Conte: Petit lépreux Lebokahely

Publié le par Alain GYRE

Petit lépreux

Lebokahely

 

Tout d’abord, il y avait un Petit-Lépreux.

Et il y avait aussi un Grand-Seigneur d’autrefois. Et ce Grand-Seigneur avait des filles très belles. Beaucoup d’hommes venaient demander ses filles en mariage.

On venait demander en mariage la plus belle, qui s’appelait Petite-Benjamine. C’était son vrai nom. Cette Petite-Benjamine, tous les hommes qui passaient la demandaient, tous sans exception. Mais jamais elle n’acceptait.

Une fois, on ne sait comment, Petit-Lépreux se décide :

-Moi aussi je vais aller demander cette belle Petite-Benjamine là.

            Il y est allé. Une fois arrivé, il s’adresse à Grand-Seigneur :

- Donne-moi du travail

- Oui, dit grand-Seigneur, du travail, il y en a.

- Quel travail me feras-tu faire ?

- Toi, tu donneras la nourriture aux cochons.

            Alors, il donnait la nourriture aux cochons ; il vivait solitaire, au fond de la forêt… Et il est demeuré solitaire au fond de la forêt, longtemps, longtemps…, tellement délaissé que pour tout vêtement il n’avait qu’un sac de jute, oui pour tout vêtement un sac de jute.

            Et après un certain temps, il a commencé à tourner du côté de chez la fille de Grand-Seigneur ; il l’a courtisée, et finalement elle a  accepté.

            Et comme la fille avait accepté, une fois, au milieu de la nuit, il est allé chez elle . Et là, la fille l’a lavé. Une fois lavé, et fort bien lavé, il a couché avec elle ; mais après un certain temps, on a fini par savoir qu’il était l’amant de cette fille.

            Grand-Seigneur se dit :

- Ah, c’est cette chose qui m’attriste ! Voilà que c’est mon ouvrier qui a courtisé ma fille ! Pas quelqu’un de présentable, non, mais cette espèce de Petit-Lépreux ! Comme c’est triste…

            Il y a eu des gens si riches, qui sont passés, et qui l’ont demandée, et elle les aet quand c’est cette vilaine espèce de Petit-Lépreux, dit-il, elle accepte ! Comme c’est triste ! Je ferai tout pour le faire disparaître.

            Et un jour, il parle au Grand-Aîné. Au beau-frère de Petit-Lépreux. Grand-Seigneur lui dit :

- Emmène-le dans la forêt.

            Donc, ils l’ont emmené dans la forêt. Mais sa femme lui avait dit :

- Toi, ils vont essayer de te tuer, sois prudent.

-  Oui, dit Petit-Lépreux.

            Ils l’ont emmené :

- Beau-frère, allons en forêt.

            Ils partent donc (et lui, il était toujours lépreux), ils l’emmènent dans une grande forêt, une forêt vierge, un endroit où il y avait des bêtes féroces. Et ils arrivent en plein milieu de la forêt. Une fois arrivés là, ils lui disent :

- Toi, beau-frère, passe sur cette montagne, et nous, nous allons passer par ici.

            Et ils étaient partis pour récolter du miel. En parcourant la forêt, Petit-Lépreux tombe sur un endroit où il y avait des genettes, mais des genettes ! C’était plein de genettes. Et en regardant aux alentours, il voit que les genettes avaient tout dévasté, jusqu’aux petits arbres, il n’en restait rien, tout était dévoré. Rien ! Arbustes, herbes, tout avait été saccagé par les genettes. (…)

            Et comme il arrivait au pied d’un grand arbre, tout d’un coup voilà les genettes ! notre homme grimpe sur l’arbre, et c’était un arbre énorme… Il grimpe dessus.

            Eh bien, les genettes sont montées aussi, tandis que lui, il restait assis sur une fourche. Et au fur et à mesure que les genettes grimpaient et qu’elles arrivaient à sa portée, il les tapait l’une après l’autre.

