Conte: Couche-dans-la-fange

Publié le par Alain GYRE

 

Couche-dans-la-fange

 

Il y avait, dit-on, un Grand-Seigneur. Ce Grand-Seigneur n’avait eu qu’un enfant, un seul, et cet enfant s’appelait Gloire. Et c’est seulement après trente années de mariage, que Gloire était né.

            Et quand la mère de Gloire était enceinte de lui, qu’elle était enceinte de six mois, l’enfant s’est mis à parler, dans le ventre de sa mère :

- Ô maman ! Quand tu auras accouché, appelle-moi Gloire. Après ma naissance, dix ans après ma naissance, tu mourras. Et cinq ans après ta mort, mon père prendra une autre femme, une très belle femme !

Voilà ce que disait l’enfant dans le ventre de sa mère.

- Fais bien attention, mère, fais bien attention, mère, ne dis rien à mon père !

Sa mère était ravie.

- Bon ! Je vais avoir un enfant, c’est vraiment un enfant que j’ai dans le ventre. Ils racontent des histoires, ceux qui disent que c’est une maladie. Oui, je rends grâce au Créateur : même si je dois mourir, mon enfant, ça m’est bien égal, du moment que je t’aurai mis au monde, il y aura quelqu’un pour me remplacer.

Voilà ce que disait cette femme.

- Je ne dirai rien à ton père, c’est un secret entre nous deux !

            Trois mois après, la femme accoucha. Elle appela l’enfant Gloire. Et, au moment où il sortit, il était beau, comme un vrai ange. Il était là, il était là… Et son père, tu sais, c’était son premier enfant, il était ravi aussi, il aimait beaucoup le petit garçon. Il lui donna tout. Vois-tu, autrefois, c’était l’or qui était la richesse des gens : l’enfant avait des colliers partout, et dès sa naissance on lui avait donné aussi un cheval, et le nom du cheval, c’était Grand-Blanc. Car il faut savoir que la fortune de Grand-Seigneur se composait surtout de chevaux.

Ils demeurèrent. Et quand Gloire eut dix ans, sa mère mourut. Gloire devint orphelin de mère, et ce fut son père qui l’éleva. Son père l’éleva ainsi, jusqu’à ce qu’il ait atteint l’âge de quinze ans.

Alors son père se remaria, il se remaria avec une femme assez belle, et encore jeune. Et cette femme n’avait pas d’enfant non plus. Ainsi, Gloire devint le beau-fils, le fils de l’autre femme. Et Gloire était un enfant gâté, toujours avec des colliers d’or partout. Et sa marâtre le jalousait, elle le détestait, même. Et Gloire a maintenant dix-sept ans. Il est déjà grand.

Et cet enfant, en tant que fils de roi, on lui avait appris les arts de la guerre. Il avait des instructeurs : sagaie, fusil, sabre, on lui avait tout appris. A l’âge de quinze ans, il était déjà célèbre dans les arts de la guerre, cet enfant.

Or, sa marâtre, parce qu’elle était jalouse de lui, elle ne voulait pas manger. Elle se privait de manger, au point de tomber malade. Quand le roi partait pour passer en revue ses soldats, elle restait couchée tout le temps. Finalement, au bout d’une semaine, elle était devenue très maigre, cette femme. Le roi commençait à s’inquiéter.

- Où as-tu mal, mon amie ?

- Aie ! Aie ! J’ai mal ici.

Elle se tâtait le dos. Et en réalité elle n’était pas malade du tout, simplement elle ne mangeait pas, à cause de sa haine pour l’enfant. Et elle prenait du pain, elle le faisait sécher, et elle le glissait, sous son matelas. Comme ça, dès qu’elle se retournait sur son lit, qu’elle remuait un peu, on entendait les pains secs qui craquaient là-dessous. Et quand les pains craquaient sous le matelas, chaque fois elle disait :

- Aie ! Aie ! J’ai mal ici.

            Oh, le roi était bien inquiet. La femme était belle, et il l’aimait. Alors, le roi est allé consulter les devins. Mais s’il allait consulter un devin, il lui disait une chose, et s’il allait en consulter un autre, il lui disait autre chose de complétement différent… Et la femme savait bien que Grand-Seigneur allait consulter les devins. Un jour que Grand-Seigneur était parti passer en revue ses soldats, la femme a parlé. Elle est partie trouver les devins, par ce que, n’est-ce pas, ils ne se faisaient pas soigner par des médecins, ils avaient toujours des devins qui fréquentaient la Cour, et c’étaient ces devins qui les soignaient quand ils étaient malades. donc, elle a appelé les devins :

- Prenez bien garde de ne rien dire au roi, s’il vous demande quelque chose ! Je vous donnerai deux mille piastres.

Et deux mille piastres, à cette époque, cela faisait énormément d’argent :

            - En réalité, je ne suis pas malade du tout. Mais je n’aime pas le fils du roi. Si le roi vous interroge, dites-lui simplement ceci : vous avez un cheval dans votre parc, qui s’appelle Grand-Blanc. Si tu ne le sacrifies pas dès vendredi, hélas, ta femme est morte !

Les devins dansaient déjà de joie à l’idée de recevoir les deux mille piastres. Ils répondent :

- Oui.

