Conte: L'histoire d’Andremaly - Raymond DECARY

L'histoire d’Andremaly (1)

Conte Vezo, recueilli à Androka

Il y avait, dit-on, un homme qui avait beaucoup d'enfants.

Il voulait en rejeter quelques-uns et parla à sa femme en disant : « Voyez que nous sommes pauvres, nous ne pourrons pas les nourrir tous ; allons rejeter deux d'entre eux ».

La femme réfléchit longuement et finit par accepter.

L'homme prit deux de ses enfants, un garçon (2) et une fille, et se mit en route.

Arrivé dans un lieu, il demanda à ses enfants :

« Connaissez vous ce lieu-ci ?

- Oui, papa, répondirent les deux enfants, puisque c'était ici que nous chassions le plus souvent des cailles ».

Le père continua encore sa route. Arrivé plus loin, il demanda encore à ses enfants :

« Connaissez vous encore ce lieu- ci ?

- Non », répondirent les enfants.

Le père disait alors :

« Restez ici ; je vais chercher de quoi vivre dans la forêt. Si le toloho (3) chante, c'est moi, votre père, qui arrive ».

Ceci dit, il s'éloigna et finit par disparaître complètement tout en abandonnant ses enfants.

Les enfants crurent que leur père les avait rejetés. Ils cherchèrent un endroit pour leur servir d'abri. Ils trouvèrent un endroit haut, si haut qu'on ne peut pas monter ni descendre qu'avec une corde. Ils s'étaient bien installés et le garçon dit à sa sœur : « Je vais chercher de la nourriture ; reste, toi, ici ».

Puis il descend avec la corde et s'en alla à la recherche de la nourriture ; après, la fille fit monter la corde. Le garçon revint. Andremaly appela sa sœur : « Fais moi descendre la corde afin que je puisse monter ».

Sa sœur fit descendre la corde et il monta.

Andremaly (c'était le nom du garçon) apportait des hérissons et des tortues (4).

Peu de temps après son arrivée, un gros animal appelé Indrimo arriva. Il imita la voix d'Andremaly tout en appelant la fille pour descendre la corde ; mais Andremaly lui avait répondu: « Attache toi par la langue pour que je monte ».

Indrimo fit cela et arrivé en haut, Andremaly la coupa complètement jusqu'au bout et Indrimo tomba mort.

Andremaly descendit ensuite et ouvrit le ventre de Indrimo avec son couteau. Alors des hommes, des bœufs, des chèvres, des moutons sortirent tout vivants du ventre d'Indrimo.

Les hommes dirent : « C'était vous qui nous avez sauvé la vie de ce grand danger, vous serez notre roi » (5).

Les deux enfants devinrent rois, et aussi riches que leurs parents.

Notes :

(1) Comme le précédent, ce conte se rattache au «cycle d'Indrimo ».

(2) Nommé Andremaly. Le nom de l'enfant sera donné plus loin.

(3) Le toloho ou Centropus madagascariensis est un oiseau de l'Ouest et du Sud. Peu sauvage, on le voit voleter et se glisser de branche en branche parmi les buissons. Son vol est bref, lourd et maladroit. Son cri est triste et monotone, et c'est de lui qu'est tiré le nom malgache de l'oiseau, qui est une sorte d'onomatopée. Le toloho est fâly pour un certain nombre de clans. On ne le mange d'ailleurs nulle part, car sa chair est molle et peu appétissante ; les Malgaches déclarent que c'est une chair « pourrie ».

(4) Le narrateur pense certainement aux tortues d'eau que les habitants de l'Ouest et du Sud-Ouest consomment couramment. Les tortues d'eau ou tortues palustres sont fort communes dans certaines mares. Elles se plaisent en surface, laissant émerger seulement l'extrémité antérieure de la tête avec les narines, tout le reste du corps et la carapace demeurant dissimulés dans l'eau plus ou moins limoneuse. Elles sont mangées par les indigènes, et l'on trouve souvent, piqués dans la paroi de leurs cases, des plastrons coupés en deux, qu'ils conservent comme porte-bonheur. On ne compte que quatre espèces de tortues d'eau qui portent le nom collectif de reré ou rerehy.

(5) Ce conte se rapproche de celui intitulé « Les trois enfants abandonnés », notamment en ce qui concerne le mode de libération des gens avalés par le monstre.

Contes et légendes du Sud-Ouest de Madagascar

Raymond DECARY