            En voilà une qui monte : à peine arrivée, il la frappe ; en voilà une autre qui monte ; à peine arrivée, il la frappe. Et ainsi jusqu’à la nuit, sans interruption, il continue à taper, à frapper. Et quand le matin arrive, il continue encore à taper, à frapper…

            Finalement les cadavres des genettes tuées arrivaient jusqu’au milieu du tronc du grand arbre, entassés les uns sur les autres. Ah, il était fatigué, notre homme, il souffrait de son bras enflé à force de frapper sur les genettes.il a continué jusqu’à la tombée de la nuit. Les cadavres s’entassaient jusqu’à ce qu’il puisse poser le pied dessus…

            Alors, le jeune homme finit par avoir faim, et il restait encore un certain nombre de genettes. En levant les yeux, il voit une ruche tout près de sa tête.

            Bon, il n’hésite plus. Il cueille le miel, qui était dedans. Tout en mangeant du miel, il ne s’arrêtait pas de frapper sur les genettes qui venaient l’attaquer. Quelques temps après, il n’en restait plus : il les avait toutes tuées. Alors il est descendu. Il a emporté avec lui deux genettes.

            Il les a emportées au village. Quand il est parti il faisait déjà un peu sombre, (c’était l’heure où les gens allaient se coucher.) si bien qu’il est arrivé au village au milieu de la nuit. Et la femme, au village, pleurait, elle le croyait déjà mort.

            Il arrive. Il frappe à la porte.

- Qui est là, dit la femme.

- C’est moi ;

- C’est bien toi,

- Oui, c’est bien moi.

            La femme ouvre la porte. Une fois la porte ouverte, il entre ;

- Oh ! C’est beau-frère qui arrive là ?

- Oui, c’est bien lui, il n’est pas mort.

- Non ? Non ?

- Il est toujours bien vivant.

- Oh ça alors !

            Et alors, le matin, on lui donne à manger.

- Eh bien, oui, beaux-frères ! Vous avez voulu me faire disparaître, mais vous n’avez pas réussi à me tuer ! Je suis toujours là. Et lorsque vous avez voulu me perdre, venez voir ce que j’ai eu là-bas !

            Il a conduit les gens à l’endroit où il y avait les genettes. Alors on a pu voir le tas de corps de genettes gisant au pied de l’arbre les unes sur les autres, jusqu’au sommet de l’arbre.

            Une autre fois, comme ils n’étaient pas satisfait de leur premier coup, ils l’ont emmené en mer, dans un flot, pour chercher des poissons. C’était ce qu’ils disaient…

- Allons là-bas… (Et c’était l’îlot où les fils de Dieu venaient jouer.) Allons là-bas, il y a beaucoup de poissons.

            La femme le met en garde :

- N’y va pas, tu y mourrais, ils veulent te tuer.

- Mais si, je vais y aller, tu crois vraiment que je vais mourir ! Il faut que j’y aille.

- Tu y vas ?

- Oui ;

            Et il y est allé quand même. Ils sont partis en pirogue, et ils ont  avancé, jusqu’à ce qu’ils arrivent là-bas :

- Nous allons nous répartir, maintenant que nous sommes arrivés. Toi, beau-frère, tu iras du côté du sud, et nous de l’autre côté…

- Oui.

            Et leur pirogue était restée là.

            Les beaux-frères étaient partis ensemble, et Petit-Lépreux de l’autre côté. Ils ont abandonné Petit-Lépreux sur l’îlot.

            Lorsqu’il est revenu, il a vu la pirogue qui était loin, loin… On ne voyait même plus très bien les gens dedans ;

- Je suis mort, dit le Petit-Lépreux, ils m’ont abandonné.

            Alors Petit-Lépreux s’est mis à pleurer, à pleurer, à pleurer. Et les fils de Dieu qui allaient jouer à l’endroit habituel de leurs jeux l’ont entendu.

            Les fils de Dieu se demandent :

- Qu’est-ce que c’est ?

- C’est quelqu’un qui pleure.

- Quel homme a pu venir jusqu’ici, et pourquoi est-ce qu’il serait venu ici ? Qui est-ce qui oserait pénétrer à l’endroit de nos jeux ? Qui est-ce qui saurait venir jusqu’ici ? Non, ici, personne ne connaît.

- Mais si ! Mais si ! C’est un homme.

            Ils y vont.

