

- Oh alors, dit l’autre…

            Au matin, à l’heure où les feuilles commencent à s’échauffer, au moment où les chasseurs sortent pour faire le tour de leurs pièges, l’homme qui avait posé les pièges arrive. En arrivant, il aperçoit Pintade, les deux pattes en l’air, pendu à son piège. Il le saisit et l’attache.

            Mais par bonheur – on ne sait jamais ce que nous réserve le destin- pour une raison ou une autre, il ne lui a pas brisé les pattes ni les ailes (comme on a l’habitude de le faire). Il s’est contenté de l’attacher.

            Après quoi, il est allé voir, un peu plus bas, l’autre piège. Et là, il a trouvé Courlis Huppé.

- Bien, bien, dit l’homme. J’ai eu du succès avec mes pièges aujourd’hui. Ils ont pris deux gros gibiers, deux gros oiseaux.

      Il les attachés tous deux à la même ficelle. Puis le piégeur s’en est retourné à la maison.

            Les voilà partis, tous les trois. Il y avait un long chemin… En arrivant à la maison, l’homme voit de loin sa femme, qui était là, occupée à sa cuisine. De la colline (et il n’y avait là que leur seule maison, une maison isolée dans les champs) il lui crie :

- Oh ! Ma chère ! Qu’est-ce que tu es en train de faire cuire ?

- Pas grand-chose, répondit la femme, du cœur de palmier que tu m’as apporté !

- Jette-le, dit-il, jette-le. Je n’en veux plus ! (Parce qu’il avait pris une pintade et un courlis huppé,deux beaux et gros oiseaux. Et ils n’étaient que deux.) Jette-moi ce cœur de palmier !

            Sa femme lui dit :

- Mais, mais, je suis en train de le faire cuire…, et c’est maintenant que tu me dis de le jeter ! Et toi, tu es encore sur le chemin…

- Mais, mais, je te dis de le jeter ! N’insiste pas ! Je n’en veux plus ! Jette-moi donc ça !

            Alors bon, la femme jeta le bouillon de cœur de palmier.

- Le voilà ton plat, dit le mari. Est-ce que tu vas encore me faire cuire du cœur de palmier, avec ça ?

            Et il pose son gibier par terre, près du foyer : la pintade et le courlis huppé.

            Et cet homme, il habitait là, sur ses terres de cultures. Le riz était en train de mûrir. Il y avait pas mal de moineaux, car le riz était en train de mûrir.

- Toi, dit notre homme, prépare-moi ce gibier. Pendant ce temps je vais aller chasser les moineaux de notre champ. Je mets cette eau à chauffer, pour que tu puisses les plumer quand tu auras fini de piler le riz.

- Entendu, dit la femme.

            La femme avait fini de piler le riz, l’eau était chaude. L’eau était chaude, et l’homme était parti chasser les moineaux dans son essart. Alors Courlis-Huppé s’est mis à parler.

            Voici ce que disait Courlis-Huppé :

- Mon ami, rappelle-toi ce que je te disais ce matin ! Tu n’as pas voulu m’écouter. Et maintenant nous voilà ficelés, l’eau dans la marmite est sur le feu, alors prépare-toi, l’ami ! Nous allons être mangés.

- Oh oh, dit Pintade, un grand garçon comme toi, à la première difficulté tu te mets à gémir ! Tais-toi donc.

            Pendant ce temps, la femme vannait son riz. Et les oiseaux étaient là, par terre, près du foyer. La femme était sidérée d’entendre parler des êtres qui jamais n’auraient dû parler…

- Qu’est-ce que c’est, une chose comme ça, se dit la femme ?

            Et l’homme était parti un peu plus loin, pour éloigner les moineaux. Elle lui crie :

- Viens donc un peu voir ici !

- Qu’est-ce qu’il y a encore ? Pourquoi est-ce que tu criailles comme ça ? tu n’as qu’à les plumer. L’eau chaude est là. Alors tue-les, et fais-les cuire !

- Mais non ! Viens voir. De ma vie, je n’ai jamais entendu ni vu pareille chose. Viens voir !

            Eh bien, non ! L’homme chassait les moineaux. Il s’en fichait… Il était sûr d’avoir son plat. Puisque les oiseaux étaient pris, il n’y avait plus rien à craindre.

