Conte: Les trois filles de Grand-Seigneur, ou l’œuf de Tsiketriky

Publié le par Alain GYRE

 

Les trois filles de Grand-Seigneur,

ou l’œuf de Tsiketriky

Zanak’i randriambe telo vavy,

na ilay antodin--Tsiketriky

 

 

            Il était une fois trois filles de Grand-Seigneur, trois sœurs, qui s’en étaient aller chercher des brèdes morelles. Les trois filles, en cherchant des brèdes morelles, ont trouvé des œufs de tsiketriky.

- Hé ! Grande sœur, dit l’une des cadettes ?

- Oui ?

- J’ai trouvé un œuf de tsiketriky.

- Où ça ?

- Ici, dit-elle.

            Ensuite, un peu plus loin, la deuxième en a trouvé aussi un . elles finissent par en trouver toutes les trois. Puis elles rentrent.

- Et qu’est-ce que nous allons en faire ? demande la Petite Benjamine.

- Le mien, dit la Grande-Aînée, je vais le mettre sous la natte, pour qu’il se casse.

- Le mien dit la Puînée, je le mettrai sur le toit pour qu’il se casse.

- Et le mien, dit Petite-Benjamine, je ne dis à personne où je le mettrai.

- C’est toi seule qui le sauras ?

- Oui.

            Alors elles sont parties.

- Hé ! Grande sœur !

- Oui ?

- Je vais d’abord me soulager et je reviens.

            Sitôt dit sitôt fait, elle est partie faire ses besoins, et à l’endroit où elle était allée, il y avait eu un éboulement qui avait laissé un creux dansle rocher. C’est là qu’elle a placé son œuf de tsiketriky. Et au bout d’une semaine, quand elle est revenue le voir, l’œuf était éclos, et ce qui en était sorti ressemblait à un petit chien.

            Alors elle se demandait :

- Qu’est-ce que ça va. bien pouvoir donner ? Et ça a une couleur grise. Qu’est-ce que ça va bien pouvoir donner ?

            Assez longtemps après, elle est encore revenue le voir : l’animal avait encore grossi. Et au bout de deux mois, il était devenu très gros. Elle se dit :

- Ça, on dirait que ça va devenir un taureau . je vais le faire parler.

            Ensuite, elle lui apporté des feuilles de patates douces et de la croûte de riz.

            - Mon œuf de tsiketriky !

            Mon œuf de tsiketriky !

            Je t’ai mis dans le creux de la pierre,

            Je t’ai mis dans le creux de la pierre,

            C’est moi, ta maîtresse, qui viens !

            Beugle, mon taureau ! Beugle !

            Et le taureau répondait :

- Man-an-an !

            Et elle le conduisait.

            Ensuite, elle lui donnait de la croûte de riz, et elle l’enduisait d’huile. Après quoi, elle repartait. Et longtemps après, elle revenait, et elle l’appelait encore :

            - Mon œuf de tsiketriky !

            Mon œuf de tsiketriky !

            Je t’ai mis dans le creux du roc,

            Je t’ai mis dans le creux de la pierre,

            C’est moi, ta maîtresse, qui viens !

            Beugle, mon taureau ! Beugle !

            Et le taureau répondait :

- Hon-on-on !

            Il devenait de plus en plus grand, il mugissait maintenant. Pendant un certain temps, elle l’a laissé, puis au bout d’un an, elle l’a appelé encore :

            - Mon œuf de tsiketriky !

            Mon œuf de tsiketriky !

            Je t’ai mis dans le creux du roc,

            Je t’ai mis dans le creux de la pierre,

            C’est moi, ta maîtresse, qui viens !

            Beugle, mon taureau ! Beugle !

            Et le taureau répondait :

- Hon-on-on ! Ein-i, ein-i, ein-i !

            Il grossissait sans arrêt. Elle l’enduisait d’huile, elle lui donnait des feuilles de patates douces.

