Conte: Terre-de-Droiture mis au cachot par ses beaux-parents

Publié le par Alain GYRE

 

Terre-de-Droiture mis au cachot par ses beaux-parents

Antanimariny nataon’ny rafözany an-kajy

 

Il était une fois, dit-on, un homme qu’on appelait Terre-de-Droiture. Il partit rendre ses devoirs à ses beaux-parents. Et là, rendant ses devoirs à ses beaux-parents, il finit par rester habiter. Et il y est resté longtemps, longtemps, incapable de rentrer chez lui. Ses beaux-parents l’avaient séquestré dns un cachot - un cachot qu’ils avaient fait, comme une sorte de cellule. Ils avaient construit pour lui un enclos dans la forêt, personne ne pouvait le voir.

Il s’efforça de trouver une idée, car un homme, à ce qu’on dit, n’est jamais à court d’idée.

Alors passa un oiseau, qu’on appelle le corbeau.

- Hé ! Sire-Corbeau ! Hé ! Sire-Corbeau !

            Et le corbeau répondit :

- Oui ?

- Viens à mon secours. Si tu peux porter mon message à mon père et à ma mère, si tu dis à mon père et à ma mère que mes beaux-parents m’ont mis au cachot, oh alors, je te donnerai un plein sac d’argent et tout un lot de bœufs.

- Non, dit Sire-Corbeau. Pour un peu que j’aille picorer dans ton champ, tu ne le supportes pas !

            Et Sire-Corbeau s’en alla, sans plus faire attention à lui.

            Passa alors la tourterelle.

- Hé ! Dame-Tourterelle ! Hé ! Dame-Tourterelle ! Si tu peux porter mon message à mon père et à ma mère là-bas dans mon pays, si tu dis à mon père et à ma que mes beaux-parents m’ont mis au cachot, je te donnerai un plein sac d’argent et tout un lot de bœufs.

- Pouah , dit Dame-Tourterelle. Pour un peu que j’aille picorer ton riz, tu me tends des pièges, tu me lances des projectiles, tu m’injuries !

            Et elle s’en alla.

            Passa encore Messire-Oiseau-Mouche, et il fit de même. Il refusa.

            Enfin, enfin … ! Vint l’Oiseau-Supplieur, cet oiseau qu’on appelle Sire-Supplieur ! Hé ! Sire-Supplieur !

- Réo, réo !

- Hé ! Sire-Supplieur ! Hé ! Sire-Supplieur !

- Oui ? dit Sire-Supplieur !

- Si tu peux porter ce message, que mes beaux-parents m’ont serré ici dans un cercueil, que tu le dises à mon père et à ma mère, je te donnerai un plein sac d’argent et tout un lot de bœufs.

- Entendu, dit Sire-Supplieur. Je porterai ton message. Comment t’appelles-tu ?

- Terre-de-Droiture.

            Sire-Supplieur parcourut tous les villages, et voici ce qu’il y annonça :

            - Réo, réo ! Réo, réo !

            Terre-de-Droiture qui est parti, réo, réo !

            Ses beaux-parents l’ont mis au cachot, réo ; réo !

            Et les gens de ce village répondirent :

- Va un peu plus loin !

            Sire-Supplieur continua et parvint à un autre village :

            - Réo, réo ! Réo, réo !

            Terre-de-Droiture qui est parti, réo, réo !

            Ses beaux-parents l’ont mis au cachot, réo ; réo !

            Le bonnet de Terre-de-Droiture, c’est un bonnet de toison.

            Longtemps après, mais dans les contes rien jamais ne dure longtemps, il arriva…, il était juste à la hauteur du village. Il planait très haut et répétait le message de Terre-de-Droiture :

            - Réo, réo ! Réo, réo !

            Terre-de-Droiture qui est parti.

            Ses beaux-parents l’ont mis au cachot.

            Le bonnet de Terre-de-Droiture, c’est un bonnet de toison.

            Ils parlèrent alors, les gens du village, les petits gardiens de bœufs :

- Si tu es malheur, ô toi, signe de malheur, va-t-en, nous t’avons entendu. Si tu n’es point malheur, ô toi, signe de malheur, descends un peu plus bas :

            Sire-Supplieur reprit sa chanson :

            - Réo, réo ! Réo, réo !

            Terre-de-Droiture qui est parti, réo, réo !

            Ses beaux-parents l’ont mis au cachot, réo ; réo !

            Le bonnet de Terre-de-Droiture, c’est un bonnet de toison.

            Ils parlèrent alors, les anciens du village, ils sortirent une chaise et une table :

- Si tu es malheur, ô toi, signe de malheur, va-t-en, nous t’avons entendu. Mais si tu n’es point signe de malheur, pose-toi ici s’il te plaît. Raconte clairement ce que tu as à dire, car la chose semble d’importance.

            Il se posa d’abord, peu rassuré, sur une palme de cocotier.

            - Réo, réo ! Réo, réo !

            Terre-de-Droiture qui est parti, réo, réo !

            Ses beaux-parents l’ont mis au cachot, réo ; réo !

            Le bonnet de Terre-de-Droiture, c’est un bonnet de toison.