            Le roi revient. Et elle, elle se tournait et se retournait dans son lit, refusant de parler, refusant de manger, la méchante femme ;le roi est allé consulter ses devins.

- Examinez un peu le cas de ma femme. Elle est malade.

- Oh, Sire roi, il y a ici, dans votre parc, un cheval blanc. Si tu ne sacrifies pas ce cheval, hélas ta femme est morte !

Voilà ce que disaient les géomanciens. Le roi en consultait un : c’était cela l’oracle. Il allait en consulter un autre : même réponse. Le roi était bien embarrassé. Il aimait son fils, surtout que c’était son fils unique. Mais il aimait aussi sa femme ! Voilà le roi bien perplexe.

- Oh mais au fond, ce n’est pas mon fils que je vais mettre à mort, c’est son cheval ! Vendredi, je vais le tuer.

            Or Gloire était au courant de tout. Que sa marâtre faisant semblant d’être malade, il le savait … Qu’elle refusait de manger, il le savait. Qu’elle cachait du pain sec sous son matelas, il le savait. Et entre temps, le vendredi arriva. On allait tuer Grand-Blanc. Le roi a réuni ses devins :

- Mes amis, allons-y. au chant du coq nous allons tuer Grand-Blanc !

            Alors, après cela… Non, je suis allé un peu trop vite. D’abord Gloire avait parlé à son cheval :

- Grand-Blanc ! Mon père veut te tuer. Alors, quand ils viendront au parc, appelle-moi, à n’importe quelle heure.

- Oui.

- Dès qu’ils arrivent au parc, tu cries. Quand ils voudront te renverser à terre, tu cries. Et juste au moment où ils voudront te couper le cou, tu cries. C’est-à-dire que tu vas crier trois fois.

- Oui, dit Grand-Blanc.

- Nous allons fuir, tous les deux.

- Oui, dit Grand-Blanc.

            Et, cette nuit-là, on avait envoyé Gloire dormir chez son oncle maternel, qui habitait dans le même village, mais un peu plus loin. On avait fait dire à Gloire d’y passer la nuit :

- Tu vas aller dormir là-bas.

Et lui, il savait déjà. Il y est allé. Mais, même là-bas, il fallait qu’il entende l’appel de Grand-Blanc.

            Au premier chant du coq, Grand-Blanc appelle. De là-bas, Gloire l’entend.

- Mon oncle, mon oncle, j’ai mal au ventre, ouvre-moi la porte, j’ai mal au ventre.

Entendant cela, son oncle lui a ouvert la porte. Gloire est sorti. Et on ne l’a revu…

- Où est-il donc passé ce garçon ?

Eh bien, il avait couru se cacher au pied du parc. Tous les gens étaient déjà arrivés dans le parc. Ils étaient six hommes, et le roi faisait le septième. C’était au premier chant du coq. Ils n’avaient pas vu Gloire qui était là, bien caché. Ils essayent de reverser le cheval à terre. Hi hi hi ! C’est Grand-Blanc qui appelle. Le garçon est là, bien caché. Et dans un instant, Grand-Seigneur, père de Gloire, va couper le cou de Grand-Blanc.

            Comme Grand-Seigneur lève le couteau pour trancher le gorge de Grand-Blanc. Gloire sort en courant du coin du parc, pour se coucher en travers de la gorge de son cheval.

- Coupe-moi le cou, père, si tu eux tuer mon cheval.

Le roi se met à trembler. Il laisse tomber son couteau en pleurant.

- Oh ! Mon fils, je ne peux pas te tuer.

            Alors on a détaché le cheval.

- Voilà, père : si tu m’aimes, ce cheval de toutes façons tu vas le tuer, c’est toi qui as décidé de me le donner, tu peux décider de le tuer. Mais laisse-moi faire d’abord avec lui sept fois le tour de notre village.

            Il monte sur son cheval. Et tous les gens, il les laisse là…

            C’était le petit matin. Il avait préparé toutes ses affaires, tout ce qu’il avait hérité de sa mère, il avait tout mis dans une valise : l’or de sa mère, les vêtements de sa mère, et ses propres vêtements, et une partie des galons de son père, car son père était ampanjaka, il avait le grade de XVI honneurs.

            Il va partir, partir pour les pays inconnus, droit devant lui. Il fait un tour, et en mêle temps il écrit. Il fait un tour avec son cheval. Le cheval était tout harnaché d’or. Il fait un tour de village… Il a déjà fait trois tours. Alors il prend la lettre qu’il a écrite, et il la pose sur le bureau de son père. Une fois la lettre posée sur le bureau de son père… il part ! Gloire part, de tout le souffle de son cheval, de toute la vitesse de son cheval. Course effrénée, course effrénée, vers le sud…

            Comme Grand-Seigneur revenait de passer en revue ses soldats, n il entre à la maison. En entrant dans la maison, il voit une lettre sur le bureau. Il la lit, et voici ce qui y était écrit :