            Et on voyait (le tsiketriky, celui qui avait pondu l’œuf) qui volait, qui volait. La mèredes filles (passait par là). Elle voit sa fille :

- Qui est-ce donc que tu appelles là. Petite-Benjamine !

- Oh personne, je fais seulement une petite promenade, dit-elle.

            Alors la mère dit à Grande-Aînée :

- Va donc voir un peu ce qu’elle fait là-bas. Sait-on ce qu’elle fait là-bas ? Est-ce qu’elle n’essaye pas de nous voler nos bœufs ? Va là-bas, et surveille-la

- Oui. (Et, s’adressant à son autre sœur :) Viens donc avec moi, allons-y.

- Bon.

            Elles ont suivi Petite-Benjamine, et elles l’ont vue qui appelait :

            - Mon œuf de tsiketriky !

            Mon œuf de tsiketriky !

            Je t’ai mis dans le creux du roc,

            Je t’ai mis dans le creux de la pierre,

            C’est moi, ta maîtresse, qui viens !

            Beugle, mon taureau ! Beugle !

            Et le taureau répondait :

- Ein-i, ein-i,ein-i !

- Eh bien ! C’est un grand, un énorme taureau. Vous n’avez aucune bête de cette taille chez nous, dit la guetteuse.

- C’est vrai ?

- Oui.

- Il faut trouver un moyen de la tromper, de lui raconter des mensonges pour lui prendre son taureau.

            C’est décidé. Et quand Petite-Benjamine arrive :

- Petite-Benjamine !

- Oui ?

- Ta grand-mère est très malade, vraiment bien faible. Va donc la voir, parce qu’il ne lui reste plus guère à vivre !^

- Oh ! C’est vrai ?

- Oui, oui.

            Petite-Benjamine a couru là-bas, chez sa grand-mère. Aussitôt qu’elle est en présence de sa grand-mère, dont on lui avait dit qu’elle était si malade, elle lui demande :

- Alors, grand-mère, maman m’a dit que tu es bien malade ?

- Mais pas du tout, c’est un mensonge qu’elles t’ont fait.

- C’est à cause de ce gros taureau que j’ai mà-bas, sans doute elles voudraient me le manger !

            (Pendant ce temps la mère a organisé le voyage pour aller chercher le taureau de Petite-Benjamine :)

- Allons, mes amis, conduisez-nous, nous allons là-bas. Comment fait-on pour l’appeler ?

- Comme ça :

            Ô toi, tsiketriky,

            (C’était le père des enfants qui appelait.)

            Ô toi, tsiketriky !

            Ô toi, tsiketriky !

            Je t’ai mis dans le creux du roc,

            Je t’ai mis dans le creux de la pierre,

            C’est moi, ta maîtresse, qui viens !

            Mah, le taureau ! Meuh le taureau !

            Rien ! Il ne répondait pas. Il ne voulait rien savoir.

            Ensuite, ce fut au tour de la Puînée d’appeler.

            Ô toi, tsiketriky !

            Ô toi, tsiketriky !

            Je t’ai mis dans le creux du roc,

            Je t’ai mis dans le creux de la pierre,

            C’est moi, ta maîtresse, qui viens !

            Mah, le taureau ! Meuh le taureau !

            Rien ! Le taureau ne voulait pas répondre.

            Maintenant c’est la suivante, et celle-là, elle a la même voix que Petite-Benjamine. Elle s’appelle  Petite-Aimée, c’est elle qu’on a fait parler :

            - Mon œuf de tsiketriky !

            Mon œuf de tsiketriky !

            Je t’ai mis dans le creux du roc,

            Je t’ai mis dans le creux de la pierre,

            C’est moi, ta maîtresse, qui viens !

            Mah, le taureau ! Meuh le taureau !

            Alors le taureau a répondu :

- Ein-i, ein-i, ein-i !

            Le taureau est venu, sortant de sa cachette. Pan, fait la hache, et le taureau tombe raide mort.