            Ils parlèrent alors, les père et mère du garçon :

- Si tu es malheur, ô toi, signe de malheur, va-t-en, nous t’avons entendu. Si tu n’es point malheur, ô toi, point signe de malheur, parle plus clairement, viens ici tout près.

            Sire-Supplieur se posa sur la chaise et dit :

- Terre-de-Droiture était parti suivre une femme, et ses beaux-parents l’ont pris, et ils ont fait pour lui un cercueil de bois, ils ont creusé un grand trou, ils ont construit une palissade, une clôture de bois solidement liée, et dans une fosse profonde, ils ont dressé la clôture, et ils l’ont resserré dans un cachot. Voilà pourquoi je suis venu : pour cela il m’a promis un salaire.

- Et où est-il donc ? demandèrent les gens du village de ses père et mère.

- Suivez mon vol, dit-il. Où que j’aille, suivez-moi. Des airs, je vous regarderai, et vous n’aurez qu’à me suivre.

            A l’instant, tous les gens valides du village prirent la route, tous les hommes valides partirent au secours de Terre-de-Droiture.

- Partout où je vais, suivez-moi, disait l’oiseau.

            Sire-Supplieur prit son vol : Réo ! Réo ! Coua coua coua couac ! Réo ! Les gens le suivaient. Quand ils le perdaient de vue, il rebroussait chemin et poursuivait son vol, toujours suivi par les gens, qui ne perdaient pas ses traces. Cela dura une semaine. Quand ils arrivèrent, Sire-Supplieur piqua sur l’endroit où Terre-de-Droiture était enfoncé : le voilà avec les côtes toutes couvertes de plaies, dans son cachot.

            Il avait failli être tué par ses beaux-parents, parce qu’il avait suivi sa femme. Finalement, il fut délivré par tous ses parents du village.

- Comme nous ignorons le chemin du retour, c’est toi qui vas nous guider.

- Oui, répondit Sire-Supplieur.

            Et Sire-Supplieur reprit  son vol ! et il vola loin, loin, toujours plus loin. Finalement…, ils suivaient l’Oiseau-Supplieur partout où il allait, et il planait lentement, lentement, tout doucement.  Finalement ils arrivèrent. Et Terre-de-Droiture avait les côtes d’un côté toutes pourries, c’étaient des plaies si anciennes, si graves, qu’elles sentaient déjà mauvais.

            Terre-de-Droiture arriva donc au pays de ses ancêtres, grâce à Sire-Supplieur. Celui-ci, bien sûr, réclama son dû :

- Pour mon salaire, dit-il, je ne prendrai ni sac d’argent, ni lot de bœufs. Mon salaire sera de la bouillie de riz, un plat par maisonnée. Un plat de bouillie de riz par maisonnée, c’est tout ce que je demande comme salaire.

            Aussitôt, on demande à tous les gens du village de cuire de la bouillie. Tous les habitants du village se mirent à en préparer. Et Sire-Supplieur attendait que ce fût cuit. Or, en toutes choses, il se peut qu’on prenne du retard.

 

            Et il y avait une petite vieille qui prit du retard dans sa cuisson. Les autres allumaient déjà leur feu, quand elle était encore à casser son bois. Les autres cuisaient déjà, quand elle en était encore à trier son riz. Les autres avaient déjà terminé, quand elle en était encore à poser sa marmite sur le feu.

 

            Enfin, comme à l’autre bout du village c’était déjà cuit, Sire-Supplieur commença à goûter sa bouillie par l’autre bout du village. Il allait de maison en maison, ne prenant qu’une becquée devant chacune. Pic ! Une becquée, et il partait. Il n’en prenait pas beaucoup. Pic ! Une becquée, et il partait ; il parcourut ainsi tout le village. Il avait pris ainsi une becquée devant chaque maison du village, sauf devant celle de la petite vieille qui était  en retard dans sa cuisson : sa bouillie à elle n’avait pas encore refroidi. Il en prend une becquée…, mais on venait d’enlever la bouillie de dessus le feu, alors il se brûla. Et Sire-Supplieur de dire :

- Le mal rendu pour le bien ! Moi qui vous ai fait du bien, voilà comme vous me récompensez !

            Et c’est la raison pour laquelle le bec de l’Oiseau-Supplieur dégage une mauvaise odeur.

            Ensuite, cette histoire de Terre-de-Droiture, c’est aussi la raison pour laquelle il est interdit aux hommes de suivre leurs femmes ; c’est la règle de la descendance de cet homme qui s’appelait Terre-de-Droiture :

- Quiconque veut encore suivre sa femme, à partir d’aujourd’hui, puisse-t-il être piteux ! Que rien ne lui réussisse ! Puisse-t-il mener vie chétive, avoir un sort mesquin !

            Voilà pourquoi les hommes ont le tabou, ou l’interdit, de suivre leurs femmes, pour autant qu’ils sont la descendance de Terre-de-Droiture, que ses beaux-parents avaient mis au cachot.

 

            C’est là le conte de Terre-de-Droiture, et l’origine de la mauvaise haleine de l’Oiseau-Supplieur, qui avait happé la bouillie de riz de la petite vieille.

 

Fulgence FANONY

L’Oiseau Grand-Tison

Et autres contes Betsimisaraka du Nord

Littérature orale Malgache

tome 1

L’Harmattan 

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