- Père, ta femme, tu l’aimes, et moi, tu me détestes. Eh bien, je vais partir, père, oui, je vais partit, parce que je ne veux pas que tu fasses mourir mon cheval. Cette femme, ta femme que tu aimes, elle n’est pas malade, père, c’est par haine de moi qu’elle fait semblant d’être malade pour pouvoir faire mourir mon cheval. Et les devins, elle les a payés deux mille piastres pour faire mourir mon cheval. La première fois que tu étais parti, souviens-toi, tes géomanciens n’avaient rien trouvé : la raison en est qu »ellke n’est pas malade du tout. Pourtant, la fois suivante, ils avaient trouvé : la raison en et qu’ils sont tous complices. J’ai tout surpris, je les ai vus se réunir, et converser avec ma marâtre. Et pour ce mal dont elle parle, qui cause tous ces craquements, qui lui fait crier qu’elle a mal, qu’elle a mal au dos, soulève donc le matelas, père, tu y trouveras les morceaux de pain sec que ma marâtre y a mis. Quand elle se tourne et se retourne, c’est ça qui craque, et craque… Alors, je pars, père. Adieu père, adieu pour toujours.

            Voilà ce qui était écrit dans la lettre du garçon.

            Alors Grand-Seigneur a demandé :

- Quel est le plus fort de mes chevaux ?

            Et dans le parc, il n’y en avait pas de plus fort que Grand-Blanc, et après lui c’était Grand-Brun. Les serviteurs du roi répondent :

- Eh bien, c’est Grand-Brun.

- Allez vite me le chercher.

            On est allé chercher Grand-Brun. Course effrénée du roi vers le sud. Et ce Grand-Brun, tu sais comme sont les bêtes… , pas leur pareil pour flairer une trace. Voilà Grand-Brun lancé sur les traces de Grand-Blanc, tagada, tagada, tagada ! Arrivés un peu plus loin, ils voient comme un nuage de poussière noire, tout petit là-bas dans le lointain. Un nuage de poussière, mais tout petit. Le roi presse l’allure, il presse l’allure, mais jamais il ne rattrape Gloire : le petit nuage de poussière est toujours loin là-bas.. .

            Le roi est découragé. Il arrête son cheval, et il s’effondre, sans connaissance. Le roi reste là, sans connaissance, et puis finalement il revient à lui et il pleure :

- Oh, mon Dieu, de la manière dont j’ai aimé ce fils, mon fils, mon unique, et c’est pour cette femme que je le perds, pour les idées de cette femme ? Mon fils est parti, et jamais plus je ne le reverrai.

            Il pleure. Et il s’en retourne, il s’en retourne, avec son cheval. Et il ne montait plus son cheval, il marchait, tout au long de la longue, longue route, pleurant toujours tout au long de la route. Donc, il s’en retournait, et Gloire, en s’en allant, avait emporté la longue-vue de son père. Il dirige la longue-vue du côté de son père, et il le voit de loin, qui s’en retourne.

            Il s’arrête pour se reposer. Il se repose tranquillement, avec Grand-Blanc. Au bout  de quelque temps il dit à Grand-Blanc :

- Allons-y.

            Ils partent vers le sud ; ils marchent vers un pays inconnu. Ils marchent, ils marchent, et arrivés un peu plus loin, voilà Grand-Blanc qui pousse un cri, hi hi hi ! Gloire lui demande :

- Qu’est-ce qu’il y a encore ?

            Il regarde, et c’est un arpenteur-de-la-forêt, un long et gros serpent. Autour de lui, rien que des os, les os des êtres qu’il avait dévorés. Arrivé là, Gloire voit que l’arpenteur-de-la-forêt est là, déjà lové. Il vise l’arpenteur-de-la-forêt à la tête, le monstre tombe.

            Une fois l’arpenteur-de-le-forêt abattu, voilà un grand milan qui s’approche de lui, et qui le salue. Et Gloire ne tire pas sur lui. Pourtant il était tout prêt à tirer au moment où le milan s’approchait. Il lui demande ce qu’il vient faire là.

- Je te remercie, dit l’oiseau. De tous les os que tu vois ici, la plupart sont les os de mes petits. Mes petits sont sur cet arbre, et cet être venait encore de m’en dévorer un. Je suis bien content. ne me tue pas, je suis venu te donner un présent en reconnaissance. Si tu veux, je te donne un de mes petits. Il sera ton compagnon dans les combats que tu livreras sur ton chemin.

- C’est bien, dit Gloire, si tu me l’offres de bon cœur, si tu me le donnes, je l’emmène.

            Alors le grand milan a pris son petit sur l’arbre t l’a posé sur l’épaule de Gloire ; et le petit du milan a déployé ses ailes pour faire de l’ombre sur la tête de Gloire. Et Gloire est remonté sur son cheval, et il a continué sa route, tagada, tagada, tagada. Un peu plus loin, voilà Grand-Blanc sui pousse un cri, hi hi hi !

- Qu’est-ce qu’il y a encore, l’ami ?

            Comme Gloire se tournait de côté et d’autre, il a vu un monstre qui dormait là. Il s’est approché, tout doucement.

            L’énorme bête, en voyant Gloire, a redressé la tête. C’était une éléphante.

- Je suis malade, dit la bête, je n’ai pas mangé depuis une semaine, je suis blessée à la patte par un bout de bois qui ne veut pas sortit, une écharde qui est là.