- Eh bien ! Qu’on fasse une grande claie, les gars !

            On a fait une grande claie à boucaner, et la viande a été boucanée, bien séchée. Au petit matin, la fille revient. Dès qu’elle arrive, elle entre dans la maison, et on lui dit :

- Il y a à manger pour toi, Petite-Benjamine !

- Oui, dit-elle.

            Elle regarde : c’était du bouillon de poulet. Après avoir mangé, elle est partie en courant pour voir son taureau.

            Arrivée là-bas, elle cherche son taureau : il y avait des traces de sang partout sur le sol. La fille tombe évanouie. Ensuite elle entre encore dans la grotte, et elle voit du sang coagulé. Elle s’évanouit une deuxième fois. Elle rentre enfin. Elle était en larmes :

- Oh ! Maman, vous m’avez dit que ma grand-mère était malade, et elle n’était pas malade du tout. Vous voulez seulement me manger mon taureau. Eh bien d’ici aujourd’hui en huit, vous ne me verrez plus. Vous ne verrez plus Fillette, dit-elle. Elle a pris sa couche, et tout ce qui allait avec, tout ce qu’elle avait dans sa chambre, et elle est partie dans le village.

            Et là, elle se soulevait avec le lit, elle était là, et avec elle Petite-Aimée, celle de ses sœurs qui venait après elle, la seule qu’elle aimait. Elle l’a regardée, et puis elle s’est adressée à elle pour lui faire ses adieux !

            - Adieu, adieu, Petite-Aimée,

            Mon œuf de tsiketriky,

            tu l’as mangé, ô mère, tu l’as mangé, ô père,

            non par mégarde, mais bien exprès.

            Elle chantait ainsi, de l’intérieur de sa moustiquaire.

            Et on pouvait voir le lit qui se soulevait un peu. Elle a continué à chanter :

            - Adieu, adieu, Petite-Aimée,

            Mon œuf de tsiketriky,

            tu l’as mangé, ô mère, tu l’as mangé, ô père,

            non par mégarde, mais bien exprès.

            C’était ce qu’elle disait. Et il se soulevait, le lit se soulevait deplus en plus, jusqu’à hauteur des yeux.

- Redescends, lui disait sa mère, tu devrais redescendre avecnous, je tuerai pour toi une de mes oies, nous te donnerons un plein parc de bœufs.

- Non. de tout le reste vous n’avez pas mangé, c’est seulement mon joli taureau que j’aimais tant que vous avez voulu  manger. Je m’en vais, et je ne reviendrai plus.

            Voilà ce qu’elle disait :

            - Adieu, adieu, Petite-Aimée,adieu,

            Mon œuf de tsiketriky,

            elle l’a mangé, la mère, il l’a mangé, le père,

            non par mégarde, mais bien exprès.

            Le lit se soulevait de plus en plus, jusqu’à hauteur des yeux, et même plus.

- Reviens, lui disaient-ils, tu devrais revenir. Je te donnerai deux parcs pleins de bœufs, et trois caisses pleines d’argent.

- Non. je pars, quoi qu’il m’arrive ; vous avez mangé mon taureau, pas les vôtres ! Mon taureau que j’aimais, vous me l’avez mangé ; je pars, je pars ;

            Elle a chanté encore une fois :

            - Adieu, adieu, Petite-Aimée,adieu,

            Mon œuf de tsiketriky,

            elle l’a mangé, la mère, il l’a mangé, le père,

            non par mégarde, mais bien exprès.

            Et elle s’est élevée dans le ciel.

            Et c’est la raison pour laquelle, à ce qu’on dit, le soleil n’est autre que cette Fillette. Et de temps en temps, quand on se souvient de Fillette, on lève la tête vers lui. C’est à cause de cela, d’après ce qu’on dit.

 

 

Fulgence FANONY

L’Oiseau Grand-Tison

Et autres contes Betsimisaraka du Nord

Littérature orale Malgache

tome 1

L’Harmattan 

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