Conte: Le poseur de pièges et le monstre Ilay ampamandriky sy rakakabe

Publié le par Alain GYRE

 

Le poseur de pièges et le monstre

Ilay ampamandriky sy rakakabe

 

Il y avait aussi un poseur de pièges. Cet homme, c’était un poseur de pièges, un chasseur, un fameux…, ! Oui ! Il se donnait entièrement à la chasse aux tanrecs, qu’il prenait avec des collets. Il chassait donc. Et c’est de chasse qu’il tirait sa subsistance.

Donc, il vivait comme ça, c’étt on seul travail, au grand étonnement de tout son entourage. C’était son seul travail pour nourrir femme et enfants. Puis, un jour, voilà que le Créateur va l’inciter à laisser cette occupation.

Comme il s’en allait poser des pièges et chasser dans la forêt, il rencontra Grand-Monstre. Il était tombé par hasard sur l’endroit où habitait ce monstre, en pleine forêt là-bas, là même où se trouvait le Tambour-de-Grand-Monstre, celui sur lequel les mouches ne peuvent se poser, là-bas, dans la forêt.

            Et quiconque paraissait là même un instant, il le voyait en image, même s’il était encore loin, loin…, à je ne sais combien de mètres… Grâce à ce Tambour-de-Grand-Monstre, le monstre voyait en image tout être qui passait là, aux alentours de sa résidence, il voyait tout en images.

            Et le chasseur, dit-on, vint à passer dans cette région où habitait le Grand-Monstre, le propriétaire du Tambour-de-Grand-Monstre. Et naturellement, il était encore bien, bien loin…, que déjà le monstre l’avait aperçu.

            Comme il l’avait aperçu, le chasseur voulut rebrousser chemin. Mais Grand-Monstre l’avait déjà vu… Il lui dit :

- Ne t’en retourne pas.

            Le chasseur tremblait, tremblait, en voyant le monstre. Alors :

- Approche !

            Lentement, lentement, il s’approche :

- Qu’est-ce que tu viens faire ici ?

            Le chasseur tremblait, incapable de dire mot.

- Qu’est-ce que tu viens faire ici ? Je vais te manger, moi !

            Oh ! Il ne pouvait même pas parler.

- Qu’est-ce que tu préfères : que je t’avale tout entier, ou bien parler ?

- Oh ! Je t’en supplie, non, ne me mange pas encore. Tu sais que depuis ma plus tendre enfance, je pose des pièges, je pose des pièges, je chasse. Alors j’étais parti chasser cette fois encore. C’est pour cela que je me trouve ici.

- Tu chasses, Et qu’est-ce que tu chasses ? C’est moi, peut-être, que tu veux tuer ?

- Oh non ! Crois-moi, non. je ne veux pas tev tuer. Je chasse les oiseaux, je chasse les tanrecs. Voilà tout ce que je chasse. Mais j’ai sans doute un peu dépassé la région où je circule d’habitude, et c’est pourquoi je suis arrivé à l’endroit où tu habites. Alors, je t’en supplie, ne me mange pas.

- Bon ! Je te laisse un délai : si tu n’arrives pas à savoir depuis combien d’années je suis là, eh bien, je te mange. Mais si tu peux savoir depuis combien d’années je suis là, eh bien, je ne te mange pas.

- Bon, si c’est comme ça, dis-moi quel est le délai.

- Je te donne un délai ?

- Oui.

            Alors Grand-Monstre recule :

- Le délai que je te donne est de cinq jours. Si au bout de ces cinq jours, tu n’es pas revenu me dire depuis combien d’années je vis ici, alors je viens à ton campement. Je sais où vous habitez, j’y viendrai te manger.

Alors, le chasseur s’en est retourné chez lui, auprès de sa femme. Il était bien perplexe.

- Eh bien ! Quelle journée ! Ô ma femme, voilà bien longtemps que je pose des pièges, bien longtemps que je chasse. Mais aujourd’hui, j’ai bien failli y laisser ma vie.

  - Oh ! Qu’est-ce  qui t’et donc arrivé, mon cher mari ?

- Non : J’en ai vu des choses mais aujourd’hui vraiment, j’ai frôlé la mort !

- Comment donc ? Qu’est-ce qui s’est passé ?

- J’étais parti chasser bien loin, et je n’arrivais à rien prendre. Je n’arrivais à rien prendre. Finalement, je me suis retrouvé au pays de Grand-Monstre. Il y a là un rocher énorme, véritablement immense.

            Et là-bas aussi, il y a un tambour, et avec ce tambour, Grand-Monstre voit tout ce qui passe par là-bas, les oiseaux, tout ce qui vole, ou tout ce qui marche sur la terre, Grand-Monstre les voit tous, comme dans un miroir. Quand je me suis approché moi-même de cet endroit, Grand-Monstre m’a vu.