            Alors, Gloire prend son gros canif, et il incise la patte de l’éléphante. Il l’incise, et il y trouve une écharde grosse comme le doigt. Il l’enlève.

- Ah, je te remercie, dit l’éléphante, je suis guérie. Si tu veux venir, viens.

            Ils partent ensemble. Gloire dit à l’éléphante :

- Marche devant, parce que tu ne peux pas marcher vite, tu as mal à la patte, tu ne peux pas marcher vite. Si c’est nous qui passons devant, tu ne pourras pas nous suivre.

            L’éléphante part : c’était elle qui ouvrait la marche, en boitant. Ils arrivent au sommet d’une montagne, et ils y trouvent une grande grotte.

- Dormons ici, dit Gloire à l’éléphante, tu n’en peux plus, et d’ailleurs la nuit va venir.

            Ils se sont installés là,. Ils étaient déjà bien loin. ils se sont installés là. Gloire a lâché le cheval blanc pour le laisser pâturer, ainsi que l’éléphante. Et à ce moment-là, le petit milan avait grandi. Parce qu’ils avaient marché depuis si longtemps… C’est bien vite raconté, mais cela faisait déjà bien longtemps qu’ils marchaient… Ils ont passé la nuit au sec dans la grotte. Au bout d’un moment, Gloire est parti voir un peu les environs, et il a vu qu’il y avait là des os. Il se dit :

- Oh, il y a sans doute un monstre par là.

            Au bout d’un certain temps, arrive un Grand-Monstre. Dès que ce Grand-Monstre se montre, Gloire lui tire dessus. Il est mort.

- Et alors, Tout ça pour se laisser tuer comme ça !

            Il prend la peau du Grand-Monstre, il l’écorche il la fait sécher. Et ça a fait beaucoup à manger pour le milan, toute la viande de ce monstre, parce que, n’est-ce pas, les milans, ça se nourrit de viande, c’est ça leur nourriture. L’éléphante et Grand-Blanc de leur côté, sont allés à la pâture.

            Au bout d’un certain temps, ils arrivent à une autre grotte, et ils s’y installent pour dormir. Au petit matin :

- Allons-y dit Gloire.

            Ils ont escaladé la montagne, et en regardant… voilà un village tout au loin, vers le sud. C’était le village d’un autre roi. Ils ont marché, marché, et, arrivés à la hauteur du village, ils se sont arrêtés. Gloire préparé là une palissade solide, il a construit une maison dans les bois. Ils ont fait leur camp au milieu d’un bois d’eucalyptus. Gloire l’a entouré d’une palissade solide. Et pour le faire, il lui avait fallu beaucoup de temps, parce qu’il était tout seul. Et ses bêtes étaient parties à la pâture.

            Au bout d’un certain temps, ses provisions étaient finies. Il se dit :

- Qu’est-ce que je vais faire ? Mes provisions sont finies. Je vais aller au village des gens.

            Mais, avant d’y aller, il s’est débarrassé de tous ses vêtements,  et il a mis juste un petit pagne tout sale. Avant d’entrer dans le village - et il y avait là une source, où les gens de la famille du roi venaient prendre l’eau - là, il a commencé par s’enduire de fange. Il s’est enduit tout le corps de fange. Et puis il est parti, et quand il est arrivé au village, les gens lui ont donné le nom de Couche-dans-la-Fange, puisqu’il était tout plein de fange. C’est là l’histoire : on l’a appelé Couche-dans-la-Fange.

            Il part, passant de maison en maison pour chercher à manger. Il va à la Cour du roi.

- Eh, va-t’en ! Qu’est-ce que c’est que ce type si sale, si dégoûtant ! Vraiment on n’avait pas besoin de ça ! Va-t’en ! donnez-lui à manger, les enfants, qu’il s’en aille, c’est écœurant de le voir là, disent les gens de la famille du roi.

            Alors, il a eu du riz et de la viande, et il est parti. Il s’est installé un peu à l’écart, et il s’est mis à couper de l’herbe, de l’herbe verte, pour son cheval.

            Or, le chemin qui conduisait à son petit campement, ce chemin passait par le jardin de la famille du roi. Et chaque fois qu’il passait là, il voyait les filles du roi qui arrosaient leurs brèdes, et qui se promenaient dans leur grand jardin. Il y avait là des sièges au pied des citronniers et au pied des manguiers. Chaque soir et chaque matin, les filles du roi venaient là pour se promener.

            Et Gloire, avant de rentrer, se baignait à la s’y lavait. Il s’y lavait, et une fois qu’il était bien propre, sa beauté réapparaissait. Et ainsi, chaque fois qu’il se baignait le soir, avant de rentrer, Benjamine, la plus petite des filles du roi ne manquait jamais de le remarquer. Elle était étonnée. Elle se disait :

- Ce Couche-dans-la-Fange, quand même, quel bel homme !

            Et elle commençait à l’aimer beaucoup, cette petite jeune fille, la fille du roi. Et ensuite, Couche-dans-la-Fange changeait de vêtements, et il revenait à son campement. Et c’était la même chose tous les jours.