- Va donc voir, Petit-Coursier !

            Petit-Coursier y va.

- Mais oui, c’est bien un homme.

- Et quel genre d’homme ? Dis-lui de se taire et enlève-le de là.

            Une fois transporté là, (Dieu l’interroge) :

- Tu n’as rien à dire ! Ici, c’est l’endroit réservé aux jeux de mes enfants. Va-t-en d’ici !

- Mais je ne suis pas venu ici de mon propre gré. J’ai été abandonné ici par mes beaux-frères.

            Alors :

- Ah il dit qu’il a été abandonné par ses beaux-frères. Il n’est pas venu de son propre gré.

- Examinez bien si ce n’est pas un vagabond, qui vient ici vagabonder à l’endroit réservé aux jeux de mes enfants, une chose bien attristante pour moi : jamais personne ne s’y était introduit. Il faut qu’il arrête ses larmes.

            On lui a ordonné de cesser de pleurer, mais lui, il pleurait de plus belle.

- Moi, je vais mourir ici, voilà ce qui m’afflige. On m’a abandonné ici, dans cet endroit où personne ne pénètre jamais. On m’a abandonné ici ! Comme je suis triste…

- Si c’est seulement pour ça, que tu pleures, dit Dieu, tais-toi. Ou bien y a-t-il autre chose qui te fait pleurer ?

- Oui, j’ai faim.

            On lui donne à manger. Au bout d’un moment, alors qu’il était un peu rassasié, il se remet encore à pleurer.

- Oh ! C’est encore lui qui pleure, là ?

- Oui, C’est encore lui.

- Qu’est-ce qui t’attriste encore maintenant ?

- Ce qui m’attriste ? Donnez-moi au moins un drap pour dormir, si je l’ai, rien ne m’attristera plus.

- Si c’est comme ça, donnez-lui un drap.

            On lui apporte un drap, dès qu’il a le drap, il se blottit un moment dedans, et puis il se remet à pleurer encore davantage.

-  Oh ! C’est encore cet homme qui pleure , là ?

- Qu’est-ce qui t’attriste encore ?

- Eh bien, je n’ai même pas une maison pour m’abriter, par ces pluies diluviennes, rien qu’un semblant d’abri dans les rochers, voilà ce qui m’attriste.

- Bon, si c’est comme ça, envoyez-lui une maison.

            On lui a envoyé une maison. Ensuite, Dieu est reparti.

            A peine Dieu était-il parti, voilà qu’il se remet encore à pleurer, à pleurer, à pleurer, à pleurer de plus en plus fort.

- Oh ! C’est encore cet homme qui pleure ?

- Oui, c’est encore lui.

- Qu’est-ce qui te fait pleurer encore ?

- Ce qui m’attriste, oui, c’est que je suis parti de chez moi pour chercher fortune, et voilà que je vais mourir ici, alors que j’étais parti chercher fortune. Je vois bien que je vais mourir sans rien gagner même une piastre, dit-il, ça me peine vraiment.

- Si c’est  comme ça donnez-lui de l’argent.

            On lui a donné de l’argent, et il était bien content. Et une fois qu’il a obtenu ce qu’il voulait :

- Maintenant reste tranquille.

- Oui.

            Mais un moment après, il pleurait encore, il pleurait, il pleurait…

- Qu’est-ce qui te fait encore pleurer ?

            Il répond :

- C’est vrai, j’ai cherché fortune, et je l’ai trouvé, mais ce qui me peine malgré cet argent que j’ai, malgré cette maison que j’ai, c’est de rester ici sur votre terre. Donnez-moi une pirogue pour passer de l’autre côté.

            Ils ont donné une pirogue.

- Ramène-le là-bas, Petit-Coursier !

            On l’a ramené chez lui. Il avait bien gagné dans ses entreprises : il avait eu plus que Grand-Seigneur lui-même ; il était revenu au pays, riche.

 

Et voilà comment cette affaire s’est terminée !

Je vous remercie beaucoup.

 

Fulgence FANONY

L’Oiseau Grand-Tison

Et autres contes Betsimisaraka du Nord

Littérature orale Malgache

tome 1

L’Harmattan 

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