Conte: Les Mikea - Raymond DECARY

Publié le par Alain GYRE

Les Mikea (1)

Recueilli à Manombo

 

Autrefois, quand régnaient les premiers rois Sakalava, les Mikea étaient leurs amis. Ils n'étaient pas esclaves des rois mais simplement des hommes soumis.

Leurs aînés, qui vivaient jadis dans la forêt, deviennent maintenant ilako ou biby olo (hommes sauvages), dont on pourrait en trouver maintenant dans la forêt du Menabé.

Leurs descendants habitent maintenant dans le Menabé, au bord de la forêt où ils trouvent leur vie en cherchant du miel, des hérissons, des œufs d'oiseaux sauvages, qu'ils vendent aux habitants.

Habituellement ils font la chasse aux bœufs sauvages (2), aux sangliers. Ils sont des hommes un peu paresseux pour la culture.

Les Mikea sont trapus et forts, leur peau est noire, leurs lèvres sont un peu larges, leurs cheveux sont crépus, ils ressemblent beaucoup aux vazimbas (3).

Les Sakalava les appellent tompon'ala (propriétaires de la forêt) parce que c'est dans la forêt qu'ils trouvent leur nourriture (4), ovy et sosa (plantes sauvages dont leurs tubercules ressemblent aux racines de manioc) (5). Le sosa se mange cru ou cuit sous la cendre.

 

Notes :

 (1) Les Mikea ou plutôt Mikeha forment un groupe demeuré toujours très isolé ; il a été peu étudié et mériterait cependant d'être examiné de près, car la connaissance précise de son origine permettrait peut-être de fixer des points encore controversés sur la provenance de certaines populations. D’après Grandidier, ils appartiennent au groupe des Antifiherenana qui habitaient le pays avant l’invasion Sakalava, et à la famille des Mafangotoka, c'est- à-dire des hommes libres de l’ancien royaume du Menabé. Ils avaient pour rôle de fournir du miel au roi, et leur nom vient de hea, forêt. Encore aujourd'hui, ils ne seraient pas tous rassemblés en villages, et certains habiteraient les bois, isolés par petits groupes. Pour Julien, ces hommes seraient les descendants des plus anciens éléments ethniques, probablement bantous, qui furent submergés par plusieurs apports de Malayo-polynésiens, parmi lesquels Négritos et Papous devaient se trouver en assez grand nombre. Les Mikeha constituent une peuplade restée très fruste, sans doute parce qu'elle est trop rarement visitée. Mais j'ai pu constater, contrairement à une croyance répandue aussi bien chez les Malgaches que chez les Européens, qu'ils sont sociables et assez accueillants. Leurs habitations et coutumes se rapprochent de celles des clans Sakalava qui les entourent. Ils vivent en bonne partie des pro- duits de la pêche que leur fournit le lac Ihotry autour duquel ils sont rassemblés.

(2) On trouvait autrefois des bœufs sauvages dans tous les grands no man's land de l'ouest et du sud de Madagascar, dans les régions à peu près sans population qui séparaient les diverses tribus. Il en existait en très grande quantité dans l 'ouest, ainsi que dans le Mahafaly, vers le haut Fiherenana, dans le nord- est de l'Androy. Ils ont disparu de ces diverses régions, sauf du pays Sakalava. Dans cette contrée, on les trouve encore par grands troupeaux qui peuvent facilement atteindre deux cents têtes. C'est dans la partie médiane du pays, entre Tsitampiky et la vallée du Manambolo, qu'ils sont le plus nombreux ; la vallée du moyen Ranobé m'a paru être la région la plus riche. C'est un pays aux habitants rares, où les savanes immenses et moyennement ondulées sont couvertes d'une herbe épaisse qui forme sur le sol un tapis continu sous les peuplements de grands palmiers. Leur nombre est considérable ; il peut être évalué à 70 000. Beaucoup d'animaux parmi les bœufs sauvages sont en réalité d'anciens ani- maux domestiques redevenus sauvages par suite du manque de surveillance de leurs propriétaires. Ils ont alors des pelages aussi variés et tachés que les bœufs domestiques et conservent une bosse bien nette. Le vrai bœuf sauvage a au contraire un pelage généralement fauve et, en tout cas, unicolore, ses cornes sont grêles, ses jambes sont fines ; quant à la bosse, elle n'est pas totalement absente, mais elle se trouve très réduite ; elle est peu apparente, à la fin de la saison sèche, lorsque les pâturages sont desséchés. S'il n'y a pas de bosse véritable comme pour l'animal domestique, tout au moins y a-t-il protubérance très nette. L'odorat de l'animal est très développé, et il fuit de loin à l'approche de l'homme. Il charge parfois, assure-t-on, celui qui l'a blessé d'un coup de fusil, mais n'attaquera pas le premier. Je dois cependant dire que, à plusieurs reprises, j'ai blessé des bœufs sauvages mais que, malgré cela, je n'ai jamais été chargé. Les bœufs sauvages sont appelés par l'Administration « bœufs sans maître », et la chasse en est interdite sauf autorisation spéciale. Les Sakalava cependant les chassent assez volontiers pour augmenter leurs troupeaux ; ils ont pour cela divers procédés que j'ai relatés in : La chasse et le piégeage chez les indigènes de Madagascar. J'ai vu également chasser les bœufs sauvages à la course. Jadis, les bœufs sauvages portaient le nom général de jamoka.

Aujourd'hui on distingue :

1° ) les omby mahery ou « durs à rassembler en troupeaux » ;

2° ) les haolo qui sont des zébus domestiques et reprennent par intermittence leur liberté ;

3° ) les omby manga qui sont des zébus libres ou marrons véritables ;

4° ) les baria qui ont peu ou presque pas de bosse. Ces dénominations varient d'ailleurs avec les régions et ne sont précises qu'en apparence.

(3) Les Vazimba de l'Ouest, évidemment.

(4) En réalité ils sont considérés comme les plus anciens maitres de la forêt. De même en Imerina, les anciens Vazimba sont regardés comme les tompon' tany, les maîtres de la terre, les premiers occupants du sol dont ils sont restés propriétaires, tout en étant partis dans l'autre monde.

(5) Ovy et sosa sont des Dioscoréacées à tubercule comestible. Les Dioscoréacées forment la famille N° 44 de la Flore générale de Madagascar. Cette fa- mille ne comporte pas moins de dix-sept espèces dont les tubercules servent à l'alimentation des autochtones ; presque toutes appartiennent au domaine occidental et à l'extrême sud. Le terme de ovy signifie racine, tubercule comestible, en gé- néral. Celui de soso ou sosa s'applique plus spécialement aux Dioscorea soso et Dioscorea bemandry. D'autres formes portent les noms vernaculaires de macabiha, antaly, oviala, ovifotsy, etc.

 

Contes et légendes du Sud-Ouest de Madagascar

Raymond DECARY

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