            Enfin, un soir, en allant se promener dans le jardin du roi, il a vu Benjamine, la fille du roi. Il lui a écrit une lettre, et une fois écrite, il l’a déposée près de la source. Puis, après s’être baigné, Couche-dans-la-Fange est rentré chez lui. Benjamine est venue aussitôt pour lire la lettre. et la lettre disait :

- Viens ici, demain soir.

            Le lendemain soir, la petite jeune fille est venue. Ils se sont rencontrés là. Et là, ils sont devenus très amis. Et il n’a pas fallu longtemps pour qu’elle soit enceinte, la petite jeune fille, la fille du roi. A la fin elle ne pouvait plus cacher son ventre. Alors son père l’a interrogée :

- Qui est-ce qui t’a engrossée ?

            Mais la petite fille ne disait rien.

- Qui est-ce qui t’a engrossée ? Imbécile, idiote !

            Le roi tarabustait sa fille. Mais, qu’est-ce qu’il y pouvait ? Puisqu’elle était déjà enceinte !

            La fille était là. Finalement :

- Puisque c’est comme ça, amène-le ici, ton mari, qu’il habite ici…

            On est allé chercher Couche-dans-la-Fange, pour qu’il habite chez eux. On les a mis dans une vilaine petite maison, qui était comme un poulailler. Et Grand-Seigneur avait trois autres gendres, qui tous trois avaient déjà leurs appartements à la du roi. Et c’était aussi des soldats, des guerriers d’excellente réputation. Gloire, lui, ne disait rien.

            Tout son équipage, son éléphante, et son milan, qui était déjà grand, tout était resté au campement. Il y allait tous les jours.

            Au bout d’un certain temps, arrive un émissaire d’un roi de l’ouest, qui se présente au beau père de Couche-dans-la-Fange :

- Demain, le roi de l’ouest viendra attaquer votre village. Demain, nous livrerons bataille.

            Le beau-père de Couche-dans-la-Fange était bien embarrassé. On réunit les soldats :

- Demain, c’est la guerre. Que tout le monde soit prêt.

            Chacun de préparer son cheval, ses armes. Mais, ce roi, jamais il n’avait jamais vu de fusil. Le seul qui en avait, c’était Couche-dans-la-Fange. Ils ne connaissaient pas d’autres armes que les sagaies.

            Alors, au petit matin, les soldats partent pour la guerre. Couche-dans-la-Fange n’avait pu avoir, en fait de cheval, qu’un vilain petit cheval brun, borgne, et qui avait la courante. Voilà le cheval que son beau-père lui avait trouvé. Quand Couche-dans-la-Fange a voulu le monter, il s’est mis à faire du crottin sans arrêt, si bien que Couche-dans-la-Fange en avait plein les jambes.

Finalement, Couche-dans-la-Fange est allé remiser le cheval malade dans son petit parc. Et personne n’était au courant de l’existence de ce parc. Il a laissé là ce cheval. Et il a dit :

- Holà, Grand-Blanc, et toi Grand-Milan, et toi l’Eléphante ! Nous allons à la guerre.

    Quand ils sont arrivés là-bas, la bataille était déjà engagée. Beaucoup de soldats du beau-père de Couche-dans-la-Fange étaient déjà morts avant que Couche-dans-la-Fange apparaisse sur le champ de bataille. Et lui, il n’avait rien sur lu, aucun vêtement : juste, serrée autour des reins, la peau du monstre qu’il avait tué. Il dit à l’éléphante :

- A toi !

L’éléphante s’est mise à avaler de l’eau, et à lacer sur les ennemis. Ils en étaient complètement aveuglés.

- A toi maintenant, Milan !

            Alors le milan se jette sur les crânes des ennemis, pendant que Couche-dans-la-Fange tire, tire… Finalement l’armée de l’ouest est battue.

            En repartant Couche-dans-la-Fange donne au passage un coup de son sabre sur l’avant-bras de son beau-père. Le sang coule. Les quatre guerriers ont quitté le champ de bataille.

            Le vieil homme restait là à pleurer : il avait vu mourir tellement de ses soldats. Mais il était vainqueur. En arrivant au village il se disait :

- Oh ! Je suis content !

            Et il a fait une grande fête. Il disait :

- Je suis vainqueur, même si j’ai vu mourir tant de mes soldats. Je suis vainqueur. C’est un ange qui est venu m’aider dans cette bataille. C’est l’ange qui a combattu, et les soldats de mes ennemis ont été vaincus.

            Au village, tous les hommes étaient déjà là pour voir arriver Couche-dans-la-Fange avec son petit cheval borgne qui semait du crottin tout le long du chemin. Couche-dans-la-Fange avait les chevilles pleines de crottin. Son beau-père disait :

- Eh ! Voyez-le ce gars-là, comme il a fière allure !

            Après quoi, le roi de l’est a envoyé à son tour son défi :

- Nous arrivons. Préparez-vous, nous allons vous attaquer.

            Le beau-père de Couche-dans-la-Fange était encore bien embarrassé.

            Au petit matin, départ pour la guerre… Alors, Couche-dans-la-Fange est reparti à son petit campement remiser son cheval brun, celui qui était borgne et qui avait la courante. Chaque fois qu’il fallait aller  en guerre son beau-père lui donnait toujours le même cheval.

