Conte: Les trois frères, fils de parents orphelin Ilay telomirahalahy zanak’ôlo kamboty

Publié le par Alain GYRE

 

Les trois frères, fils de parents orphelin

Ilay telomirahalahy zanak’ôlo kamboty

 

Il était une fois des parents, qui avaient mis au monde des enfants. C’étaient trois frères. Et ces trois frères, leur sort paraissait être la misère. Pour certains, à ce qu’on dit, on a beau poursuivre le sort, jamais on ne l’atteint. Et ces enfants étaient des orphelins, qui habitaient dans la forêt. Leurs père et mère, ils étaient pauvres, ils vivaient misérablement. Midi et soir ils n’avaient à manger que du songe. Parfois, non, les parents n’osaient même pas aller en ville, tant ils étaient honteux de n’avoir pas d’habits à se mettre.

Ils n’avaient pas d’habits à se mettre, mais ils avaient des enfants, et leurs enfants étaient déjà grands, ça faisait longtemps que leurs enfants marchaient. Et ces enfants voyaient la misère dans laquelle vivaient leurs parents. Ils leur disent:

- Ô papa, ô maman, pourquoi sommes-nous comme ça ?

- Hélas, nous avons fait ce que nous croyons pouvoir faire pour les enfants, mais la recherche de la fortune, c’est affaire de destin ! Nous voudrions bien connaître le fortune, mais si ce n’est pas notre destin, eh bien il nous faut garder notre misère.

            Alors, l’Aîné dit :

- Depuis longtemps nous faisons des efforts mais nous n’avons rien eu. Nous ne pourrons rien gagner, si nous ne recevons pas votre bénédiction. (…) Sans cela, non, non, nous pouvons toujours faire nos efforts, ce serait en pure perte.

- Sans doute, disent le père et la mère, sans doute c’est notre sort de ne pas gagner la fortune. Mais vous, vous êtes encore dans la force de l’âge, vous saurez chercher la fortune. Aussi nous allons vous donner notre bénédiction. Mais, cette bénédiction, dit la mère, nous ne la ferons que demain, parce qu’aujourd’hui, c’est un jour tabou.

- Faites comme cela vous semble bon pour nous la donner, répondent leurs enfants.

Ils ont attendu que ce soit, par exemple, un samedi, et ils ont pris une assiette, ils y ont mis de l’eau fraîche, et une pièce d’argent d’une piastre. Ils ont invoqué les ancêtres, mentionnant tout ce qui procure la vie, non ce qui procure la mort, mentionnant tout ce qui peut tourner à la fortune.

C’était cela la bénédiction que le père a donnée à ses fils.

Ensuite, ils sont partis tous les trois. Ils sont partis, pour chercher fortune, chacun dans une direction différente. Ils ne sont pas partis pas ensemble, non, sur la grande route, ils ont pris chacun un embranchement différent. Il y avait trois routes différentes : l’une menait droit chez Grand-Seigneur ; la deuxième menait droit chez le Grand-Roi des jours d’autrefois ; le troisième menait droit chez la Vieille.

Car cette Vieille aussi était invoquée, comme nous faisons dans nos invocations. Et, si les trois frères avaient reçu leur bénédiction, disons le samedi, eh bien c’est le lendemain dimanche qu’ils sont partis.

Donc ils sont partis. Et ils étaient tous frères ; ce qui arrive, c’est que si on parle des jours d’autrefois, alors tous s’entr’aimaient ; mais…

L’Aîné avait suivi la route qui conduisait chez Grand-Seigneur. Le second avait suivi la route qui conduisait chez le Roi ; et le Petit-Dernier, lui, c’était celui qu’ils n’aimaient pas, qui n’avait pas les mêmes vêtements qu’eux, qui avait des vêtements moins beaux que les leurs. On lui avait laissé la grand-route de chez la Petite Vieille, la Petite Vieille courbée par les ans, qui ne trouvait même plus de quoi manger.

Ainsi donc, à chacun selon son destin. Les deux premiers marchent, et l’Aîné parvient à la demeure de Grand-Seigneur/ il crie à la porte :

- On peut entrer ?

- Qu’est-ce qu’il y a ? Entre, répond Grand-Seigneur.

- Je viens chez toi, Grand-Seigneur, pour chercher la fortune, cette fortune que parfois on poursuit sans jamais l’atteindre. Je suis à sa recherche. Peut-être que je vais réussir à l’atteindre ?

- C’est bien, dit Grand-Seigneur, mais est-ce que tu peux tenir mes observances ? Car si tu ne peux pas tenir mes observances, non, il n’y a rien à faire.

- Et quelles sont ces observances, demande l’aîné ?

- Je ne te les dirai pas tout de suite. Repars d’abord, je vais y penser.

            Et pour celui qui était allé à la demeure du Roi, c’était la même chose.

- Je suis venu ici pour chercher du travail, je suis de mère orpheline, de mère pauvre, de père pauvre, et nous sommes trois frères, qui n’avons rien eu de notre mère, rien eu de notre père. Comme eux, nous sommes pauvres.