            J’ai voulu faire demi-tour, mais il m’a dit : «  Ne retourne pas, sinon c’est ta mort. » je me suis mis à trembler, à trembler, et lui, il s’approchait. «Qu’est-ce que tu fais ici ? » Impossible de parler. « Si tu ne parles pas, je te mange ! » Alors j’ai répondu : « Non ! Je t’en supplie, depuis ma plus tendre enfance, j’ai toujours chassé, et cette fois j’ai sans doute été trop loin, et j’ai abouti dans ton domaine. Mais j’étais bien venu pour chasser. - Tu es venu chasser, tu n’es pas venu me tuer, c’est bien sûr ?  Je vais te manger. - Non ! Je t’en prie, ne me mange pas encore. - Si c’est comme ça, puisque tu me le demandes, je ne te mange pas encore. Mais si tu ne devines pas depuis combien d’années je suis là, eh bien, je te mangerai. - Oui ! Si c’est comme ça, accorde-moi un délai. Si tu me donnes un délai, je te dirai depuis combien d’années tu es ici. » Voilà ce qui m’est arrivé là-bas, ma chère. Je ne sais pas ce que je peux faire. Ça y est ! Je suis mort ! Voilà bien longtemps que je fais ce métier, mais cette fois, je suis mort !

- C’est donc ça ?

- Oui.

- Voilà ce qui t’est arrivé là-bas ?

- Oui.

- Et il t’a donné un délai de combien de jours pour revenir lui donner la réponse ?

- Oh ! Cinq jours.

- Cinq jours ?

.- Oui.

- Si c’est ainsi, tu vas ramasser toutes les plumes qui sont sous la maison. Les plumes et les poils de tout le gibier que tu as pris. Ramasse tout. Après cela, tu iras chercher de la glu de tsebono. Et une fois que tu auras la glu, tu enlèveras tous tes habits, tu te mettras en simple pagne, et tu te passeras de cette glu sur tout le corps, jusque sur la tête (tu laisseras découverts juste les yeux pour voir le chemin qui te ramènera là-bas), depuis les plantes des pieds, les pieds, les mollets, jusqu’à la tête, et les cheveux. Et tu te colleras partout des plumes, sur toutes les parties du corps où il peut y avoir moyen de s’enduire de glu.

 - Ah oui ?

- Oui. Et puisque le délai est si court, va tout de suite chercher de cette glu, pendant que moi, je vais aller ramasser les plumes.

            Et il est parti, notre homme, celui qui s’était égaré jusqu’à la demeure de Grand-Monstre, il est parti chercher de la glu de tsebono dans la forêt. (Le tsebono est un arbre qui pousse dans la forêt, qui a des feuilles un peu pareilles à celle du todinga, mais qui donne une glu, une vraie glu, terriblement poisseuse.)

            L’homme est donc parti chercher de cette glu, et en a toute une quantité. Au retour, cette glu, qu’il avait rapporté de là-bas, il l’a fait fondre, bien fondre, jusqu’à ce qu’elle soit bien poisseuse. Il s’en est enduit depuis les cheveux, le cou, les flancs, la poitrine, les bras, les mains, les pieds, tout, jusqu’à la plante des pieds. Il s’est enduit entièrement de cette espèce de glu.

            Une fois complètement englué, il s’est collé sur le corps toutes les plumes de tous les oiseaux qu’il avait pris depuis des années qu’il allait à la chasse, toutes celles qu’on avait pu ramasser. Le gars, le chasseur, il avait des plumes collées sur tout le corps. Une fois déguisé comme ça, il est reparti chez Grand-Monstre. Il a marché, marché, marché…

            Il était encore bien loin, que déjà Grand-Monstre l’avait aperçu. Il a crié :

- Depuis cinquante ans que j’ai habité ici, je n’ai jamais vu une chose comme ça ! Aujourd’hui même, je décampe d’ici ! Voilà cinquante ans que j’ai habité ici, et jamais je n’ai vu une chose comme ça ! Je décampe aujourd’hui ! Dès aujourd’hui, je m’en vais !

            Et l’homme, celui qu’il voulait dévorer parce qu’il s’était introduit dans son domaine, lui dit :

- Eh bien voilà…  Ça fait cinquante ans que tu habites ici. Je suis venu justement pour te dire depuis combien d’années tu as habité ici : c’est cinquante ans ! C’est bien ça ?

            Alors le monstre quitte ce domaine où il avait habité pendant cinquante ans, tandis que notre homme revenait à son campement.

            A partir de ce moment, instruit par cette expérience, le chasseur a abandonné son habitude de la chasse. Il n’a plus chassé, ni posé de pièges. Il s’est mis à chercher sa subsistance, comme tout un chacun, en cultivant le riz, en plantant, en faisant tout ce que font les gens. Il a abandonné ce métier spécial, qu’il faut faire tout deul, dans la forêt, et il s’est mis au travail comme tout le monde, pour vivre avec les autres, et se mêler aux autres.

            Depuis ce temps-là il a changé, il a abandonné la conduite qui avait failli le faire dévorer par Grand-Monstre.

            Voilà, c’est mon conte.

           

Fulgence FANONY

L’Oiseau Grand-Tison

Et autres contes Betsimisaraka du Nord

Littérature orale Malgache

tome 1

L’Harmattan 

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