            Il est parti encore avec pour seul vêtement la peau du monstre qu’il avait écorché. Ils étaient quatre : l’Eléphante, Grand-Milan, Grand-Blanc, et lui.

            Une fois arrivés là-bas, voilà : il y avait déjà beaucoup de morts parmi les soldats de Grand-Seigneur. Alors l’Eléphante dit :

- C’est à moi !

            L’eau gicle. Et Grand-Milan se jette sur les crânes, pendant que Couche-dans-la-Fange ferraille du sabre, ferraille du sabre…, ah, il savait se battre, depuis son plus jeune âge, oui, il savait se battre !

            Les soldats de l’est sont battus, les ennemis du beau-père de Couche-dans-la-Fange. Mais au moment de s’en retourner, Couche-dans-la-Fange arrache le mouchoir de Grand-Seigneur, parce que, n’est-ce pas, Grand-Seigneur pleurait : il avait vu mourir tellement de ses soldats, avant que Couche-dans-la-Fange vienne sauver la situation. Il lui arrache son mouchoir, et les voilà partis tous les quatre, pour rejoindre leur campement. Là, Couche-dans-la-Fange laisse les trois bêtes pour qu’elles se reposent, et lui, il repart au village.

            Tout le monde était déjà réuni au village quand Couche-dans-la-Fange est arrivé, tout plein de crottin de son cheval. Et le roi était ravi, il fêtait sa victoire. Et il dit :

- J’avais un mouchoir, qui a été perdu pendant la dernière bataille. A celui qui le retrouvera, je ferai un cadeau.

       Quand elles ont entendu cela, toutes les femmes des soldats se sont mises à coudre des mouchoirs, et à y broder le nom du roi. Ensuite, on a rassemblé tous ces mouchoirs, et le roi a dit :

- Montrez un peu, que je les voie.

            Il les a examinés un par un, il les examinés…, mais non, le sien n’y était pas. Ce mouchoir c’était Couche-dans-la-Fange qui l’avait, dans son camp de la forêt, parce que c’est lui qui l’avait pris.

            Quelque temps après, le roi du sud a envoyé à son tour son défi. Il allait aussi attaquer. La guerre était engagée. Et le roi pleurait :

- Mes soldats vont mourir !

            Et chaque fois Couche-dans-la-Fange allait d’abord chercher ses compagnons de combat, si bien qu’il arrivait toujours un peu en retard. La bataille était déjà commencée depuis un moment quand il arrivait. L’Eléphante dit :

- C’est à moi !

            L’eau gicle. Les ennemis sont aveuglés. Grand-Milan arrache les têtes, et Couche-dans-la-Fange tire, tire… Voilà l’armée du sud exterminée.

            En repartant, Couche-dans-la-Fange arrache le chapeau de son beau-père, et il s’en va.

            La bataille avait cessé, et Grand-Seigneur ne voyait plus rien tellement il avait les yeux pleins de larmes. Le roi du sud était battu. Alors , le roi s’est montré en public. Il était ravi. Il est reparti au village, où on a fait une grande fête.

            Et, du côté du nord, c’était le père de Couche-dans-la-Fange qui était roi là-bas. Mais comme c’était très loin, jamais ils ne sont venus attaquer (son beau-père).

            Ensuite, on a donné à Couche-dans-la-Fange une petite maison de briques avec un toit un peu percé, parce que sa femme avait accouché. Elle avait accouché d’un garçon. Alors, ce n’était plus la baraque qui ressemblait à un poulailler, mais c’était quand même une maison où il manquait un côté du toit ! Et puis elle n’était pas crépie, c’était une maison qui n’était pas finie…

            Voilà. Le patriarche avait été vainqueur dans la dernière guerre. Et il se disait que c’était un ange qui était venu l’aider. Il ne se doutait pas que c’étaient Couche-dans-la-Fange et ses trois compagnons qui l’avaient secouru. Et il était impossible de reconnaître Couche-dans-la-Fange, parce qu’il se dissimulait sous la peau du monstre.

            Ensuite, le roi, le beau-père de Couche-dans-la-Fange, est tombé gravement malade. Et son mal, c’était un mal  des yeux. Il était devenu aveugle ; et, tu sais, autrefois, ils n’avaient que les devins pour les soigner… Le devin dit :

- Oh, si tu ne peux pas te procurer du lait d’éléphante, jamais tu ne recouvreras la vue.

            Ayant entendu cela, le roi a réuni ses trois gendres :

- Cherchez-moi du lait d’éléphante, sinon mes yeux ne verront plus la lumière.

- et Couche-dans-la-Fange, il n’est pas là ?

- Bon, faites-le venir ici, sait-on jamais, peut-être qu’il en trouvera ?

            On l’appelle.

- Si vous trouvez du lait d’éléphante, c’est cela, paraît-il, qui pourra me guérir !

- Bien.

            Alors, là-dessus, les quatre gendres se mettent en quête.

- Eh bien, dit Couche-dans-la-Fange, vous connaissez le petit bois là-bas, le bois d’eucalyptus ?

- Oui, répondent les trois autres.

- Il y a quelqu’un là qui a éléphante. Nous pourrons peut-être y avoir du lait. Et pour y aller, il faut prendre le chemin qui passe du côté sud.