- Eh bien, dit le roi, il se pourrait qu’il y ait ici ce que tu cherches, mais cela ne se peut que moyennant certaines petites observances. Si tu es capable de tenir les observances, oui, tu pourras trouver la fortune.

            Le garçon s’en est retourné. Le roi lui avait dit :

- Si c’est comme ça, retourne d’abord là-bas avec ton frère.

            Quant à Ulcères-aux-Pieds, le Petit (c’est le même qui s’appelait Petit-Dernier- l’Obstiné), il était allé tout droit, jusqu’à ce qu’il arrive chez la Vieille, la Vieille qui ne pouvait même plus parler.

- Grand-mère ! Je suis venu chez toi. Je suis venu chez toi parce que nous sommes trois frères , qui avons demandé bénédiction à notre mère, etb qui l’avons obtenue. Nous avons obtenu la bénédiction de notre mère, mais nous avons pris chacun notre direction à la croisée des chemins. L’un de nous est allé chez Grand-Seigneur. Le second est allé chez lr Roi. Et,, moi seul, j’ai suivi la grand-route qui conduit chez toi. Grand-mère ! Peut-être c’est toi qui est mon destin ? Peut -être les autres, qui ont rencontré des hommes de fortune, peut-être ce sont eux qui obtiendront la fortune ?

- Eh bien, mon petit-fils, dit la Vieille, vois-tu bien comme je suis ici ? Je ne suis plus capable de trouver de quoi manger, je suis comme le petit oiseau qui attend qu’on lui apporte la becquée. Et pourtant, même s’il n’y a nulle fortune à espérer, c’est chose excellente que la parole des anciens, mon petit-fils, de cela même la fortune peut sortir !

- Oui ! Grand-mère, c’est justement ce qu’on demande par l’invocation.

- Eh bien, mon petit-fils, dit la Vieille, celui qui t’a dirigé vers une carcasse comme moi, sans doute ne voulait-il pas te procurer la fortune, mais voilà, Dieu est unique (et il te bénit par ma bouche) : Tu es Petit-Dernier ! Et tu as, Petit-Dernier, un Dieu de félicité, qui t’a dirigé vers moi, vers moi qui suis si vieille, et moi qui suis si vieille, je dis que telle chose que tu feras, oh non, ne te donnera pas grande fortune, mais que tu seras bien aussi heureux que les autres…

- Qu’est-ce à dire, grand-mère ? demande le jeune homme.

- Eh bien, dit-elle, va d’abord réfléchir, avec tes aînés, car vous vous rencontrerez tous, et vous parlerez, et ensuite je te le dirai.

            Petit-Dernier- l’Obstiné repart, et il arrive auprès de ses frères. Il demande à l’Aîné :

- D’où viens-tu ?

- J’étais chez Grand-Seigneur.

- Et quel genre de travail y as-tu trouvé ?

- Eh bien, Grand-Seigneur m’a dit qu’il y avait  certaines observances, et que si j’arrivais à les tenir, c’est alors que je pourrais gagner.

            Et il demande aussi au Second :

 - Et toi, tu es allé chez le Roi, comment as-tu trouvé les choses là-bas, et quel travail est-ce que tu y auras ?

- Eh bien, c’est la même chose : pour le travail que je ferai, il faut tenir certaines observances avant de pouvoir gagner la fortune.

- Et moi, reprit Petit-Dernier, je suis allé chez la Vieille, dit-il. Elle m’a dit : moi-même, je meurs de froid, j’ai si froid, si froid… , et c’était une déshéritée, où pourrait-elle bien trouver la fortune, vieille comme elle est ? Alors partons chacun de notre côté, les gars. Moi, dit-il, vous m’avez rejeté, vous m’avez repoussé dans l’obscurité. Eh bien, nous allons décider d’un signe.

            Nous allons décider d’un signe, et ce sera cet arbre, qui est ici, à la croisée des chemins. Il est passé ici des gens, qui lui ont donné des coups de coupe-coupe, qui ont réduit à rien l’épaisseur de son tronc. Eh bien, malgré la méchanceté des passants, dit-il, ce n’est qu’avec la permission de Dieu, qui les a créés, que l’homme qui l’a frappé pourra repasser par ici. Aussi, si cet arbre meurt, Petit-Dernier aussi mourra. Si cet arbre vit, Petit-Dernier vivra.

            Alors ils se sont séparés. Et comme ils s’étaient séparés…, l’observance de celui qui était allé chez Grand-Seigneur… ( Et - savez-vous bien - Grand-Seigneur avait un siège d’or, il avait un lit d’or.) Donc, l’observance que l’Aîné avait à tenir, cela concernait les deux chiens qu’il trouverait sur la véranda avant d’entrer :

- A cela on reconnaîtra que l’observance a été tenue, avait dit Grand-Seigneur : au moment où les chiens aboieront, ne te crois pas trop habile, parce que tu n’as pas encore ce que tu désires…

            Et pour ce qui est du second frère :

- Toi, tu vas chercher fortune. Et moi, je suis un roi, et j’ai chez moi des cochons, lui avait-il dit. Si en arrivant, tu frappes ces cochons, non pas de tes mains nues mais avec un bâton, eh bien non, mon ami, tu n’auras pas ce que tu cherches.

