Conte: Le Roi du Nord et le Roi du Sud

Publié le par Alain GYRE

 

Le Roi du Nord et le Roi du Sud

Conte Merina

Recueilli à Alasora (province de Tananarive).

 

Andriambahoaka du Nord et Andriambahoaka du Sud partirent, dit-on, chacun de leur village et se rencontrèrent par hasard sur une montagne, où ils comptaient tous deux se reposer. Ils se saluèrent, et, après avoir conversé ensemble, se mirent à jouer au fanorona ; mais aucun ne put gagner la partie, car ils étaient aussi forts l’un que l’autre.

Ils convinrent alors que, s'ils avaient des enfants de sexe différent, ils les marieraient ensemble, et, pour commémorer leur rencontre et ce qui s’en était suivi, il dressèrent une pierre à cet endroit.

 Au bout de peu de temps la femme d’Andriambahoaka du Nord conçut et Andriambahoaka du Sud en fut averti.

A la fin de sa grossesse, la Reine du Nord accoucha d’une fille à laquelle on donna le nom de Raboniamasohoniamanoro.

 Quand la jeune fille lut nubile, son père lui fit connaître la convention qu’il avait faite avec le roi du Sud, et elle promit de s’y conformer.

Mais elle était fort triste, parce que ce roi n’avait pas encore d’enfant mâle.

Elle dit cependant : « je continuerai d’attendre, que ce soit longtemps, ou que ce soit peu de temps.»

Or, un jour qu’elle se promenait dans la campagne, un peu loin du village, Raivato (l'Homme-de-pierre) l’aperçut, dit-on, et, frappé de sa beauté, voulut la prendre pour femme. 11 lui jeta des citrons sauvages que la jeune fille s'empressa de ramasser ; Raivato l'enleva et l’emmena loin, très loin, dans un pays inconnu.

Peu après sa disparition, la femme du roi du Sud conçut. Mais, chose étonnante, l’enfant parla, lorsqu’il était encore dans le ventre de sa mère. 11 disait ; « Maman I Maman 1 Avale pour moi un petit couteau tranchant ! »

La femme, fort embarrassée, consulta son mari, et le Roi du Sud réunit, dit-on, le peuple pour lui demander s’il fallait ou non faire ce que disait le petit.

Le peuple consentit. Alors la mère avala le couteau dans une banane, et l’enfant s’en servit pour s’ouvrir un passage entre le nombril et le haut du ventre. C’est par là qu’il sortit, et, sitôt qu’il fut au jour, la déchirure se referma toute seule.

Et on appela l’enfant Ratoinbotombokatsorirangarangarana .

Il grandissait avec une rapidité surprenante : au bout de la première semaine, il était grand comme un enfant de huit mois; au bout de la deuxième, comme un enfant de huit ans; au bout de la troisième, il était plus fort que l'homme le plus fort du village.

Bientôt, il se chercha une femme, et demanda à ses parents : « Où donc est la fille du roi du Nord, ma fiancée.^ »

Son père lui expliqua qu’elle avait été enlevée par Raivato et que personne ne savait ce qu’elle était devenue.

Ratombotombokatsorirangarangarana déclara qu'il allait se mettre en route pour la retrouver.

En vain ses parents cherchèrent à le dissuader de cette folle entreprise ; ils lui dirent que Raivato était dur comme la pierre et pesant comme le rocher et qu’il était aussi impossible de le vaincre qu’à la rivière de percer la montagne.

Mais le jeune homme s’entêta et demanda la bénédiction de son père et de sa mère. Ceux- ci, voyant qu'ils n'obtiendraient rien, le laissèrent partir.

Avant de sortir du village, il planta un arbre à l'Ouest de la maison de ses parents et leur dit : « Tant que cet arbre sera vert et vigoureux, je me porterai bien; s’il dépérit, c’est que je courrai quelque danger; s'il se dessèche, c’est que je serai mort. » Puis il partit, emportant une hache, une sagaie et une corde.

Arrivé au bord de la grande forêt, il coupa un arbre avec sa hache et dit :

« Arbres ! arbres ! ô les arbres de la Forêt ;

Si je suis Andriana de père et de mère,

Que les arbres de la forêt s’écartent

Et m’ouvrent un chemin facile ! »

Et tous les arbres s’écartèrent devant lui. Il parvint ensuite à une grande eau, sur la rive de laquelle il n'y avait ni radeau ni pirogue. Il jeta la sagaie dans cette eau, disant :

« Eau ! Eau ! 6 l’Eau sacrée ! (i)

Si je suis Andriana de père et de mère,

Que l’eau sacrée s’écarte

Et m’ouvre un chemin facile ! »

Et l’eau s’écoula, et il eut devant lui un sol complètement sec pour passer. Puis il rencontra une haute muraille de rocher qu’il était impossible de franchir. Mais il jeta la corde et, par elle, monta jusqu’au sommet. Il marcha longtemps encore et parvint chez la gardienne des champs de Raivato. Elle était très vieille et s’appelait Ikonantitra.