- Oui.

- Allez-y donc, commencez à chercher, moi, j’ai encore une petite commission à faire.

            Alors les trois gendres ont commencé leur quête.il les ait envoyés sur un chemin qui faisait un long détour, et pendant ce temps il a pris tout droit, et il s’est retrouvé chez lui. Il a misses beaux habits. Oui. Il est là, assis sur un fauteuil, auprès d’une table, et un chapeau sur la tête, un peu incliné, le chapeau… Voilà les trois autres qui arrivent. Ils frappent.

- Entrez.

Ils entrent.

 - La raison de notre venue, outre la visite, qui - selon le dicton - jamais ne va seule, c’est que le roi, notre beau-père, est malade. Si on ne lui baigne pas les yeux avec du lait d’éléphante, plus jamais il ne verra la lumière. Et on nous a dit que vous avez de ce lait ?

- Oui, justement, je viens de le tirer. Si c’est pour soigner un malade, oh, bien sûr, il y en a !

            Et c’était Couche-dans-la-Fange qui leur parlait, mais aucun des trois ne l’avait reconnu.

- Mais, avant que je vous en donne, les gars, il faut que je vous fasse une petite marque. Oui il faut vous faire une toute petite marque.

            Alors Couche-dans-la-Fange a pris un fer rouge, et il le leur a appliqué sur les fesses à tous les trois, et la marque, c’était la lettre « F ». ensuite il leur a donné du lait, mais mélangé d’eau. Il leur dit :

- Voici, prenez ce lait, emportez chacun une bouteille, pour laver les yeux de votre beau-père. Comme ça, vous en aurez trouvé tous les trois.

            Ils en emportent tous les trois, chacun a sa bouteille. Ils s’en vont. Dès qu’ils sont partis, Couche-dans-la-Fange se change, et il s’en va à son tour. Une fois arrivé au village, il se garde de montrer le lait qu’il avait, parce que le sien était du lait pur, sans mélange, sans eau, rien que du lait.

            On a lavé les yeux du beau-père avec le lait qu’avaient apporté les trois gendres, et le beau-père a commencé à y voir, mais sa vue était encore un peu floue. Alors Couche-dans-la-Fange est venu à son tour apporter son lait. Il arrive, et le beau-père se lave avec son lait. Et tout de suite, ses yeux s’ouvrent, et il voit !

- Qui a apporté ce lait, demande le beau-père ?

- C’est moi, dit Couche-dans-la-Fange.

- C’est bien. Tu seras marié à Benjamine selon les coutumes, et vendredi prochain - vous savez que c’est le vendredi qui est le jour des rois, le jour qu’ils préféraient au temps jadis - vendredi prochain nous ferons les noces, nous ferons la fête. La fête commencera vendredi matin.

            Alors Couche-dans-la-Fange a pu monter à la Cour. C’est ainsi que cela s'est passé. Et il a fait tous ses préparatifs. Il a dit à sa femme :

- Demain nous nous lèverons au premier chant du coq, et nous partirons. Nous irons chercher mes petites affaires, puisqu’on va nous attribuer la dignité royale, et que nous allons demeurer à la Cour ; il faut que nous y allions.

            Or, le beau-père de Couche-dans-la-Fange n’avait que le grade de VIII honneurs seulement. C’était juste la moitié des galons du père de Gloire, qu’il avait apportés avec lui. Alors, au petit matin du vendredi, ils sont partis tous les trois, Couche-dans-la-Fange, la petite Benjamine, fille du roi, et leur fils. Ils sont arrivés là-bas au chant du coq, et Couche-dans-la-Fange a ouvert sa malle :

- Voilà, prends les habits qui te plaisent.

(Parce qu’il avait apporté avec lui les habits de sa mère, qui étaient son héritage.)

- Prends tout ce que tu veux comme colliers, jamais ton père n’en a eu de pareils. Mon vrai nom, ce n’est pas Couche-dans-la-Fange ; je m’appelle Gloire, et mon prénom c’est Petit-Jean ; et je suis le fils du roi du nord, et j’ai le grade de XVI honneurs, alors que ton père n’en a que huit !

            Et en effet, Gloire avait apporté toutes décorations de son père. En voyant cela, la jeune femme pleurait de joie.

- Ah, donc, tu es roi ? Et mon père qui te persécutait !

Après cela, il a mis ses vêtements de roi, c’était vraiment un roi, avec tous ses galons, il en avait sur les épaules, des deux côtés, bien lourds, vous auriez vu ça ! Et ensuite, on a habillé la petite jeune femme avec des vêtements de reine. Il n’y a que le petit garçon, pour qui rien de spécial n’était prévu ; alors, il est resté comme il était…

            Alors, ils sont montés tous les trois sur le cheval Grand-Blanc, et l’Eléphante les suivait par derrière, et Grand-Milan se tenait sur l’épaule de Gloire, et leur faisait de l’ombre avec ses ailes.

            Mais il était déjà huit heures, et ils n’arrivaient toujours pas.

- Quel idiot, disait le roi, il n’a pas un grain d’intelligence ! Il n’a pas… C’est lui le héros de la fête, et il ne vient pas ? Nous sommes déshonorés : Tous les invités sont là, toutes les bêtes ont été tuéesbpor le festin ! Qu’est-ce que cela veut dire ?

