Kelemotemote.

Publié le par Alain GYRE

 

Kelemotemote.

Un jour, Ndrimo l’ogre engloutit les habitants de tout un village, sauf le petit Kelemotemote qui avait pu se cacher sous un grand mortier.

Peu après, le rescapé fut surpris par Ndrimo en train de faire griller un hérisson sur la braise.

-          Qu’est-ce que tu fais, Kelemotemote ? demanda Ndirmo.

-          Je fais griller mes boyaux, répondit l’enfant.

-          Pourrais-je les déguster ?

-          Bien sûr !

L’ogre coupa un morceau et le prit dans sa bouche.

-          Kelemotemote, vraiment, c’est exquis ! s’exclama l’ogre. Comment extrait-on les boyaux ?

-          C’est simple, dit Kelemotemote. Je me suis éventré à l’aide d’une pointe de fer enfouie sous la braise rouge. Ah ! avec ta tripe de géant, Ndrimo, nous aurons sûrement un repas copieux.

-          Essayons ! approuva Ndrimo.

L’enfant enfonça la pointe d’une tige de fer sous la braise ardente. Comme un forgeron au travail, il la sortit toute rouge quelques instants plus tard. L’opération commença aussitôt. Il s’avança vers l’ogre, le fer à pointe rouge à la main. Mais à peine eut-il touché le ventre du monstre que celui-ci s’esquiva en criant :

-          Çà brûle, Kelemotemote ! çà brûle,Kelemotemote.

Ndrimo prit congé de Kelemotemote.

Une lune (1) plus tard, Kelemotemote maraudait  dans le champ de patates de Ndrimo quand l’ogre surgit.

-          Qu’est-ce que tu fais ici, Kelemotemote ? demanda l’ogre.

-          Je déterre des patates, répliqua l’enfant.

-          Ce ne sont pas les tiennes ! puisque c’est ainsi, je t’emmène chez moi.

Ndrimo emmena l’enfant chez lui et l’envoya immédiatement au « tala tala » (2) de crainte qu’il ne se sauvât. Puis le monstre s’adressa ainsi à sa femme :

-          Tu vas puiser de l’eau ; moi je vais chercher du bois à brûler.

Et les deux époux s’en allèrent, chacun de son côté. Seuls les trois enfants restèrent à veiller sur Kelemotemote.

« On va m’égorger et me manger cuit ! », songea le prisonnier. Et il chercha comment se tirer d’affaire.

Depuis le grenier, il entonna un beko (3).

-          Notre gibier chante bien ! s’exclama l’un des trois enfants de l‘ogre.

-          Si vous me faites descendre, promit Kelemotemote, je chanterai pour vous, de ma voix la plus suave, le plus beau beko que ce pays ait jamais entendu.

On fit descendre Kelemotemote. Mais que fit-il aussitôt ? au moyen d’un coupe-coupe, il décapita les enfants de l’ogre avant de les faire cuire dans une grande marmite. Après avoir attisé soigneusement le feu, il prit la fuite.

Ndrimo et sa femme furent de retour  à la maison au même moment et virent la grande marmite chevauchant une flamme ardente. L’ogre souleva le couvercle et dit à sa femme :

-          Nos enfants ont préparé le mets durant notre absence. Le voilà déjà cuit.

-          Et cependant, je vois trois têtes au lieu d’une, dit la femme qui avait deviné.

Ndrimo comprit à son tour. Seulement, pour le gourmand qu’il était, la chair de ses enfants était une chair comme une autre. Il ne voyait aucune différence entre la viande du prisonnier et celle de ses geôliers – la même saveur, la même succulence.

            Il lui fallut se servir lui-même et manger seul car la femme de l’ogre, qui pleurait ses enfants, n’en voulut rien faire.

Une lune plus tard, l’ogre surprit l’évadé maraudant dans son champ de manioc.

-          Qu’est-ce que tu fais, Kelemotemote ?

-          Je déterre des maniocs.

-          Bon, puisque c’est ainsi, je t’emmène chez moi.

-          D’accord, mais voici ce que tu vas faire : tu vas me mettre dans une corbeille contenant un bloc de pierre. Tu vas la porter sur ta tête. En route pour ta demeure, tu effleureras un branchage. Sitôt arrivé à la maison, tu laisseras choir la corbeille dans la marmite.

-          C’est d’accord.

Quelques instants plus tard, Ndrimo chargea sa corbeille garnie de l’enfant et d’une pierre sur sa tête et prit la direction de sa demeure. Mais il n’oublia pas la requête de Kelemotemote ; à mi-chemin, la corbeille effleura les branches d’un tamarinier et… hop ! Kelemotemote s’y cramponna à l’insu de l’ogre. Celui-ci, convaicu que son gibier était toujours là, laissa choir la corbeille dans la marmite. Le choc du bloc de pierre et du métal fit un fracas assourdissant. La marmite se fendit en deux, comme frappée par la foudre.

Hélas, pauvre Ndrimo, le gibier s’est échappé, et la marmite s’est brisée.

 

(1)   Un mois

(2)   Grenier

(3)   Chant a capella tandroy

 

Contes et légendes Tandroy

SAMBO adaptation Olivier BLEYS

L’Harmattan

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article