« Va-t-en ! dit-elle. Va-t-en ! mon enfant ! Raivato est plus dur que la pierre, plus pesant que le rocher ! Si tu t’approches de lui, il te tuera ! »

Mais Ratombotombokatsorirangarangarana lui demanda :

« O Ikonantitra, est-il marié ?

- Oui, mon enfant.

- Et quels fruits lui présente-t-on d'habitude? — Quels, sinon les fruits de cet arbre-ci », répondit la vieille, en montrant un grand arbre couvert de fruits bleus. Le jeune homme cueillit les fruits, puis se dirigea vers la case de Raivato, après avoir pris la peau de la figure d’Ikonantitra et en avoir couvert son propre visage. L’homme-de-pierre fie prit pour la gardienne de ses champs et] ordonna de faire cuire du riz et de lui donner à manger. Le riz cuit fut servi dans l’écuelle de terre dont se servait habituellement Ikonantitra, mais l’écuelle se brisa ; on le mit alors dans une écuelle en bois, qui se brisa encore, puis dans une assiette-en fer, qui fut aussi cassée.

« Dans quel plat veux- tu manger, Ikonantitra ?

- Dans le plat où mange ma bru, répondit la fausse vieille.

- Va-t-en ! va-t-en ! répliqua Raivato, c'est dans le plat de l’Andriana que tu veux manger, tu demandes des fruits qui n'existent pas ! »

Le jeune homme partit, et, de retour à la case de la véritable Ikonantitra, il lui rendit sa peau.

Puis il alla trouver les gens qui péchaient pour Raivato. Justement, ils étaient en train de lever le filet, mais, malgré tous leurs efforts, ils n'y pouvaient réussir. L’un d’eux s’en fut chez l’Andriana et lui dit :

« Seigneur, ni sous le règne de votre grand père, ni sous celui de votre père, pareille chose n’est jamais arrivée : nous essayons en vain de lever le filet ; nous n'y pouvons réussir. »

Alors Raivato ceignit son salaka, qui faisait douze fois le tour de ses reins, et se rendit au bord de l’eau; mais, malgré sa force, il ne put pas, lui non plus, lever le filet. Or, pendant son absence, Ratombotombokatsorirangarangarana était entré dans la case de la femme de Raivato.

Raboniamasoboniamanoro lui dit; « Seigneur, va-t-en vite ! Que viens-tu faire ici ? Si Raivato te voyait, il te tuerait certainement.

--Non, je ne m’en irai point, répondit le jeune homme. Car je suis ton mari et tu es ma femme. »

Puis il raconta son histoire et la convention qu’avaient faite ensemble jadis le roi du Nord et le roi du Sud. La jeune femme était très contente, mais elle avait grand peur aussi, car elle connaissait la force de Raivato.

Celui-ci survint précisément; il se précipita vers la porte, sans que Ratombotombokatsorirangarangarana eût le temps de la fermer complètement, et il ne put l’ouvrir, quoiqu’elle restât entrebâillée. Alors il mit le feu à la case.

Mais la jeune femme s’écria. « Si je suis Andriana de père et de mère, que cette case devienne une case en fer ! »

 Ce qui arriva. Raivato dit à son rival ; « Viens donc ici, nous allons nous battre, et la femme appartiendra au plus fort ! »

Les deux hommes s'apprêtèrent pour la bataille, et tout le peuple se rangea en cercle autour d'eux, pour les regarder.

« Si je suis andriana de père et de mère, dit Ratombotombokatsorirangarangarana, que Raivato s'enfonce jusqu'à la poitrine ! »

Et Raivato s'enfonça dans le sol jusqu'à la poitrine.

« Si je suis Andriana de père et de mère, répéta le jeune homme, qu'il s'enfonce jusqu’au cou! »

Et il s'enfonça. « Si je suis Andriana de père et de mère, qu'il s'enfonce complètement ! »

Et il disparut dans le ventre de la terre.

Cependant l'arbre planté par le vainqueur n'avait pas dépéri, mais continuait de pousser, verdoyant et vigoureux.

L'homme retourna chez ses parents avec sa femme, et on fit de grandes réjouissances.

 

  1. La mer, ranomasina, signifie l'eau sacrée.

 

Contes de Madagascar

Charles RENEL

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