            Au bout d’un moment, on se décide à regarder avec la longue vue du roi :

- Oh ! Les amis, voilà des gens, mais on dirait que c’est une armée qui vient nous attaquer, ce sont des officiers de haut grade qui arrivent…

            Ils approchaient, au pas de Grand-Blanc. Les voilà qui arrivent, tiguidi, tiguidi ! Ils étaient déjà tout près, mais tout le monde se préparait encore, avec les soldats, parce qu’on croyait que c’était une armée qui venait attaquer. Tout le monde se préparait. Mais, au bout d’un moment, le roi a reconnu son petit-fils.

- Oh, il semble que c’est mon petit-fils ?

            Et, en arrivant sur place, Gloire prit la parole.

- C’est mon gendre qui arrive, c’est mon fils, dit le roi.

            Ah ! Tout le monde était stupéfait.

- Eh bien ! C’était donc un officier à XVI honneurs, ce Couche-dans-la-Fange, les gars ! Oh ! C’était un officier à XVI honneurs, ce Couche-dans-la-Fange !

            Tout le monde était stupéfait. Le roi se jette à genoux. en voyant son beau-père à genoux, gloire se jette à genoux lui aussi :

- C’est moi, père, qui devrais me mettre à genoux, et non toi. Tu es mon père, tu es mon beau-père, et tu es le roi.

            On a célébré les noces. A la fin de la cérémonie, le roi a parlé le premier. Puis, après le roi, Gloire a demandé à parler aussi :

- Père, est-ce que je peux parler ?

- Mais oui, tu peux parler.

- Voici ce que j’ai à dire : je suis le fils d’un roi du nord ; et si je suis venu ici, c’est parce qu’il y avait une petite mésentente entre nous. Et sachez bien, à compter de ce jour, que je m’appelle Gloire et non plus Couche-dans-la-Fange. Gloire est le nom que m’a donné mon père. Il y a quelques temps, tu as fait la guerre, tu as fait la guerre par trois fois, parce qu’on est venu t’attaquer. Et trois fois tu as été vainqueur. Eh bien, celui que tu prenais pour un ange, celui qui repoussait tes ennemis, c’était moi ! Voici mon Eléphante, voici mon Grand-Milan, ce sont mes compagnons de combat. Et moi, je m’étais habillé d’une peau de bête, pour que tu ne me reconnaisses pas. Et je t’ai blessé au bras, avec mon sabre. Est-ce que c’est vrai, oui ou non ?

- C’est vrai, dit le roi.

- Et ton mouchoir que tu as perdu, au moment où tu pleurais, c’est moi qui te l’ai pris. Est-ce que c’est vrai, oui ou non ?

- C’est vrai.

- Le voilà, ton mouchoir, Sire roi.

            Le roi le prend.

- Ton chapeau aussi s’était perdu pendant le combat. Au moment où tu pleurais, c’est moi qui te l’ai pris. Le voilà père. Ensuite, quand tu avais les yeux malades, les autres sont allés chercher du lait, du lait d’éléphante, mais j’y avais mis de l’eau. Et c’était moi, le maître de la bête, mais ils ne m’ont pas reconnu. Et puis, je suis venu en porter moi-même, et je t’en ai donné, et tuas été guéri. Et si vous avez encore des doutes, qu’ils viennent donc ici, tes trois gendres, ceux que tu as tellement honorés depuis tout ce temps.

            On les a fait sortir les trois.

- Baissez donc un peu vos pagnes !

            Ils ont baissé leurs pagnes. Et on a pu voir qu’ils étaient marqués de la lettre « F ».

- C’est moi qui leur ai fait ces marques.

            Oh, en voyant cela, le roi maître du lieu se jette à plat ventre par terre :

- Eh bien ! A partir d’aujourd’hui, que mes trois gendres quittent la Cour. C’est Gloire, qui sera votre roi, qui vous commandera tous, vous qui appartenez à mon royaume, qui appartenez à mon territoire. C’est Gloire qui est votre roi et non plus moi ; il a le grade de XVI honneurs, quand moi, je n’en ai que huit. Donc, à partir de ce jour, je remets tous mes pouvoirs à Gloire.

            Oh, de la foule montent les acclamations, et les vivats, et les mercis !

            On a donné alors des fêtes, qui se sont prolongées longtemps. Et des bœufs du roi, on a fait un vrai massacre, un vrai massacre, pour que tous mangent de la viande, car les gens de toutes les terres à la ronde avaient été invités à ces fêtes. Une cérémonie grandiose, vous auriez vu ça ! Des fêtes éclatantes !

 

            Et c’est ainsi que cette affaire s’est terminée. Ce n’est pas moi qui ai menti, ce sont les grands hommes d’autrefois. Et ce conte, c’est un conte qui m’avait été raconté par Tilahy Jean Edouard, quand nous étions encore élèves du C.E.G. d’Antsohihy en 1968. Et je vous l’ai raconté à mon tour.

Fulgence FANONY

Le tambour de l’ogre

Littérature orale Malgache

tome 2

L’Harmattan 

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