- Et toi, pintade, disait Courlis-Huppé, prépare-toi ! Dis-moi ce que tu peux répondre à ça : tu vois, l’eau est chaude, c’est pour nous ébouillanter.

- Oh toi, dit Pintade, ne sois pas si poltron. Un grand garçon comme toi. Et nous n’avons encore rien tenté. Alors pourquoi avoir peur d’avance ?

- Mais, l’ami, moi je ne sais plus quoi faire : dès que l’eau bouillira, ça sera pour nous !

            Et la femme continuait à appeler son mari :

- Tu ne veux donc pas venir ?

- Ne fais pas l’imbécile !  Prépare-les, criait le mari.

- bon, si tu ne veux pas venir…

            Et elle prit Courlis-Huppé et Pintade, elle les détacha, et jeta en l’air. Partis !

            Pensez ! Pintade et Courlis-Huppé sont détachés ?  Aussitôt, ils battent des ailes tous les deux, et ils disparaissent. Bientôt le mari arrive :

- Où est-il, ma chère, ce bouillon ?

- Ah non, dit la femme. Jamais je n’avais entendu des oiseaux parler, comme ceux-là ! Alors je les ai relâchés.

            Pensez ! Il était bien attrapé, notre homme. Le cœur de palmier, on l’avait jeté. Lasa femme l’avait relâchée. Les deux oiseaux, partis ! Les oiseaux étaient partis, et qu’est-ce qu’il pouvait dire à sa femme ?

- Moi, je ne mange pas des choses comme ça ! Jamais vu. Des oiseaux qui parlent ! Et j’en aurais mangé ? Jamais. Ils sont bel et bien partis.

            Et voilà, l’homme était bien étonné, et bien déçu. Il dit :

- A partir de ce jour, si je prends un oiseau des bois (je ne parle pas des poulets, ni des canards de Barbarie, ni des oies, ni des canards, mais des oiseaux sauvages des bois), pas question de faire chauffer de l’eau…Je fais ici une prescription pour mes enfants, dit-il…

            Et il prononça une imprécation :

- Désormais, quiconque aura pris un oiseau des bois, il ne fera plus chauffer l’eau pour le plumer : c’est dans les bois qu’il faut le plumer tout de suite, et lui casser les ailes, et ne rapporter à la maison que la viande, pour ne pas risquer de voir arriver ce que personne n’a vu.

            Quant à Courlis-Huppé, il prit aussi une résolution. Il déclara à Pintade :

- Ami, j’apprécie bien notre amitié. Mais tu n’as pas voulu écouter ce que je t’avais dit. Alors, à partir d’aujourd’hui, séparons-nous, n’allons plus ensemble. J’irai là où je pourrai trouver ma subsistance. Une amitié qui a failli me porter malheur, qui a failli me faire mourir, oh, je m’en éloigne !

- Moi, continua-t-il, je m’en vais retrouver les lieux où j’avais coutume de vivre. Je suivrai le cours des ruisseaux. Et toi, retourne où tu vis d’habitude ; retrouve tes collines, selon ton habitude, qui n’est pas la mienne. Si la corde nous prenait une deuxième fois, ce serait notre mort.

            Depuis ce jour et jusqu’à maintenant, jamais plus Pintade et Courlis-Huppé ne font route ensemble. Et plus jamais on ne voit  un homme qui a un oiseau sauvage des bois, et qui va l’ébouillanter pour le plumer, comme on fait pour les poulets, toujours il le tue dans les bois, et il le plume, et la femme n’a plus qu’à le découper et à le préparer : il est déjà mort. Et quand bien même il n’est pas mort, il a les ailes brisées, même si on le jette, il ne pourra plus se sauver.

            Et c’est cela mon conte, le deuxième, c’est un récit transmis par la tradition, et on dit :

            Si c’est mon conte, si c’est mon conte,

            Oh alors, puisses-tu être sec, toi, le temps !

            Si ce n’est pas mon conte, si ce n’est pas mon conte,

            Puisses-tu donner de la pluie, toi, le temps !

            Ce n’est pas moi qui mens, mais les grands du temps jadis, qui me l’ont raconté.

 

Fulgence FANONY

L’Oiseau Grand-Tison

Et autres contes Betsimisaraka du Nord

Littérature orale Malgache

tome 1

L’Harmattan 

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