Conte: Soafara

Publié le par Alain GYRE

 

Soafara

Conte Betsimisaraka

Recueilli à llaka {province des Betsimisaraka-du-Sud].

 

Un jour une femme s’en alla cueillir des brèdes, laissant les enfants aux soins du plus âgé d’entre eux. C'était lui qui préparait et donnait à manger aux autres et qui les gardait pendant que la mère était absente.

Le plus jeune des enfants était une fille nommée Soafara ; elle n'avait pas l'habitude d’être séparée de sa mère, aussi la suivit-elle après le déjeuner.

Or à l'Ouest du village, il y avait un cours d’eau qu’il lui fallait passer ; ce cours d'eau était infesté de caïmans; l'un de ces animaux se chauffait au soleil près du gué: il fit semblant d’avoir pitié de la petite fille et lui dit :

« Monte sur mon dos, je te passerai de l’autre côté. »

Comme c'était une enfant, elle ne se douta pas que le Dos- écailleux avait l'intention de la tromper*

Il la transporta d'abord tout doucement sur son dos, mais ensuite il se mit à s’enfoncer peu à peu dans l'eau ; le pied de Soafara commença par être submergé, aussitôt la petite fille fredonna cette chanson :

« Eh ! Ravoaimena, eh ! Ravoaimena 1

« Mes pieds sont mouillés. «

« Ce qui n’est pas mouillé le sera, « répondit le caïman.

Puis l’eau arriva jusqu'à ses jambes.

« Eh! Ravoaimena, eh ! Ravoaimena!

« Mes jambes sont mouillées.

« Ce qui n’est pas mouillé le sera. »

L’eau vint à ses cuisses.

« Eh ! Ravoaimena ! eh ! Ravoaimena !

« Mes cuisses sont mouillées.

« Ce qui n’est pas mouillé le sera. »

Son ventre fut mouillé.

« Eh ! Ravoaimena ! eh! Ravoaimena !

« Mon ventre est mouillé.

« Ce qui n’est pas mouillé le sera. »

Sa poitrine se trouva dans l’eau.

« Eh ! Ravoaimena ! eh ! Ravoaimena !

« Ma poitrine est mouillée.

« Ce qui n'est pas mouillé le sera. »

Ses épaules furent submergées.

« Eh ! Ravoaimena ! eh ! Ravoaimena!

« Mes épaules sont mouillées.

« Ce qui n’est pas mouillé le sera. »

Son cou fut atteint.

« Eh ! Ravoaimena ! eh ! Ravoaimena !

« Mon cou est mouillé. »

A peine eut-elle prononcé ces dernières paroles, que Soafara fut engloutie, et le caïman l’emporta dans son trou.

Or la demeure du caïman n’est pas dans l’eau, mais dans la terre sèche.

Soafara avait perdu connaissance : la bête cruelle la crut morte et partit pour convoquer tous ses parents et les faire participer au régal ; avant de partir, il boucha l’ouverture du trou.

Quand la petite fille reprit connaissance, elle se rendit compte qu’elle était dans le trou du caïman ; elle se mit à creuser la terre au-dessus de sa tête et parvint à se mettre en sûreté.

Quand les autres caïmans arrivèrent ils trouvèrent le trou vide ; ils se fâchèrent, se jetèrent tous sur Ravoaimena et le couvrirent de morsures. 11 s’en alla piteusement laver ses plaies et se chauffer sur un banc de sable non loin de là.

Or Ratsimalaho le papango chantait sa çhanson dans le voisinage. Soafara en profita pour le charger d’une commission.

« Eh! Ratsinialaho, eh! Ratsimalaho !

« Dis à mon père et à ma mère

« Que Soafara a été enlevée par le caïman.

« Non, non ! répondit Ratsimalaho, n’est-ce pas à moi que vous reprochez tous d'enlever

vos poulets ? Meurs, si tu veux, je ne dirai rien à ceux de ta famille. »

 

"Vint à passer le takatra.

« Eh ! Ratakatra, eh ! Ratakatra !

« Dis à mon père et à ma mère

« Que Soafara a été enlevée par le caïman !

« Que tes yeux s'enflent à force de pleurer, en m'attendant ! N'est-ce pas moi que vous appelez la  plate-tête », et tu me demandes de faire ta commission! Non, je ne la ferai pas ! »

Alors parut le goaika.

« Eh! Ragoaika ! eh ! Ragoaika !

« Dis à mon père et à ma mère

« Que Soafara a été enlevée par le caïman !

« Jamais, répondit le goaika. Je n’oublie pas que vous m’avez qualifié de « bec-pointu » et de lèvres-épaisses ». Non, je n'irai pas faire ta commission ! »

Vint le vorondreo.

« Eh ! Ravorondreo ! eh ! Ravorondreo !

« Dis à mon père et à ma mère

« Que Soafara a été enlevée par le caïman !

« Peut-être bien qu’on ne m’écoutera guère, chez toi, mais j'y vais tout de même. »

Le vorondreo partit et arriva au village juste au moment d’un Kabary qu’on faisait à propos

de la disparition de Soafara.

« Reo ! reo, reo, reo !

« Là-bas il y a une enfant qui parle ;

« Reo, reo, reo, reo !

« Soafara a été prise par Ravoaimena.

Dix fois vorondreo répéta son cri, avant qu'on y prêtât la moindre attention.

Le père de Soafara, sa mère et sa sœur aînée partirent pour suivre le vorondreo; ils emmenèrent avec eux des bœufs pour être abattus et emportèrent des lambamena pour envelopper le cadavre de Soafara, quand on l’aurait retrouvé.

 Reo, reo, reo, reo ! dit le vorondreo,

«Lâ où je m’arrêterai, se trouve Soafara,

« Reo, reo, reo, reo !

« Vous fouillerez la terre, car l’enfant est là. »

Ils s’en allèrent le long de l’eau et le vorondreo continuait sa chanson.

« Reo, reo, reo, reo !

« Ici est l'enfant qui parle!

« Reo, reo, reo, reo !

« Ici Soafara a été emportée par Ravoaimena.

L’enfant entendit le chant de son ami le vorondreo et de nouveau elle l'appela:

« Eh ! Ravorondreo, eh! Ravorondreo 1

« Dis à mon père et à ma mère

" Que Soafara a été enlevée par le caïman. »

Alors les parents creusèrent la terre et tirèrent Soafara du trou.

On la lava, on lui mit de beaux vêtements, et au vorondreo, son sauveur, on demanda de choisir ce qu’il désirait, soit des bœufs, soit des esclaves.

Mais il répondit : « Je ne demande qu’une chose, c’est la vie. »

La demande du vorondreo fut acceptée et c’est pourquoi, dit-on, il ne faut pas tuer le vorondreo.

 

Contes de Madagascar

Charles RENEL

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