            Et pour ce qui est du troisième, celui qui allait chez la Vieille :

- L’observance que je t’impose, lui avait dit la Vieille, consiste en une seule chose : Tu sais, je n’ai pas eu d’enfants, je n’ai pas eu de petits-enfants ; aussi tu es comme mon petit-fils, tu es comme mon fils. Et j’ai une petite chose que je te donnerai,  ce qui te sera favorable.

            Alors, ils sont partis tous les trois, chacun de son côté. Le premier de tous, bien sûr, c’était l’Aîné, celui qui partait chez Grand-Seigneur. Tout de suite il se met un beau pantalon long : celui qui va occuper une place chez Grand-Seigneur doit avoir un pantalon long…

            Quand il rencontre les chiens, il prend un bâton, et pan, il les frappe. Morts, les chiens ! Eh bien ! Grand-Seigneur ne lui a même pas laissé passer la porte.

Ensuite, c’était le Second, celui qui allait chez le Roi. A son arrivée, au moment d’entrer, il voit les cochons, bien en rangs. Au lieu de faire ce qu’on lui avait dit, de les frapper à mains nues, il les a frappés de sa sagaie. Le Roi lui dit :

- Non, mon ami, tu n’auras rien ici !

            Les deux premiers ont rebroussé chemin. Nous arrivons maintenant à Petit-Dernier. La Vieille lui a dit :

- Eh bien, tu es venu, mon petit-fils ? Comme tu es venu, bien que je ne sois qu’une pauvre carcasse de vieille, j’inscris mon héritage à ton nom. Car j’ai un héritage, dit la vieille, qui n’est point sorcellerie, qui n’estr point sortilège, qui devait revenir à mes enfants, qui devait revenir à mes petits-enfants. Mais c’est toi qui l’auras. Tiens, voici le papier bien dans les règles que je te donne. Va chercher ton héritage.

            Petit-Dernier est reparti, lui qui avait tenu les observances. Et il est allé dans le pays de la Vieille , où il y avait des troupeaux, où il y avait des boutiques, car toute Vieille qu’elle était, on ne lui connaissait peut-être pas de troupeaux, mais elle avait là-bas ses richesses.

            Alors, quand les trois frères se rencontrent, ils se demandent :

- Quelles sont les nouvelles ?

            L’Aîné avoue :

- Oh, les gars, je n’ai pas su tenir les observances !

            Et le Second :

- Moi non plus, je n’ai pas tenu les observances !

            Quant à Petit-Dernier, il était le seul à avoir obtenu une faveur parmi les trois frères partis en quête de la fortune. Il avait obtenu une faveur, parce que, au temps jadis, l’or avait grande dignité.

            Et c’était ce que la Vieille lui avait donné :

- Quand tu seras arrivé, lui avait dit la Vieille, à mon pays, et à la terre de mes ancêtres qu’on appelle Ambosotro, la Contrée-des-Bœufs, tu y trouveras un grand arbre de nos ancêtres, qu’on appelle l’Arbre-Doux. Quand tu y seras arrivé, tu sonderas les racines de cet arbre, et, c’est sûr, tu y trouveras de l’or.

            Ainsi, comme s’il avait été dirigé par une puissance surnaturelle, Petit-Dernier est allé là-bas, et tout de suite il a trouvé l’or, qu’il a emporté dans une marmite.

            Ah ! En ce temps-là, l’or c’était la fortune ! Cet or, il l’a porté chez un Blanc, c’était de l’or brut, pas encore monnayé. Et la Vieille avait donné à Petit-Dernier la recommandation de revenir chez ses parents. Une fois revenu chez ses parents, il leur dit :

-- Eh bien, père ! Nous sommes partis, tous les trois, et mes frères aînés m’ont dirigé chez une Vieille, chez qui ils n’auraient jamais cru que je puisse trouver quelque chose. Et ce sont eux qui ne sont pas devenus des rois, ni l’un ni l’autre ! Et moi, j’ai trouvé quelque chose, père ! J’ai trouvé ça !

            En voyant ce qu’il rapportait, oh, le père était bien heureux :

- Nous étions les plus pauvres des plus pauvres, nous n’avions que nos dents à étaler au soleil, mais quand je te vois, je suis tout sourire à la pensée que notre misère et écartée.

            C’était l’or, voilà ce qu’ils avaient obtenu en allant à la recherche de la fortune. Et c’est ici que le récit prend fin. L’or, au temps jadis, avait bien une grande dignité.

C’est fini !

 

Fulgence FANONY

L’Oiseau Grand-Tison

Et autres contes Betsimisaraka du Nord

Littérature orale Malgache

tome 1

L’Harmattan 

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